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    Chapitre 3
     

     

     

     

    CHAPITRE III

    L’évènement suivant qui apporta un changement important dans ma vie fut notre premier déménagement. Nous passions de la Rue St Nicolas à la rue du Vieux St Louis: un saint en remplaçait un autre, et si Saint Nicolas ne m’avait pas fait de cadeaux, Saint Louis ne fut pas non plus pour moi un symbole de justice...ils travaillèrent l’un comme l’autre, en quelque sorte, en “contre emploi”.

    Mais avant d’aller plus avant, faisons une petit pause...

    Arrivé à ce point du récit, je devais avoir un peu plus de dix ans. J’abordais donc ma préadolescence. Que pouvait-il bien se passer dans ma tête à cette période.

    Je n’avais même pas bénéficié de la T.M.G : tendresse minimum garantie, avais souffert d’une absence de connaissance de mes origines familiales, été gratifié d’une éducation chaotique dominée par les objets contondants et pour finir subit une formation religieuse traumatisante: Voila pour le débit...

    Au crédit : une faculté d’adaptation aux circonstances qui m’avait permis de bien profiter des bons moments, et de l’appui de gens qui m’aimaient bien.

    Et puis aussi, à ranger dans la case profits, ce que je considère comme un atout majeur et qui s’est vérifié par la suite ne pas être un hasard : la révélation, au cours de mes tout premiers moments de vie, mais je n’en avais pas conscience à ce moment, des défis que j’avais choisi de relever. C’est beaucoup plus tard que je pris conscience de ce fait, me rappelant précisément le moment où arriva ce dévoilement. Le croirez vous, ce fut pendant un moment de contemplation des mystérieuses figures de ma tête de lit, vous savez bien, celles dans lesquelles je pouvais voir l’univers .....

    Toute la vie se déroule en fonction de l’acceptation de nos défis, et là je suis certain de ne pas être une exception, car il en est obligatoirement de même pour tout être humain vivant sur terre. Dans le cas contraire, la vie serait sans signification.

    Quand bien même, et pour la majorité d’entre nous il en est ainsi. Nous n’avons pas conscience du schéma de vie choisi, ce schéma est cependant là, gravé dans l’inconscient de chacun, et les expériences de la vie qui nous sont proposées au gré des évènements et des rencontres en sont la résultante.

    L’acceptation confiante de ces défis que la vie nous met en mesure d’expérimenter puis de dépasser, se trouve être la seule possibilité de les franchir avec succès.

    En ce qui me concerne, leur révélation se devait de représenter une aide supplémentaire compte tenu de la barre assez haute qui m’était présentée. La récompense promise en cas de succès, pouvait se trouver au rendez-vous, et à la hauteur de l’exigence.

    Je suis persuadé que c’est cette certitude inconsciente, mais inscrite profondément au coeur de mon âme, qui m’a permis de cheminer au travers des aléas et de me retrouver tel que je suis aujourd’hui....

    Et puis, pour m’aider également, j’avais très souvent l’impression de ne pas être seul, non pas avec cet ange gardien dont la religion avait fait un directeur de conscience, mais avec la compagnie d’un personnage invisible, présence neutre et bienveillante, qui m’acceptait comme j’étais, et me regardais vivre sans jugement ni contrainte, en observateur rempli d’amour.

    Il m’est arrivé souvent de ressentir cette présence et de me retourner pensant que j’étais suivi. Les circonstances de la vie, bien plus tard, me confirmèrent que ces impressions étaient bien réelles.

    Comme chaque individu, je n’étais pas sur terre par hasard, mais parce que je l’avais choisi, et au fond de moi, je savais que la raison de ma présence ici était belle et que cela valait la peine d’être vécu.

    J’avais conscience déjà de n’être pas comme tout le monde : Mes raisonnements ne correspondaient pas à la norme, je choquais, attirait les surprises et incompréhensions, je n’étais la plupart du temps pas très bien compris et cela me valut souvent, encore aujourd’hui, de recevoir bien des coups, qu’ils soient réels pendant longtemps, et virtuels ensuite.

    Je vous laisse le soin de deviner quels sont ceux qui me firent le plus mal!....

    Je ne savais pas que j’étais là pour servir, pour aider, mais déjà tout se mettait en place pour me le faire comprendre....

    Avec tout ce qu’ils m’avaient fait subir, pouvait on dire que j’aimais encore mes parents?

    Oui, je les aimais, je n’avais jamais cessé de les aimer, j’étais leur enfant, et ce lien si difficile à détacher plus tard, n’est difficile à rompre que parce qu’il est solide. Beaucoup n’y arrivent pas, mes frères en furent le dramatique exemple. D’autres, beaucoup d’autres n’y arrivent également pas, et pourtant c’est le premier défi à relever. En cas d’échec commence l’impression de tourner en rond, de ne pas évoluer, de répéter inlassablement les mêmes erreurs...

    Ces parents que nous avons choisis sont les meilleurs pour nous, pour notre évolution, quoi qu’ils fassent et chaque enfant le ressent bien. Même les enfants abandonnés n’ont d’obsession que dans la recherche de leurs origines, et quand elle aboutit, le lien est encore là, aussi fort et puissant.

    Je lisait cette semaine dans” France Antilles”, le quotidien de la Gwad , le récit au tribunal de trois petites filles martyrs qui, après avoir eut par leur père et mère, l’une la main trempée dans l’eau bouillante, l’autre des coups sur tout le corps, le dos brûlé au deuxième degré avec un fer à repasser, une fracture de la main, des coups de ceinture , de bâton, des piqûres volontairement données par un scolopendre dont on connaît ici l’atroce et longue douleur etc...Elles demandèrent toutes trois à retourner chez leur parents, s’accusant mutuellement d’être elles mêmes les auteurs des sévices afin que leurs parents ne soient pas condamnés. Elles déclarèrent devant le tribunal “ j’aime mon papa, j’ai honte pour lui qu’il soit là”. La seule excuse des parents étant , selon la défense, d’avoir été eux-même maltraités dans leur enfance...ceci, je crois en dit long sur la force du lien entre parents et enfants...J’étais un privilégié par rapport à ce qu’elles avaient subi... tout est relatif...

    Quand je pense à l’enfance de mes parents, j’imagine qu’elle fut bien pire que la mienne car je les avais avec moi. Eux, par contre, quand ils étaient petits, ils vivaient seuls, ou pratiquement, n’ayant pour répondre à leur besoin affectif, l’une qu’un oncle violent, l’autre qu’un frère jumeau. Ils n’avaient rien reçu et malgré tout ils ont donné, un peu, rien qu’un peu, mais ce peu, pour eux, pour moi, c’était beaucoup.....

    Depuis quelque temps déjà, mon père parlait d’une possibilité de logement à loyer réduit, par l’intermédiaire de la SCOMAM, l’usine où il travaillait. Il s’agissait d’une maison que la société avait acquise afin de servir d’hébergement aux cadres en transit ou en attente de logement. Cette maison bourgeoise de deux étages n’était utilisable en fait que pour deux ménages, seul le rez de chaussée et le premier étage étaient aménagés.

    Cependant, à la suite d’une demande de mon père, par un intermédiaire, on disait aussi par “piston”, les combles furent préparés afin que nous puissions y habiter. Un WC fut installé, du papier peint posé et le logement devint possible.

    L’appartement se composait: d’une pièce principale, de deux chambres assez grandes, et de deux débarras: un tout petit et un autre un peu plus grand dans lequel les toilettes était installées.

    Mais il s’agissait malgré tout de combles, c’est à dire que les ouvertures, petites et situées en hauteur ne permettaient pas de voir à l’extérieur. La lumière n’y entrait pas car des grands marronniers lui en interdisaient l’accès. Une seule pièce, qui devint rapidement ma chambre bénéficiait d’une fenêtre à hauteur normale donnant sur la rue.

    Cette maison, située à cent mètres de l’usine, côtoyait la rivière, il suffisait de traverser la rue pour arriver sur le halage.

    Il fallut dans un premier temps s’habituer au bruit de la rue assez passante, à celui du barrage situé un peu plus loin sur la rivière, et également au passage des trains sur le viaduc situé à proximité.

    Bien que le logement possédât une pièce de plus, la sensation d’être enfermé n’aida pas à faire en sorte que je m’y plaise et les évènements qui s’y déroulèrent dès les premiers temps de notre séjour ne contribuèrent pas, non plus à me le faire aimer.

    Le premier étage était habité par un ménage sympathique, les Pichet, venant de la Charente. Le mari était cadre et ils avaient deux filles assez jeunes. Ils devaient vivre là peu de temps, jusqu’à l’achèvement de la maison qu’ils faisaient construire. Ils nous fréquentèrent peu, les différences de classe étant à cette époque encore plus marquées que maintenant

    Le rez de chaussée du bâtiment était provisoirement inoccupé, car peu logeable, l’entrée et l’escalier partageant en deux l’appartement.

    Deux grands lits prirent place dans une chambre et un autre lit me fut octroyé dans ce qui devait être ma chambre un peu plus tard, car au début, je n’acceptais pas d’y dormir. Elle était séparée de celle de mes parents par la pièce principale et un couloir, donc isolée. Après un essai non concluant je décidais de rester coucher avec mon père. Cependant, mon jeune frère, Raymond grandissait et il a bien fallu se résoudre à lui laisser la place, et ce fut pour moi le début d’une grande infortune ....

    Tous les psychologues vous diraient aujourd’hui que l’erreur principale à ne pas commettre est d’accepter des enfants dans le lit parental: imaginez que pour moi cela durait depuis dix ans..... La terreur qui m’empêcha de dormir pendant des mois fut réelle et bien des fois je dus en pleurant rejoindre la chambre de mes parents, ceci, jusqu’à ce que je puisse m’habituer à dormir seul. Je ne souhaite à personne de connaître les affres par lesquels je suis passé. Le seul fait de voir arriver le moment où je devais aller me coucher m’angoissait déjà. Alors, une fois dans mon lit, je rabattais le drap sur ma tête et écoutait... Le moindre bruit prenait des proportions terrifiantes, je ne m’imaginais rien, pas même des voleurs, ni des fantômes, si peut-être un peu des fantômes,...il fallait bien habiller mes peurs... Mais c’était plutôt de l’angoisse à l’état pur, sans justification, sans raison. On explique cela aujourd’hui par des motifs psychologiques. Je préfère penser que pendant la nuit, le mélange des corps crée des attractions magnétiques. Dormir seul rompt cette osmose rassurante, créant un vide qui déstabilise le mental. Bref quelles que soient les causes, j’eus pendant des semaines, même avec la veilleuse que mes parents avaient posée au dessus du lit une trouille carabinée qui fort heureusement s’atténua, pas assez vite à mon goût, jusqu’à disparaître.

    Mon entrée en sixième aux “cours complémentaires”; se déroula normalement. Pour me rendre au collège, je devais traverser la rivière sur une passerelle en fer, posée sur les socles des piliers soutenant le viaduc, puis, après avoir longé le quai quelques instants, monter la rue Magenta et par une traversière gagner la rue Crossardière où se tenait l’établissement; situé en face de la gendarmerie.

    Je restais cinq années dans ce collège, ayant redoublé ma quatrième par manque de travail. Il faut dire, sans que cela justifie quoi que ce soit, que ma mère ne pouvait m’apporter aucune aide, non pas qu’elle fut sotte, mais parce qu’elle même, n’avait effectué que des études succinctes. Ensuite, elle du seule apprendre la langue, avant de pouvoir, difficilement la lire et encore plus tard, difficilement l’écrire. En fait elle ne savait écrire que quelques mots parsemés de fautes d’orthographe. Je ne l’ai jamais vu lire un livre. Les seules lectures qui l’intéressaient étaient celles des romans photos : “Nous Deux” et Confidences” que le matin très tôt, car toute sa vie elle s’est levée aux aurores, elle déchiffrait lentement.

    En ce qui concerne le soutien scolaire de sa part : néant. Les seules questions qu’elle me posaient régulièrement furent “as tu fait tes devoirs, as tu appris tes leçons”, questions auxquelles bien sûr je répondais toujours par l’affirmative...Par la suite, avec mes frères elle essaya bien de faire réciter quelques leçons, mais comme l’un comme l’autre ne se sont jamais intéressés à se remplir la tête, elle les abandonna bien vite à leur ignorance.

    Alors mon père diriez-vous.? Hélas, le soir, il n’était jamais à la maison avant que je ne me couche, préférant les libations alcoolisées euphorisantes et désinhibantes à de tristes calculs et récitations. Comme il ne s’était jamais intéressé en primaire à mon éducation scolaire il manifesta ensuite la même indifférence. L’école était obligatoire, j’y allais, point final.

    On ne peut pas dire que ma scolarité m’ait particulièrement arraché des cris d’enthousiasme. Mes parents, en plus des leurs différentes incapacités individuelles se trouvaient bien trop occupés par leurs problèmes relationnels et se désintéressaient totalement de mon avenir, pressés de me voir travailler afin de rapporter à la maison de l’argent frais afin d’équilibrer le budget.

    Au fil des classes, j’eu de bonnes notes dans les matières où j’étais naturellement bon, des mauvaises notes dans celles où j’étais mauvais, et des notes moyennes dans les autres matières au gré des circonstances.

    Pour les bonnes notes : le français car il n’y avait rien à apprendre et je vivais depuis longtemps dans un monde imaginaire qui m’avait permis de développer des idées; bonnes notes également en algèbre et arithmétique car çà « coulait « tout seul. Pour les mauvaises notes : physique chimie, sciences naturelles, car il fallait apprendre et en ce qui concerne les notes moyennes: l’histoire lorsque le sujet m’intéressait ou quand le professeur était sympa, la géographie quand il fallait rédiger ou quand j’étais à côté d’un bon élève, et l’anglais car le professeur était sévère. J’étais également très mauvais en sport, car mon poids m’interdisait toute course rapide, monter à la corde et encore moins le saut en hauteur...

    Fort heureusement pour moi, je retenais vite et bien, et une seule lecture dans les couloirs à l’interclasse me permettait de sauver l’essentiel en cas d’interrogation. Il en était de même pour les devoirs, généralement recopiés sur les cahiers des copains avant d’entrer en classe.

    J’eus malgré tout des prix et des accessits régulièrement. Je passais mon certificat d’étude, déjà tombé en désuétude, pour m’amuser un peu. Je préparais, ce qui est un bien grand mot, au fil des années, le B.E.P.C. qui devait me permettre de trouver un emploi, ainsi que mon père l’avait envisagé, dans la société où lui-même travaillait.

    Mes souvenirs scolaires correspondent pour beaucoup, comme je l’ai entendu pour mes enfants, aux bêtises que j’ai pu faire, et aux blagues sur les différents professeurs qui ont malgré tout essayé de m’instruire. Je ne manquerais pas de vous octroyer leurs surnoms : honneur au directeur : Albert Legendre, fan de sport, dont je fus l’ami d’un de ses fils, et que bien sûr on surnommait gentiment “bébert”. Le frère de M. Legendre était lui, professeur de chimie, et je présume comme beaucoup d’autres, fort maladroit dans la manipulation des éléments dont le mélange lui “pétait au nez” de temps en temps. Son surnom c’était “hachis”, le pauvre chuintant un peu les “s” avait , à son arrivée aux cours complémentaires, en entrant dans la classe où tous étaient debout, sans doute, pour asseoir son autorité, gratifié les élèves d’un sonore “assis!” qui dans sa bouche se transformais en ...! S’étant aperçu des sourires provoqués, il modifia son “hachis” en “acheyez-vous!” ce qui était nettement moins drôle”. Il y avait aussi : “tsoin tsoin pour le prof de sciences M. Marsouin et “cranechauv’quanoeil” pour un prof violent, affublé d’un physique particulièrement disgracieux. Je vous fais grâce du reste, le vocabulaire de potache ne méritant pas qu’on s’y attarde plus longuement....

    Voila, les amusements qui nous distrayaient de la monotonie des heures de cours...Ajoutons à ces délicates dénominations, les traditionnels fluides glacial, punaises sur les chaises des profs, et autres morceaux de craie sous les pieds des bureaux , terminons par les vénérables lances boulettes obtenus avec des stylos bic démontés et, à la saison, pourquoi pas?, les hannetons ramassées dans des boites qu’on ouvrait insidieusement au moment le plus favorable, déclenchant un magnifique vol bruyant, ce qui me valut une ou deux après midi de méditation dominicale obligatoire dans l’établissement.

    J’étais donc un élève moyen, pas très travailleur, pas très motivé, pas trop chahuteur, mais quand même assez pour passer quelques dimanches après-midi en colles en compagnie des internes, cependant davantage pour devoir non fait que pour indiscipline.

    Je passais mon temps à l’école, sans avoir conscience qu’il pouvait y avoir un avenir professionnel. J’étais en plein dans la catégorie sociale de mes parents : employé, ouvrier et l’ambition ne m’effleurait même pas. Je me souviens de mes pensées de cette époque où déjà je voyais la vie qu’on traversait comme dans une fusée, me projetant à la retraite et me disant à quoi bon, tout passe si vite que c’est inutile de s’empoisonner la vie à apprendre des choses inutiles... Ce qui vous en conviendrez était une drôle d’idée dans la cervelle d’un garçonnet d’une douzaine d’années. En fait l’avenir me permit de comprendre que ces idées n’étaient pas tout à fait innocentes.

    Ces quelques années de préadolescence furent parmi celles qui me marquèrent le plus. Je me trouvais alors livré à moi même, avec les premières interrogations existentielles de cette période, la découverte de la sexualité, initié par un plus grand, comme c’est normal, j’initiais plus tard les plus jeunes. Je négociais difficilement avec la culpabilité issue de la religion, et tentais d’assumer toutes les mutations physiques et morales qui accompagnent la préadolescence....

    Il faut ajouter à cela mon obésité qui dura, c’est le cas de le dire, “en gros”, de onze à quatorze ans. On dit que les enfants sont cruels entre eux, c’est vrai, mais je dois dire que je déplorais, comme pour Cyrano et son long nez, le manque d’imagination et le vocabulaire particulièrement restreint des mes congénères. Les gracieusetés qui revenaient le plus fréquemment dans leurs propos était, en premier et je lui décerne la médaille d’or : “gros lard”, suivaient immédiatement “gros tas” et “graisseux”. C’était d’une affligeante banalité... il s’y ajoutait bien un vulgaire “tas de m...” ou encore pire un pléonasme breveté “grosse graisse”. Je supportais tout stoïquement, en plus du reste : les disputes parentales m’encourageaient plutôt à me bourrer de sucre qu’à faire un régime.... Il fallait donc supporter les shorts qui remontent par le frottement des cuisses trop grasses, les pantalons difformes car inadaptés au tour de taille. Je me tripotais souvent les plis du ventre en me demandant “qu’est ce que ça fait là?” C’était de l’amour évidemment! La seule façon pour ma mère d’exprimer ses sentiments, elle donnait ce qui lui avait manqué, mais j’aurais préféré une autre forme de démonstration amoureuse....

    Mes parents étaient également arrivés à leur seuil de saturation graisseuse : Mon père dont la taille était inférieure à 1,70m atteignait et dépassait le quintal, ce dont il était fier jusqu’à ce qu’arrivent les problèmes de santé inhérents aux excès culinaires. Le mal au foie, comme par hasard débarqua donc ainsi que le mal aux reins, et bien d’autres petites choses désagréables dont les conséquences furent de voir le buffet de la cuisine s’agrémenter de petites boites colorées. Ma mère n’était pas en reste, ses rhumatismes la faisant souffrir, elle arborait cependant son abondante plénitude avec un certain dédain.

    Toutes ces raisons rendirent donc cette période difficile. Le pire, comme la cerise empoisonnée sur le gâteau à l’arsenic, restait à venir car ce fut en effet le moment que mes parents choisirent pour définitivement régler leur compte.

    Le loyer diminué et les allocations familiales augmentées contribuèrent à un apport financier plus élevé au foyer. Le livreur de viande venait désormais tous les jours. Mon père, jusqu’à présent se contentait du “prêt”, montant prélevé sur son salaire et que lui octroyait ma mère, pour ses besoins personnel. A présent, il commença à retenir la somme qu’il souhaitait avant de lui en donner le solde. Bénéficiant de possibilités financières accrues et donc de davantage d’argent à dépenser, il ne se priva plus de séjourner encore plus longtemps, tous les soirs après le travail, au café du coin qui comme par hasard, se trouvait juste à la porte de l’usine..

    Il rentrait tard, et sous l’emprise de la boisson assez souvent. Après quelques mois de ce régime, ma mère ne faisant rien pour arranger les choses, la violence le gagnât et il me fut donné d’assister, pendant une période bien trop longue à ce qu’un enfant ne devrait jamais voir. Les coups pleuvaient drus sur ma mère, avec des insultes en tous genres, elle se défendait en brandissant une chaise, que mon père balançait avant de rouer de coups ma mère tombée à terre, puis il mangeait, ma mère restant assise par terre à sangloter et il se couchait, ronflant sa vinasse.

    Les séances de ce genre devinrent régulières, une à deux fois la semaine et nous traumatisaient, c’est le moins qu’on puisse dire, mes frères et moi; ils ne s’en sortirent jamais, moi si... Ce spectacle affligeant, maintes fois répétés, me conduisit progressivement à déclencher et nourrir un ressentiment, puis de la haine envers mes parents, surtout dû à la souffrance qu’ils m’infligeaient : Envers mon père parce qu’il buvait et frappait, mais également envers ma mère parce qu’elle le provoquait et déclenchait sa colère et les coups.

    A cette période je n’avais pas connaissance de ce qu’ils avaient eux-mêmes vécus et subis et je ne pouvais constater, sans aucun recul, que les faits bruts, c’est le cas de le dire. J’étais malheureux et à bout : ma mère me frappait encore et mon père aussi quand une réflexion le dérangeait.

    Cela dura longtemps, par période, mais restait toujours latent. Au bout de quelques temps, ayant un peu grandi, il me fut vraiment impossible de continuer à accepter cela. Je ne pouvais déjà, du fait de mon âme sensible, ne pas pouvoir supporter la violence des films au cinéma, mais qu’en dire pour la voir en réalité?

    C’était à la fin de ma scolarité Je trouvais un jour la force d’affronter mon père pour lui signifier que s’il continuait encore, je ne lui adresserais plus la parole. Après la taloche, mon père oublia cela, mais pas moi. Effectivement, dès le lendemain je mis en action ma promesse. Bien sûr, il n’était pas question d’un mutisme total, je répondais par oui ou non quand il m’interrogeait, mais plus aucun commentaire ni demande ni réponse ne sortit désormais de ma bouche, j’étais muet, muré dans ma souffrance et ma colère.... Les scènes ne cessèrent pas pour autant, mais je n’y assistais plus, me repliant dans la chambre...Cependant j’avais encore le son, ce qui revenait pratiquement au même...

    Cependant, petit à petit, je constatais que mon père pliait. Il avait du ressentir ma volonté et les réflexions devaient commencer à cheminer dans son esprit. Il devait penser que je le méprisais, que j’allais fuir ou je ne sais quoi. Et puis peut-être, constater tant de volonté de la part d’un petit bonhomme avait du commencer à le mettre en face de lui-même, lui faire honte. Après avoir perdu l’estime de sa propre femme, perdre l’estime de ses enfants devenait sans doute pour lui, le début de la déchéance.....

    Alors, les coups cessèrent, je voyais mon père devenir de plus en plus malheureux, et cela me touchait. Devant sa bonne volonté, et je vis un jour ses yeux suppliant de chien battu briller de larmes lorsque je ne répondis pas à une question qu’il me posait. Je ne pu résister plus longtemps et lui signifiait alors ma volonté de reprendre le dialogue, ce qui eut pour effet immédiat de déclencher chez mon père une bonne grosse crise de larmes salutaire qui fit du bien à tout le monde....

    Ce fut également pour moi un moment très important, car par cet acte je commençais à desserrer le lien, à entrer dans mon premier défi, à posséder la première partie de mon examen de passage dans l’âge adulte, examen que je devais réussir entièrement quelques années plus tard.

    Leur lutte interne régulière n’était pas la seule cause de ce climat tendu. Mes frères ayant quelques peu grandis, ils dormaient donc, l’un avec mon père, l’autre avec ma mère, ceci jusqu’à une période d’armistice, pendant laquelle mes parents décidèrent enfin de partager leur couche. Le lit de mes frères, vint de ce fait encombrer ma chambre dans laquelle je commençais à avoir mes habitudes.

    Donc, comme si c’était nécessaire mes parents élurent chacun leur chouchou. Tout naturellement ce fut celui qui dormait avec chacun d’entre eux qui devint leur champion. Raymond ce fut mon père, Michel ce fut ma mère.

    A partir de ce moment, les repas surtout, mais toutes les occasions devinrent bons pour les affrontements, par enfants interposés. Raymond dont le passé maladif avait laissé quelques traces capricieuses, ne se gênait dorénavant plus, se sentant soutenu par mon père, pour refuser de manger tout ce qu’on lui servait et réclamer autre chose avec des commentaires d’usage sur la mauvaise qualité de la nourriture. Attitudes qu’il a d’ailleurs gardée jusqu’à la fin de vie de mon père, déclenchant à trente ans, les mêmes réactions colériques...., mon père, approchait alors de la soixantaine....! Quand même! Et les affrontements, plus courts il est vrai, mais aussi insultants recommençaient, chacun prenant fait et cause pour son champion.

    Je me trouvais au milieu de cette ambiance, me taisant le plus possible sous peine de servir d’exutoire à ces puncheurs déchaînés. Mon mutisme ne m’empêchait pas de prendre de temps en temps ce qui me revenait, mon “air narquois” dont je n’avais pas conscience, devenant alors le prétexte de la frappe.

    Dans le fond, ceci fut cependant un bien pour moi, mes parents tout occupés à la surprotection de mes frères me lâchaient un peu. Malheureusement, ce fut par voie de conséquence mauvais pour mes frères qui accentuèrent leur dépendance et furent condamnés à vie à bénéficier de l’appartement et de la sollicitude parentale....

    Je fus aidé dans mes timides tentatives de conciliation par l’installation d’un couple assez jeune dans le logement du rez de chaussée resté vacant comme je l’ai dit pour cause de praticité, le couloir d’entrée coupant en deux le logement. Sortis d’un milieu modeste l’un comme l’autre ils se prirent par miracle, et pour des raisons que je n’ai jamais vraiment comprises, de sympathie avec mes parents et réciproquement, ceci pour une longue durée qui se les fit suivre les uns les autres au gré des déménagements successifs.

    Cette arrivée dans notre vie de la famille David et la façon de Gilbert, le mari, de prendre mon père à la rigolade dans ses crises de grogne, aida à résoudre bien des problèmes. Ils nous apportèrent bien plus que cela, car leur simple présence, d’ailleurs très fréquente dans notre appartement, représentait chaque fois une trêve bienfaisante dans notre climat hypertendu. Je les voyais arriver, mes parents aussi, avec bonheur, et les noëls, et fêtes que nous passâmes ensemble nous firent renouer avec les plaisirs de la convivialité.

    Afin de passer ma communion solennelle à Saint Vénérand avec les copains, je continuais à fréquenter quelques temps la messe dominicale de cette église désormais assez éloignée. Pas toujours avec assiduité car il m’arrivait de donner l’argent de la quête à un malheureux tendant sa casquette sur le parvis et de passer l’heure destinée au remplissage de mon âme pour la semaine, à quelques pas de là, dans l’atelier d’un peintre naïf qui m’avait fait l’honneur de m’accepter à condition que je ne dérangeât point. Il y avait une pièce au rez de chaussée où il exposait ses tableaux et une autre à l’étage qui servait à tout: dormir, manger, peindre. Lorsqu’il descendait recevoir un client, je m’empressais de jeter un coup d’oeil derrière la porte; c’est là qu’effectivement il remisait ses nus......

    Bref, j’effectuais ma communion solennelle à St Vénérand, dans une belle aube blanche louée pour l’occasion, accompagné de mon obésité qui ne m’avait pas lâché et qui faisait de moi le plus potelé des communiants. Ce fut malgré tout un moment merveilleux. Comme me dit Mme Pichet, la voisine du premier étage, dans la courette de ma maison, alors que je laissais les adultes à leurs libations après la cérémonie “Tu as quatre moments dans la vie où tu es réellement à l’honneur, ta naissance, ton mariage, ta communion et ton enterrement, mais tu n’en profiteras que pour deux d’entre eux, alors amuses toi”!

    Ma grand-mère, qui devait décéder peu après m’offrit un gobelet en argent, cadeau royal mais pas de nature à spécialement m’enthousiasmer, d’autres m’offrirent un crucifix à accrocher au dessus de mon lit, pas mal non plus..... Heureusement mes parents m’offrirent une montre, qui à elle seule valait largement tous les autres cadeaux.

    Ma mère souhaitait cependant que je continue à fréquenter les célébrations dominicales après ma communion. N’ayant pas la possibilité de répliquer, étant malgré tout un enfant soumis il me fallut donc m’y résoudre. L’église St Vénérand étant très éloigné et n’ayant plus l’obligation de m’y rendre une fois la communion passée, je dirigeais donc mes pas vers le grand séminaire, où une messe avait lieu tous les dimanches dans la chapelle. Il me fallait juste remonter la pente raide de la rue de l’Ermitage, traverser le pont qui surplombait la ligne de chemin de fer pour me retrouver devant les hauts murs qui entouraient le grand séminaire. Avant d’assister à l’office, que je voyais comme une corvée, je prenais plaisir à attendre, sur le pont surplombant la ligne, le passage régulier du train, afin de me noyer quelques instants dans la fumée blanche jaillissant de la locomotive. Il s’ajoutait à cela le bruit sourd et puissant de la machine et le pincement au cœur en voyant ce monstre se précipiter vers moi de toute sa puissance.

    La messe du grand séminaire ne changeait pas des autre; assis sur mon banc j’en attendais la fin, pensant au programme télé de l’après-midi. Il se produisit cependant un évènement qui devait mettre fin pour une longue durée à ce pensum dominical. Au moment de l’élévation, m’étais-je levé trop brusquement où étais-ce l’effet de l’encens dans l’atmosphère confinée de cette chapelle moins vaste qu’une église, toujours est-il que je commençais à voir des chandelles au milieu des bougies. Je dus sortir précipitamment à l’air frais afin d’éviter de perdre connaissance.

    Au retour, ma mère quoiqu’un peu sceptique, mais pensant à un possible malaise passager, s’inquiéta quand même quelque peu. Je dus cependant retourner au culte la semaine suivante. Le même phénomène s’étant répliqué il me fut désormais permis de rester au lit le dimanche matin, avec malgré tout une idée légèrement culpabilisante sur mes relations avec Dieu qui ne voulait désormais plus de moi chez lui.

    Ma grand-mère mourut, il fallu teindre les vêtements en noir, ce qui fut l’objet d’une crise supplémentaire, ma mère désirant garder un gilet grenat sous son manteau, sans doute autant par provocation que pour marquer le manque de respect qu’elle avait pour la morte... Nous nous rendîmes pour l’enterrement à la chapelle de la maison de retraite de la “Coconnière” situé sur la route du Mans où ma grand-mère passa ses dernières années. Nous évitâmes le trajet en bus grâce à la contribution automobile des enfants du Pépé Placé, lui même décédé deux ans auparavant. Ils souhaitaient assister à l’enterrement et s’étaient pour cela déplacés de la région parisienne. Il n’y avait pas de voiture à la maison, mon père n’ayant pas son permis de conduire, les pieds servaient à aller partout, sans que ce fût pénible. Les grands trajets se faisaient en Bus dont l’aire de stationnement se situait alors au milieu de la place du 11 novembre.

    Même après sa mort ma grand-mère devait continuer à me narguer, en particulier à la Toussaint où nous allions, en bus précisément, déposer sur sa tombe les chrysanthèmes traditionnels. J’étais régulièrement de corvée de portage, au milieu des clients du bus, la plante dans mes bras, rouge de honte jusqu’au moment du dépôt libérateur sur la tombe de ma grand-mère qui devait, là-dessous, me regarder en ricanant...

     

     

    Quand on vient en Guadeloupe, il est un endroit magique qu’il ne faut pas manquer : c’est la porte d’enfer. Il se trouve situé sur la côte Atlantique du nord de la Grande Terre, en contrebas de la route de la pointe de la Grande Vigie.

    L’océan a creusé à cet endroit une passe entre les falaises qui s’étend sur plusieurs centaines de mètres à l’intérieur des terres. C’est un contraste saisissant de voir la mer, généralement très forte à cet endroit, en mélangeant les bleus tendres, les bleus foncés et les écumes blanches, s’engouffrer en grondant dans la passe et quelques brasses plus loin se transformer en plan d’eau calme et chaud où il fait bon se baigner. Cette étendue d’eau est remplie de petits poissons et c’est un régal de voir les pécheurs à l’épervier, à mi-corps dans l’eau, d’un geste majestueux lancer le filet qui souvent se remplit de poissons brillants argentés.

    On part à pied à l’assaut de la falaise calcaire par un sentier ombragé. Arrivé en haut le paysage est saisissant, c’est une harmonie de couleur changeantes, la mer rivalisant de beauté avec le ciel bleuté moucheté de blanc. A l’ouest, l’île de la Désirade en forme de chaussure déforme la ligne d’horizon. Un peu plus loin, il faut se rendre au”trou a man coco”, profonde excavation dans laquelle la mer se jette avec furie. Plus haut encore, sur le plateau, sous le soleil ardent, un paysage de garrigue rempli de buissons de toute nature, d’arbres nains et de plantes grasses s’offre à nos yeux : le frangipanier aux fleurs blanches cirées, le romarin bord de mer, le résiniers nain et bien d’autres plantes qui sentent, celle-ci le lilas et d’autres des arômes subtils indéfinissables. Il faut prolonger jusqu’au trou du souffleur, une bonne ballade plus loin. Il s’agit d’un effondrement du terrain, loin à l’intérieur des terres et dans lequel la mer par un souterrain s’engouffre en soufflant. Juste à côté, protégés de leur chapeau de paille, les pêcheurs d’orphies lancent leurs lignes du haut de l’impressionnante falaise.

    Au retour, la baignade est obligatoire, dans le calme lagon, face à la mer en furie.

    Dans ce nouveau logement, près de la rivière, je dus inventer d’autres jeux, l’eau et ses plaisirs m’attirèrent naturellement, surtout dans l’égout de la fonderie, rejetant un liquide aux jolies couleurs moirées, parfois vertes qui venait se jeter dans la Mayenne. Je m’amusais, sans avoir conscience du risque de brûlures, à édifier des barrages ralentisseurs à l’aide de pierre et de mottes de terre. Il y avait également derrière la maison quelques verdures dans lesquels je récoltais lézard et papillons et où j’imaginais des parcours aventureux en me frayant un chemin parmi les arbustes et les ronces.

    Le dimanche, je me rendais, presque toujours chez ma cousine et j’allais au cinéma avec Annick, leur fille Cependant nous avions changé de lieu de spectacle: Annick m’ayant fait délaisser les films un peu trop sélectionnés et conformistes des Francs archers, pour m’emmener soit au cinéma des variétés au climat intimiste, ou au théâtre, salle immense, avec loges, orchestre et balcons où dominaient les velours rouges et or. Lorsqu’ il n’y avait plus de places, nous allions parfois tout en haut, sur une galerie aux bancs de bois, protégés du vide par une simple rampe de fer, c’était impressionnant.

    Les cinémas étaient très fréquentés à cette époque pré télévisuelle, et parfois nous devions nous contenter des strapontins; cependant au lieu des sièges en bois inconfortables de la salle du patronage, nous avions droit à des fauteuils bien rembourrés. La qualité des films s’était également améliorée, il était même possible, par hasard de voir brièvement une poitrine nue, ce qui me mettait en émoi.

    Ces sorties au ciné durèrent longtemps, jusqu’à ce que je commence à travailler. J’étais devenu petit à petit amoureux de ma cousine Annick, bien sûr sans espoir, mais le plaisir que j’avais à arpenter avec elle les rues peuplées de Laval sous le regard envieux des garçons en recherche de connaissance me remplissait d’aise. J’avais également l’occasion de l’approcher d’un peu plus près lorsqu’elle se mit en tête de m’apprendre à danser. Adorant les bals, elle me préparait alors à l’accompagner. Ces séances de contacts furtifs me laissaient rêveur pendant quelques jours, j’attendais ensuite avec impatience notre prochaine rencontre en espérant qu’elle ait encore envie de m’apprendre la danse...

    Et un jour, je devais approcher de ma seizième année, je m’en souviens comme si c’était hier, je marchais avec Annick sur le Pont Neuf qui enjambait la rivière lorsqu’elle me fit une proposition de flirt à peine voilée qui me fit battre le coeur une vitesse folle, me rendit les mains moites et l’esprit égaré. Il faut dire qu’en l’espace d’un an, j’avais poussé comme un champignon et que par cet effet je m’étais affiné au point de me rendre tout à fait présentable pour la population féminine, ce dont je n’avais pas encore pris conscience. Et c’est ma cousine, celle que j’avais admirée en secret depuis des années qui me le révélait! Et que croyez-vous qu’il arriva?..... Rien, rien de rien... Aussi bête que je le fus plus tard dans de nombreuses circonstances analogues, je déclinais royalement sa proposition, moi qui depuis des années rêvais de lui tenir la main! Mon absolue timidité, qui se manifestait encore plus à l’égard des filles, et qui provoquait, en même temps qu’un rougeoiement total de la face qui ferait honte à une borne d’incendie la perte de la totalité de mes moyens, avait encore frappée.

    Inutile de dire que la proposition ne se renouvela point, et quelques temps après, la fin de nos sorties coïncida avec mes recherches maladroites de l’aventure féminine.

    C’est à cette période que ma mère découvrit ce qui devint la passion qui ne la quitta pas de toute sa vie : Les courses de chevaux. La Mayenne était et est encore, un département d’élevage des chevaux de course, en particulier des trotteurs. A ce titre, et plusieurs fois l’année, la société des courses organisait sur l’hippodrome de Bellevue à Laval des réunions hippiques qui attiraient un monde fou. Nous allions coté pelouse, à l’intérieur de l’anneau de course, avec le petit peuple aux petits moyens. Une seule baraque de paris s’y tenait, mais il y avait une ambiance bon enfant qui me ravissait. On y voyait moins bien que de l‘autre côté de la piste appelé «  le pesage » garni de hautes tribunes de béton. Bien entendu toutes les animations avaient lieu là-bas : les joueurs de cors de chasse qui se produisaient aux intercourses et dont nous entendions le son assourdi, le va et vient des chevaux qu’on attelait, soignait, le rond de présentation qui permettait d’approcher des très près nos équidés.... J’ai envié pendant longtemps cet endroit privilégié où nous avons fini un jour par nous rendre et qui était vraiment beaucoup mieux à tous les points de vue. Il n’empêche que, plus tard, il m’arriva, seul, de me rendre, surtout les lundis, jour des connaisseurs, au milieu de cette pelouse où les gens se parlaient comme une famille, échangeaient leurs impressions, se demandaient entre eux le nom des favoris et se partageaient la bière de la buvette quand ils avaient gagné...

    Pendant cette période je me mis à fréquenter un endroit qui me fournit par la suite beaucoup d’amis et où j’eus bien du plaisir, il s’agissait de ce qu’on appelait les baraquements du palais de l’industrie. : A la fin de la guerre, dans le but de loger les déshérités il fallut construire, en préfabriqué, des logements simples, collés les uns aux autres, couverts de toile goudronnée et tapissés de bois à l’intérieur, ceci dans différents endroits de la ville. Ceux situés à coté du palais de l’industrie recueillirent beaucoup de mes pérégrinations ultérieures.

    Le Palais de l’Industrie était un immense bâtiment de briques rouges composé de deux bâtiments rectangulaires joints entre eux par un autre bâtiment, plus bas, de même nature. L’ensemble était très imposant et occupait toute la largeur de la place. C’était le lieu où se déroulaient toutes les manifestations importantes de la ville: Réunions de boxe, arbres de noël, foires exposition et surtout bals et sauteries, ces dernières se déroulant l’après-midi. Etant autorisé à sortir seul l’après-midi c’est un endroit qu’à partir de seize ans je devais fréquenter assidûment.

    A la droite de ce palais, cachés par une allée de marronniers s’allongeait quatre rangées de baraquements, d’une dizaine de logements chacune. C’est dans un de ces logement que vivait désormais mon oncle Auguste frère jumeau de mon père. Il avait eu une chance phénoménale de se faire séduire, car je ne crois pas que ce fut l’inverse, par une divorcée de sept enfants, qui en avait à l’époque encore deux à sa charge et qui en des circonstances indéterminées avait réussi à attirer à elle ce bon garçon pusillanime.

    Ce fut pour lui une bénédiction, il éleva comme les siens les enfants restants et bénéficia toute sa vie de la sollicitude de sa bien aimée, prénommée Juliette, qui avait l’immense mérite d’être dévouée, d’avoir du caractère, d’être intelligente et d’aimer le vin de Bordeaux. Elle avait une voix forte et même si ma mère ne l’aimait pas beaucoup, il nous est arrivé de temps à autres selon la volonté de mon père, de nous rencontrer pour un repas en commun. J’ai pu alors me rendre compte à quel point mon oncle, promis à un avenir médiocre de solitaire, s’était épanoui après la rencontre de cette femme. Elle dirigeait toute la maisonnée avec une poigne de fer, mais donnait l’impression à tout instant que c’était l’oncle qui conduisait la manoeuvre et pour ce faire elle le valorisait constamment, faisant semblant de lui obéir avec respect lorsqu’il élevait la voix. Elle aimait bien son “Papy” comme elle l’appelait, et ses enfants ont toujours respecté celui qui aida sa mère à les élever. Jusqu’à la fin elle se dévoua à ses côtés. Le caractère anxieux et mélancolique de mon oncle ne s’arrangea pas avec l’âge et le conduisait de plus en plus souvent à des états dépressifs que les médicaments soulageaient à peine. Malgré cela elle fit preuve sans faiblir à la fois de douceur et de fermeté pour permettre à mon oncle de passer une fin de vie agréable.

    Je fis donc mon entrée dans ce lieu dit « les baraquements », grâce à mon oncle. Accompagné par le jeune de la maison Gérard, le dernier des sept enfants, je découvris toute la faune alentour, précédée d’une fort mauvaise réputation. En ce qui me concerne, je m’y suis rendu seul très souvent, sans aucune appréhension et sans n’avoir jamais reçu de réflexions d’aucune sorte. Je pus constater une fois encore que la pauvreté se trouvait comme toujours marginalisée, sans véritable raison que celle d’avoir provoqué l’inquiétude chez ceux qui ne l’avaient jamais côtoyée. J’allais souvent aux baraquements pour d’autres motivations que celle de rencontrer mes amis : il y avait en effet une promiscuité intéressante avec l’ élément féminin , pas très farouche, et qu’à défaut de toucher, je pouvais regarder vivre tout à loisir.

    Mon ami Gérard m’entraîna avec lui dans bien des logements alentour; me donnant l’occasion d’y faire des relations intéressantes. J’y trouvais même celle qui, à l’occasion d’un bal, allait m’octroyer les faveurs de mon premier baiser.... comme pour elle il s’agissait également d’une première, la satisfaction mutuelle en fut d’autant plus complète. Mais n’allons pas trop vite....

    Je ne voudrais pas à présent que mes parents apparaissent comme des personnages brutaux et vulgaires. C’était loin d’être le cas. En ce qui concerne mon père, élevé avec son frère jumeau jusqu’à dix ans, il n’avait, je suppose, pas bénéficié de beaucoup d’affection de la part de ses parents jusqu’à cet age, le milieu commerçant, encore aujourd’hui et du fait de son obligation de présence à la clientèle, ayant beaucoup de mal à assurer une disponibilité propice aux écoutes et câlins.

    Mon père choisit par obligation, celle-ci étant enceinte, mais peut-être aussi par amour, une femme qui, elle même, cela se voit sur la photo de leur rencontre, ressemblait à un monument de souffrance. Malgré toute son attention, il ne put jamais réellement lui apporter la sérénité nécessaire à une bonne entente.

    .

    Mon père était quelqu’un de bon, cela paraît bien surprenant après ce que j’ai écrit, mais c’était vrai. En dehors de la maison, il était respecté et aimé de ses amis. Lorsqu’il eut un peu d’argent il n’hésita jamais à aider un camarade en difficulté. Ses mouvements d’humeur nous étaient réservés, malheureusement autant à la maison qu’à l’extérieur, où ses explosions déclenchaient, à ma grande honte, les ricanements embarrassés des passants. Il octroyait également ses humeurs, cependant en moins violent car n’ayant pas de réplique à sa mesure, à son frère jumeau, mais je crois davantage sous forme de jeu. Il avait un tempérament colérique et soupe au lait; il explosait certes tout de suite mais se calmait aussitôt. Cependant ce tempérament explosif existait surtout par les réponses aux provocations, ce dont ma mère et mes frères ne se privaient pas.

    Il ne manquait pas non plus de courage : je me souviens, qu’un soir , en passant devant le square de la place de la mairie, je le vis séparer deux antagonistes, en sang, qui se battaient au couteau, les spectateurs se tenant à distance....

    Il avait également la fibre sociale, il adhéra longtemps au syndicat C.F.T.C. et participa, sans trop réellement s’engager, à la gestion de la section départementale. Il s’occupait aussi du comité d’entreprise de l’usine et de la caisse d’entraide dont il était la plaque tournante. Il s’agissait d’une sorte de mutuelle destinée à venir en aide aux ouvriers dont les moyens ne permettaient pas de régler leurs prestations médicales. Il fut également pendant quelques années assesseur au conseil des prud’hommes du fait de son appartenance syndicale.

    Il savait être doux et tendre, il suffisait de savoir le prendre et le jeune couple des David, du rez de chaussée le prouva. Il les considéra comme ses enfants et ils bénéficièrent souvent de sa générosité. Il ne se mettait qu’exceptionnellement en colère en leur compagnie et lorsque cela arrivait, une simple petite boutade de Gilbert le calmait instantanément.

    Il détestait être négligé sur le plan vestimentaire. Je l’ai toujours vu, malgré sa grosseur, tiré à quatre épingles. Tous les détails comptaient, surtout lors des sorties où cravate avec épingle en or, et chemise blanche étaient de rigueur. Il m’examinait avant de sortir, et rectifiait la veste par ci, le pantalon par là et, ce que je détestais, mouillait son mouchoir de sa salive pour essuyer une tache sur mon visage.

    Au moment de son décès, seul à l’avoir suivi au moment sa mise en bière, il se produisit, alors qu’aucune émotion ne m’affligeait vraiment, un évènement qui me retourna et faillit m’arracher une larme: En arrivant dans la chambre du funérarium je constatais que le bouton de son col était défait et que sa cravate, non serrée était de travers. C’était une situation qu’il n’aurait jamais tolérée et c’est vraiment là que je pris conscience de sa mort.

    Ma mère, de son côté, malgré l’enfance qu’elle avait vécue, n’était pas au fond une mauvaise personne. La période d’adaptation en France étant passée, elle sut me gâter avec ce qui m’avait manqué. Pour mes frères, cette affection possessive de mère poule devait hélas leur jouer un mauvais tour, car elle ne les lâcha pas, et à coups de petits déjeuners au lit, de friandises et d’attentions elle su se les attacher jusqu’à son départ pour l’autre monde.

    Elle avait réussi à se faire un petit réseau d’amis, encore plus dans le milieu des courses de chevaux qu’elle fréquenta de plus en plus assidûment et où elle devint connue au point de toujours trouver, quel que soit l’endroit, une bonne âme pour lui tenir la conversation.

    Malgré qu’elle fut une reine de la provocation, elle ne troublait que ceux qui tombaient dans son jeu et elle se conduisit avec moi, la plupart du temps, surtout dans la seconde partie de sa vie; comme une maman tout à fait acceptable.

    J’ai conscience aujourd’hui d’avoir bénéficié des parents que j’avais certainement du choisir, et qui convenaient à la formation de mon caractère. Le challenge était élevé, à la mesure des récompenses dans la voie qui m’était proposée.

    Cette période, vous l’avez compris fut sans doute une des plus pénibles que je connus. Mes parents, mon père surtout, sans doute en réaction à son silence extérieur, m’avait toujours écrasé de son autorité paternelle. Ma mère ne me laissant pas non plus la possibilité de m’exprimer. Petit à petit, contraint en cela par l’insupportable spectacle de leurs luttes, je fus amené à me replier sur moi-même. Pendant ces quelques années, étant éloigné de mes amis, et n’étant pas encore autorisé à sortir seul , je passais des heures désormais à ne rien faire, accoudé à la fenêtre de ma chambre, regardant les autos et passants sans réfléchir à rien..

    Je lisais beaucoup, et m’impliquais dans mes lectures, je lisais très vite et ressentais fortement les émotions et les situations que les auteurs mettaient dans leurs ouvrages. J’inventais aussi des jeux solitaires, découpant dans les illustrés des personnages, fabriquant des champs de bataille à l’aide d’objets de toute nature: vêtements, morceaux de bois, brosses etc.; dans lesquels je mettais en scène mes personnages découpés. J’étais le général en chef, l’organisateur des batailles, j’avais l’impression d’être quelqu’un, d’exister pour quelque chose. Je faisais tous les bruitages : à la fois le son des canons, les cavalcades des chevaux, les détonations et les cris d’agonie des mourants.

    Je récupérais aussi les capsules des bouteilles et je garnissais l’intérieur de morceaux de papiers découpés que je colorais ensuite aux couleurs des équipes du tour de France et y inscrivais le nom de mes favoris. Ensuite, comme avec des billes je donnais des pichenettes dans chacune des capsules pour les faire avancer le long d’un parcours que je fabriquais. L’arrivée passée, j’inscrivais, sur des feuilles de papier, en fonction des résultats, de longs classements, avec des temps en fonctions de la distance les séparant. En ajoutant les temps, j’avais un classement général, puis par addition supplémentaire celui par équipe etc... Je noircissais des pages et des pages, ce qui me prenait un temps fou, parfois des semaines mais j’étais devenu un as dans l’addition des temps.

    Ma retraite du monde, les brimades, les coups, eurent comme conséquence de déclencher une timidité qui me paralysa littéralement pendant bien des années. Cette timidité bien sûr provenait d’un manque total de confiance en moi. Mon père, je l’ai précisé, m’ayant toujours en toute occasion et devant témoin quand il y en avait, considéré comme un incapable. Bien que son attitude était sans doute dictée par une réaction face aux humiliations dont il se sentait lui même victime, cela ne me consolait pas.

    Mon excessive, on peut même dire maladive, timidité m’handicapa tellement que je ne pus pendant longtemps parler ni même regarder les jeunes filles de mon âge sans rougir à la moindre allusion, même innocente, me mettant en cause. Ce rougissement s’accompagnait d’un désir de fuir le plus loin et le plus vite possible.

    Cette réaction s’effectuait également n’importe où, en présence de n’importe qui, sans que rien ne puisse le justifier. Il fallait toujours combattre, être sur ses gardes, fuir les gens, les situations délicates, ce qui avait pour conséquence un réel pourrissement de la vie.

    En réaction à tous ces problèmes je développais, afin de conserver un semblant de fierté, une sorte d’agressivité, qui avait pour but de faire passer le rougeoiement du à la timidité pour celui issu de la colère, ce qui réussissait parfois, mais cela ne me convenait pas, car il s’agissait d’un jeu, d’une composition, ce n’était pas moi...

    Heureusement, mon tempérament réactif et combatif me poussa plus tard, dans ce combat contre moi-même, à réagir contre cet état qui m’handicapais tellement : guérir le mal par le mal était devenu, je le croyais, le moyen de ma guérison.

    Je me mis alors à adhérer à des mouvements associatifs me permettant de communiquer le plus possible. Je me pris de passion pour le théâtre, libérateur de la parole, allant même jusqu’à me produire plus tard dans des conférences. Au fil du temps ce manque de confiance en moi déclina, me permettant de vivre d’une façon plus agréable, mais il en resta toujours des séquelles, surtout lorsqu’on élève la voix devant moi ou que l’on me reproche quelque chose.

    En fait, je suis un doux, je l’accepte et l’admet, je crois que ce fut la seule solution acceptable pour trouver la paix, mais il me fallut du temps avant de le comprendre....

    Ce manque de confiance en moi me contraignit ensuite dans ma vie professionnelle à un véritable parcours du combattant. Etant promu à des tâches exigeant de plus en plus de responsabilité et progressant dans la hiérarchie, il me fallait bien faire face, pour ne pas décevoir mes supérieurs qui croyaient en mes capacités. Je palliais donc à mes lacunes avec mes armes.

    Grâce à mes facilités d’apprentissage, de retenir, d’organiser, de m’adapter rapidement, je pus combler ce qui m’apparaissait comme des gouffres de méconnaissances.

    Compte tenu de ma timidité il ne fallait pas que je fusse pris en défaut, autant dans mon savoir que dans l’application à mon travail.

    Ceci me conduisit à ce besoin que j’ai eu longtemps de tout connaître, de tout maîtriser, afin ne pas risquer de perdre pied complètement à la moindre question pour laquelle je n’aurais pas eu de réponse.

    Elle n’est pas facile la vie d’un timide. Je terminais par le plus difficile, un métier exclusivement relationnel, sans doute par défi. Une activité purement commerciale où je devais gagner ma vie uniquement par la parole et par la transmission de ma conviction.

    Cette lutte m’épuisât très longtemps, jusqu’à ce que je comprenne que pour gagner ma paix intérieur il fallait que j’accepte, que je m’accepte tel que j’étais.

    Il me fallait lâcher prise, c’est ce qui m’a permis de répondre à ce qui me sera demandé plus tard. Cette acceptation confiante me donna en partie cette paix à laquelle j’avais tant aspiré.

    Ce fut donc un long et difficile combat qui prit naissance au cours de ces années galères.

    Aujourd’hui se pose la question de savoir si j’aurais du accepter dès le début de plier, de laisser faire, d’abdiquer en quelque sorte... Je me demande ce que je serais devenu... L’exemple de mes frères me rassure un peu sur l’utilité de mon combat. Je crois que de toute façon je n’avais pas ce choix car il ne m’était pas possible de rester dans cet état de soumission, toute ma personnalité me demandait de sortir de cette situation tellement difficile à gérer...

    Seulement il a fallu admettre que ce combat avait une fin, il avait fallu lutter longtemps pour le comprendre, pour l’accepter il était nécessaire de parcourir l’éventail.

    Aujourd’hui, quand un compliment déclenche encore une rougeur, je l’accepte sans honte, reconnaissant que je suis ainsi, sensible et réservé, et j’en suis fier...

    Le problème de l’acceptation c’est qu’il entraîne malgré tout une rupture dans le combat, rupture qu’il faut assimiler, car elle conduit au détachement, qu’il faut savoir gérer..., mais ceci est une autre histoire....

    Depuis nos premières vacances à St Gilles, en Vendée, le pli étant pris, nous n’avions comme idée que d’y retourner. Ce fut donc le cas pendant plusieurs années, les premières en compagnie de mon ami Gérard et de la famille David qui nous accompagnait désormais partout. Ce furent de merveilleuses vacances...

    Il y avait toujours l’un ou l’autre pour avoir de bonnes initiatives et mes parents se calmaient par obligation, n’osant pas afficher l’étendue de leurs dissensions devant témoin.

    Je me souviens de nos parties de pêche aux anguilles qui pullulaient dans une petit rivière se jetant dans un bras de mer : Le Jaunay. On ramassait sur place les vers de vase qui servaient d’appât et presque toujours on ramenait pour le déjeuner une bonne dizaine d’anguilles qu’on dépouillait et mangeait avec délice, moins pour leur goût que parce qu’il s’agissait de nos captures.

    J’allais aussi, assez souvent seul, près du sanatorium, et descendais la dune de sable jusqu’à la mer, je me plongeait en maillot jusqu’à mi corps pour trouver des grosses moules sauvages posées sur le sable et qui gisaient là, à profusion. En une demie heure, le sac de sport en était rempli, il fallait les faire dégorger un peu dans l’eau claire et ensuite elles constituaient le repas du soir.

    Quelques dizaines d’années plus tard j’eu l’occasion de retourner voir l’endroit de mes plaisirs de vacance,... Le Jaunay avait péri, vaincu par les pollutions de toutes natures, on ne pouvait plus y pêcher que des débris de plastique dans une eau saumâtre et aux couleurs indéterminées, quand aux moules, j’ai préféré ne pas m’y rendre.

    Les dunes qui bordaient la plage s’étendaient loin dans les terres et constituaient un terrain de jeu idéal pour les courses, les sauts, les parties de boule... La plage elle même se situait à deux bons kilomètres des bungalows où nous logions, mais nous faisions la route tous les jours comme une promenade. Le soleil, les maisons basses peintes de couleurs vives, les marchands de poisson, tout était nouveauté. Le soir, la fête foraine sur les quais battait son plein et j’étais autorisé de m’y promener avec Gérard, de deux ans mon aîné. On faisait des connaissances, j’ai même pu donner la main à une demoiselle pendant un trajet de retour à la maison, en coupant par les dunes, vous vous rendez compte! Moi le grassouillet sans allure...

    J’oubliais alors le retour à la maison qui déclencherait à nouveau les luttes intestines. C’était vraiment de bon moment de vie...

    Et puis la télé est arrivée, la première fois que j’eus l’occasion de la voir, ce fut chez un ami dont les parents étaient entrepreneurs de menuiserie et ne manquaient pas d’argent. Ils étaient à table et je jouais avec leur fils, lorsque sa mère nous appela. Je n’en croyais pas mes yeux, bouche bée, je voyais un cinéma à domicile, la radio avec des images. L’écran était tout petit, la télé autour très imposante ; c’était le couronnement d’une reine d’Angleterre. Après un petit quart d’heure de ce spectacle on nous pria de retourner à nos jeux, mais ça y était! Je l’avais vue! Depuis le temps qu’on en parlait, elle existait enfin, ce dont je me doutais moins c’est qu’elle allait complètement modifier nos loisirs, tout du moins pour un cycle. Après nous avoir apprivoisée elle allait nous dominer, et peut être plus tard, retourner à l’oubli.

    La télé arriva chez nous beaucoup longtemps après. En l’attendant j’allais le soir retrouver mon père au café voisin qui en avait fait l’acquisition pour regarder.... les combats de catch, c’est ce qu’on m’autorisait, pensant que c’était innocent. Mes souvenirs me rappellent que l’adrénaline était au plus haut car je croyais vraiment à leur spectacle et quand ils se frappaient je croyais réellement que c’était pour de vrai... Elle arriva chez nous dès que les prix devinrent abordables et ce fut une occasion supplémentaire pour nos jeunes voisins du rez de chaussée de venir nous tenir compagnie.

    Comme prévu nous nous sommes retrouvés, avec des amis Chantal, Gérard et leur fils Cyrille en vacances, Alain et Mina, Willy peintre paysagiste talentueux et Clara sa compagne devant le syndicat d’initiative de Sainte Rose de bon matin. Nous avions prévu de faire une ballade dénommée « Trace de la rivière Bradford », à côté de la ville de Goyave, distante d’une quarantaine de kms. En Guadeloupe un chemin de randonnée s’appelle une “trace”.

    Arrivés sur place nous avons admiré la tenue de Willy : casque blanc style colonial, la machette à la main et la veste multi poches beige, tout à fait l’air d’un explorateur. Gérard l’entomologiste qui ne perd pas le nord a fait la distribution de filets à papillons « au cas où » et sacs à dos nous sommes partis en longeant des plantations de bananiers, tout en repérant les régimes cassés et mûrs tombés à terre et donc non commercialisables qui nous seraient utiles pour l’éventuelle faim du retour...

    Le long de la route qui mène à la rivière nous avons eu droit à quantités d’explications sur la nature tropicale et ses habitants par Gérard, qui connaît tout ou presque sur le sujet, mais également par Willy, grand amateur de plantes. Ainsi nous avons appris qu’un certain arbre, toujours creux est colonisé par les fourmis et qu’un papillon qui ne se reproduit que sur cet arbre est obligé de rechercher celui que les fourmis n’occupent pas. Nous avons vu aussi de petits insectes amphibies qui peuvent également se déplacer en volant et en marchant et qui pour cela ont développé une deuxième paire d’yeux, c’est vrai que c’est plus pratique.... Nous avons admiré aussi, dans cette forêt tropicale beaucoup de plantes curieuses et belles : un magnolia sauvage en fleur, des lianes qui poussent de 50 cm par jour etc... etc...

    Arrivés à la rivière nous avons du remonter le courant, en passant sur les bords, sentier ou rochers, avec beaucoup de difficultés pour ces dames qui ont fini par s’entraider en glapissant! Elles ont enfin compris qu’il fallait mieux mettre les pieds dans l’eau avec les chaussures... et que c’était même rafraîchissant!!!

    Au bout d’une demi-heure de remontée du courant, tantôt sur les rochers, tantôt dans l’eau, à un détour de la rivière, nous apparut le spectacle somptueux, dans le soleil, de la cascade de Bradford, au milieu d’une végétation dense et s’effondrant en paquets blancs dans un grand bassin d’eau transparente . La cascade...haute d’une soixantaine de mètres se cassait sur un premier bassin profond, situé à mi-hauteur, avant de rebondir dans un fort grondement assourdissant...

    Le bassin invitait à la baignade, ce dont nous ne nous sommes pas privés et c’est longuement que nous avons profité de la fraîcheur relative de l’eau. A plusieurs, nous avons grimpé jusqu’à la première petite retenue d’eau. C’était magnifique car nous étions juste au dessous de la cascade et nous pouvions voir l’eau chuter sous un angle impressionnant.

    Après un petit massage dans les bouillonnements nous nous sommes séchés sur les roches chaudes avant de repartir. Willy avait emporté son carnet de croquis, il a cependant préféré prendre une photo, il en fera sa prochaine oeuvre.

    Au retour, sans complexe, il a déterré une vingtaine de plantes qu’il replantera autour de sa case, comme il appelle sa demeure de tôles et bois. Gérard, pour sa part, a du se satisfaire de ses trois papillons, ce qui semblait bien lui convenir.

    Sur le chemin du retour, en passant devant la plantation de bananiers nous n’avons pas hésités à nous restaurer de délicieuses bananes, bien grosses et mures à point, jusqu’a ce que notre estomac n’en puisse plus...

     

     


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    Chapitre 4
     

     

    CHAPITRE IV


     


     

    Voilà, l’école était finie comme le disait Sheila, c’était de circonstance car la fin de ma scolarité coïncida avec la libération que les années soixante devaient apporter à cette jeunesse dont je faisais désormais partie. Années bénies qui devaient remplacer Tino Rossi par Elvis Presley, substituer les chemises à fleurs et pantalons pattes d’éléphants aux costumes cravates et aussi échanger la coiffure bien dégagée derrière et sur les côtés avec le cran gomina, par les cheveux longs et libres.

    Je n’absorbais pas cela d’un seul coup, la domination parentale était encore là mais ces quelques années qui m’emmenèrent jusqu’au service militaire devaient rester empreintes de cet élan libératoire. Ces années devaient me permettre également de me lancer à la fois dans la vie professionnelle, l’activité sportive et la recherche féminine, que l’on peut considérer également comme une forme de sport...

    Je tirais donc un trait sur ma vie scolaire, un peu par ma volonté, car je ne m’estimais pas capable d’aller en seconde. Cette conviction provenait sans doute des nombreuses années pendant lesquels mon père m’avait considéré comme un “bon à rien”. Il n’avait pas manqué de me le dire à chaque occasion ; il ne s’en priva d’ailleurs pas ensuite et ceci fort longtemps. Mon B.E.P.C., que je passais les doigts dans le nez, faisait néanmoins sa fierté, naïveté ou irréalisme, ravi qu’il était d’avoir un fils diplômé.

    Cet examen, je ne me rappelle pas avoir douté un seul instant de le réussir, il me suffisait d’apprendre les matières du programme sur lesquelles j’avais fait l’impasse pendant ma scolarité. Je savais n’avoir aucune difficulté en français et en maths, le reste ne m’effrayait pas, il suffisait d’apprendre.

    Il ne me fallu pas plus d’une semaine pour me mettre en mémoire le programme d’histoire, celui de géographie ainsi que ceux des autres matières de l’examen, grâce à cette “mémoire photographique” dont j’ai toujours bénéficié.

    Je l’avoue, cette facilité m’apparaissait totalement injuste par rapport aux élèves “bûcheurs” qui passaient beaucoup plus de temps que moi dans l’assimilation des textes livresques. Cette injustice me semblait cependant une petite revanche envers ceux qui se moquèrent de moi sans compter lors de ma période enveloppée.

    Il du cependant se passer quelque évènement au moment de la communication des résultats de cet examen et de la décision parentale de cessation scolaire qui lui fit suite. La surprise arriva de la part du directeur du C.C. le fameux “Bébert”. Je n’avais eu affaire à lui qu’une fois, pendant un cours de gym où mon obésité m’handicapant, autant que les railleries de mes camarades, je simulais un problème cardiaque pour échapper aux exercices physiques imposés. Le fameux directeur, fan de sport, me pris alors le pouls pour vérifier la soi-disant tachycardie qui m’indisposait. A ma grande surprise, l’examen dut certainement être concluant, car il me laissa tranquille, en grommelant cependant quelque peu.

    Monsieur Albert Legendre, directeur du « cours complémentaires » convoqua donc mes parents en apprenant leur volonté de ne pas me faire passer en seconde. Mon père toujours aussi courageux en la circonstance laissa ma mère y aller seule... on pouvait donc, sans se tromper, en déduire le résultat. Ma mère étant incapable d’avoir une discussion intellectuelle, suivait son idée, sans en déroger d’un pouce. Les efforts de “Bébert “pour me conserver dans son école, je suppose à la suite de mes résultats d’examen, butèrent contre la volonté parentale de m’envoyer au travail, afin d’apporter un confort supplémentaire à la maisonnée.

    En effet, comme pour mon père, cela jusqu’à mon service militaire, je n’obtins pas la disposition de la totalité de mes gains Au début, un”prêt” me fut accordé, c’est à dire un peu d’argent de poche pour mes loisirs; il s’agissait cependant de mon premier argent et malgré sa modicité il me permit de commencer à m’acheter...... par exemple mes premières cigarettes! Par la suite, mais beaucoup plus tard, il me fut généreusement permis de leur verser une pension, l’autorisation de conserver le reste de mon salaire m’étant désormais accordée.

    Il me faut faire le point maintenant sur ma vie spirituelle de ces années passées, car c’est ce domaine qui devait m’intéresser par la suite et me procurer de nombreuses interrogations.

    La tension nerveuse importante due à la fois aux soubresauts colériques parentaux, aux essais de développement de ma vie sociale et aux tentatives d’assumer le début de mon adolescence, que ma mère par dérision appelait “l’âge bête”, mobilisait tellement mon instinct de survie intellectuelle, que je n’eus pas le loisir de penser à autre chose. Je ne retrouvais pas mon personnage bienveillant qui m’accompagnait les années précédentes, quand aux églises, je ne les fréquentais plus, n’en ressentant pas le besoin...

    Il m’est malgré tout arrivé, à la fin de cette période de ressentir ces curieuses impressions, très fortes d’avoir connu auparavant des situations parfaitement identiques à celles que je vivais au moment présent, comme s’il s’agissait d’une réplique de faits déjà vécus.

    Je m’en étonnais par leur répétition, sans pouvoir y trouver une explication.

    Plus tard, la fréquence du phénomène se stabilisa et je n’y pris plus garde, m’y étant habitué. Bien des années plus tard, il m’a été donné de comprendre enfin ce qui pouvait se passer dans ces curieux moments .....

    Accrochez vos ceintures car il s’agit d’un concept, et donc d’une appréciation de l’esprit, difficilement explicable car surtout compréhensible intuitivement...

    Pour tenter malgré tout une explication je dirais que le temps tel que nous le ressentons n’est qu’une subjectivité. Il permet d’étalonner nos actes mais en soi n’est qu’une conception de notre fonctionnement linéaire et non une réalité.

    Tout, absolument tout, se déroule dans le présent, plus que cela encore, dans l’instant! : passé, présent et avenir sont liés ensemble. Lorsque sous l’effet d’une distorsion provenant d’un déphasage momentané; le présent, le passé ou l’avenir s’entrechoquent alors, et notre mental a conscience, sous forme d’image fugitive, de faits qui se sont déroulés ou se dérouleront, d’où l’impression de “déjà vu ou “déjà arrivé”.

    D’autres faits curieux, en relation avec ma situation actuelle dans Karukéra, l’île aux belles eaux qui m’abrite, me sont revenus depuis à l’esprit, assez risibles en fait. Ainsi la certitude, chaque fois que je mangeais des bananes, de me retrouver un jour dans une île. Surprenant également cet objet qui m’a suivi toute ma jeunesse, que faisait il là, trônant sur le buffet de ma chambre. Il provenait, selon ma mère du grand père Barbet, le père de mon père, décédé précocement. A mon avis, ce grand-père paternel a certainement du voyager car l’objet en question était..... Une coquille de lambis, coquillage emblématique de ... La Guadeloupe. Je me souviens avoir maintes fois porté cet objet à mon oreille et d’avoir rêvé en écoutant la mer. La pensée précède l’action isn’it?

    Ma dernière année de vacances scolaire se passa, vous l’avez deviné, à Saint Gilles croix de Vie. Ce fut également la dernière année de vacances en compagnie de mes parents. Il est vrai que je supportais de moins en moins leur présence à mes côtés, leur forte obésité me remplissait de honte à chaque sortie publique en leur compagnie. Je m’arrangeais le plus souvent pour être soit devant soit derrière eux, à distance respectable, afin qu’on puisse au moins douter que je fisse partie de leur famille.

    Ces dernières vacances ne me donnèrent malheureusement pas l’occasion de m’offrir ma première conquête féminine. Mon excessive timidité me faisait fuir ou au mieux détourner le regard lors de toute tentative de contact à l’initiative de ces personnes du sexe opposé dont j’ignorais le fonctionnement. En effet, ce n’est ni dans la famille, ni à l’école, qu’il me fut permis de les côtoyer. De plus je devais subir le côté Jekill de ma mère: quand elle me voyait sur le point de rougir ou légèrement emprunté lors des contacts féminins ; elle se faisait alors un plaisir de déclencher une remarque publique mettant l’accent sur mon embarras, ce qui me détruisait complètement. Cette attitude de ma mère dura longtemps, aussi longtemps que durèrent mes rencontres avec les filles en sa compagnie. Je finissais donc par me cloîtrer dans ma chambre à chaque coup de sonnette, et je n’en sortais qu’en étant certain qu’aucune jupette ne viendrait troubler ma sérénité.

    Dès le début de cette période, j’adhérais à ma première association, il y en eut beaucoup d’autres par la suite dont je fus membre.... Elle se dénommait “les jeunes amis des animaux” et n’eut, à mon souvenir, qu’une durée éphémère; néanmoins elle me permit de faire la connaissance de quelques amis qui devaient cette année-là, et à mes moments perdus, traîner avec moi sur les trottoirs de Laval, échangeant des propos d’une banalité conforme aux sujets de notre âge.

    Fort heureusement, la municipalité de Laval eut l’idée de construire une piscine d’été près du viaduc, c’est à dire près de chez moi, et pendant tout le temps où la température le permettait je ne manquais pas de m’y rendre et d’y passer des après-midi entiers à barboter dans l’eau.

    Les rendez vous avec mes copains se tenaient à cet endroit. Une pelouse attenante recueillait nos allongements sur serviettes. Entre deux baignades, nous passions notre temps à lorgner les personnes munies d’attributs spécifiques à leur nature, dans l’espoir un peu fou qu’une d’entre elles aurait l’idée de nous adresser la parole.

    La piscine municipale me plaisait énormément; avant sa construction, il n’y avait comme lieu de baignade qu’une structure de bois aménagée sur la Mayenne, à hauteur du club d’aviron, un peu en amont du barrage, dans une eau noirâtre qui n’attirait pas les foules.

    Autant dire que cette nouvelle piscine me comblait d’aise.

    L’inconvénient principal de ces nouveaux bassins municipaux c’était.... la caissière! Cette dernière adorait Edith Piaf et nous avions droit, à longueur d’après-midi aux concerts vinyliques de la célèbre chanteuse à la robe noire. L’avantage de ce matraquage musical c’est qu’aujourd’hui encore je peux vous fredonner “milord”, “la foule” »l’hymne à l’amour »et beaucoup d’autres succès de cette égérie, la préposé aux caisses ne nous faisant grâce d’Edith que le temps de tourner le disque, ce qui était bien peu....

    J’aimerais aussi vous parler de mes frères, mais honnêtement je n’ai pendant cette période aucun souvenir les concernant. La différence entre nous étant respectivement de cinq et sept ans, ce qui à cet âge est important, puisqu’elle interdit tout activité commune. Ils en étaient encore aux petits chevaux alors que j’écoutais les disques des yéyés. Je ne me rappelle même plus l’endroit où se situait leur établissement scolaire, occultation totalement involontaire, démontrant que je devais certainement avoir beaucoup d’autres chats à fouetter.

    Les seuls souvenirs émergents, et désagréables, ceci expliquant cela, furent ceux des hurlements parentaux qu’ils déclenchaient à table au moment des repas. Ils débutaient la plupart du temps à l’initiative du plus jeune, Raymond, qui avait pris comme habitude de susciter cette forme de communication parentale qui sans doute lui convenait , comme peut l’être le plaisir de souffler dans une trompette pour en tirer un son. Il critiquait systématiquement les plats qui lui étaient présentés, à l’exception des frites et des nouilles, déclenchant régulièrement l’ire de mon père et la réplique de ma mère. Le résultat écrit d’avance avait pour effet de me faire ricaner moralement, le nez dans mon assiette, en attendant que l’orage passe.

    Mes frères partageaient le même lit, ce qui était encore une mauvaise habitude à éviter. L’aîné, Michel, bon garçon timide était ainsi devenu le protecteur de son petit frère, présumé plus fragile. Bien que leur cohabitation de couchage ait fatalement un jour cessée, ses conséquences néfastes ont perduré jusqu’au décès du plus jeune.

    Etant resté célibataires tous les deux, Michel accompagnait partout Raymond et, par habitude, lui servit de chaperon toute sa vie. Quand Raymond eut perdu son permis de conduire pour “boisson en état d’ivresse”... Michel l’emmenait se finir au bistrot et attendait dehors dans sa voiture pour le ramener quand le plein était fait...

    Mon entrée dans la vie active, pas si active que cela tout compte fait, eut lieu sans grandes pompes le trois septembre mille neuf cent soixante deux. J’avais donc seize ans et demi. Après avoir souri à la jolie pointeuse en fer de l’entrée, je fus introduis dans le bureau du personnel, lieu dans lequel je devais passer plus d’une année. Il y avait trois tables dans un espace fort réduit, un des employés, fumait, beaucoup,..... Des gitanes, ce qui était à l’époque toléré. A gauche le bureau donnait sur un mur, au fond sur un autre mur, derrière moi, un mur, et sur la droite, un mur au trois quart de la surface, le quart restant étant harmonieusement pourvu d’un vitrage en verre cathédrale...

    Le travail en lui même n’était pas très difficile, il me fallait additionner, à la fin de chaque mois, de tête ou à l’aide d’une grosse “Olivetti” quand elle était disponible, les heures effectuées journellement par chaque ouvrier. Cependant ce travail ne prenait pas plus d’une semaine par mois, Le reste du temps je devais m’occuper à des travaux divers, de statistiques lorsqu’ il y en avait, quand il restait encore du temps disponible, je devais faire semblant de travailler... Compte tenu de ma nature active : C’était mortel!

    Il faut ajouter à cela pour être complet que les trente cinq heures hebdomadaires n’étaient pas encore à l’ordre du jour et que les quarante huit à cinquante et une heures étaient plutôt la règle. Les semaines de cinquante et une heures étaient celles ou il fallait travailler le samedi matin, c’est à dire une semaine sur deux qu’il y ait ou non du travail à effectuer.

    Ne nous attardons pas plus avant car, après tout, j’avais du travail, et concluons en disant que ma qualification professionnelle figurant sur ma fiche de paye “ employé aux écritures premier échelon”me convenait parfaitement. Je devais passer deuxième échelon un an et demie plus tard sans m’en apercevoir et sans que le travail eut changé en aucune façon. Au bout d’un certain temps, devant mon incapacité flagrante à faire semblant de travailler dans les moments creux et baillant un peu trop aux corneilles, je fus amené à la demande de la direction qui m’en fit la remarque, à transférer mes pénates dans le bureau d’en face qui se trouvait être celui ou mon père travaillait. Ce bureau avait l’immense avantage d’avoir sur un coté des fenêtres sans verre cathédrale qui donnait malheureusement sur.... une toiture en éternit.

    Le nouveau travail qui découlait de ce changement ne représentait rien de concret pour moi, il s’agissait de documents à classer, de bons à additionner en de longues bandes de papier que crachait la machine. Je ne reliais rien à rien, me contentant de me morfondre dans les moments creux dont j’étais là aussi abondamment pourvu. Je compris plus tard que ma façon de travailler était mauvaise. En fait, lorsqu’on me confiait un travail, je m’organisais pour qu’il soit terminé le plus vite possible, ce n’était manifestement pas la meilleure façon de procéder, car je gênais mes camarades de travail moins rapide et je me trouvais trop souvent sans activité, traînant dans les couloirs ou me rendant aux toilettes toutes les demi-heure.

    Je n’ai jamais pu fonctionner autrement, ce qui me joua bien des tours dans la suite de ma vie professionnelle où quelques supérieurs inattentifs devaient me considérer comme un paresseux....Je concluais de cette expérience que la gestion du temps perdu était aussi un métier....

    Les amitiés de ma petite bande, issue des amis des animaux, me donnaient heureusement davantage de satisfaction, nous étions quatre, de condition sociale différente mais qui nous entendions bien. Pour la première fois il m’eut été donné de voir ce qu’était vraiment le luxe: un des amis du groupe : Etienne qui exerce aujourd’hui comme avocat, était le fils d’un greffier de justice du tribunal de Laval. Pour une raison dont je n’ai pas souvenir, il me fit un jour entrer chez ses parents, ceux-ci étant absents. Je peux difficilement vous décrire ce que j’ai ressenti à cet étalage de ce que je considérais alors comme du luxe et qui dépassait tout ce que j’avais pu observer jusqu’alors. J’osais à peine m’aventurer jusqu’à la chambre de mon ami. Il bénéficiait lui-même de tout ce qu’il était possible de rêver pour un jeune.

    Je dois cependant admettre qu’il ne profitait pas de cette position privilégiée, et que son attitude envers nous, correspondait bien à notre vocabulaire, attitudes et aspirations de cette époque; il émanait pourtant de lui une autorité naturelle, qui devait plus tard lui permettre, bien que n’étant pas meilleur élève que nous, de rejoindre une profession libérale très enviée. Cette aventure amicale ne dura qu’une période, car chaque année je devais changer d’amis sans vraiment le vouloir.

    La seconde bande, l’année suivante se composait de sept garçons un peu moins sérieux que ceux de la première. Il y figurait Michel dit “Michou” un des enfants de Bébert Legendre, mon ancien directeur d’école. Son caractère affirmé lui permettait de diriger les activités. Encore une fois nous n’accomplissions pas grand chose de bien constructif à part nous réunir dans une rue où nous faisions semblant de penser qu’elle était notée en rouge sur les tablettes de la police compte tenu de nos attitudes rebelles.

    L’examen de passage dans la bande consistait bêtement à commettre un vol dans un magasin. Je m’exécutais, une fois, rien qu’une fois avec une trouille qui m’empêcha de recommencer, me contentant de faire le guet les fois suivantes...

    Alors les filles! Me direz vous, réponse rien! Nous nous vantions entre nous des succès que nous aurions pu obtenir si on avait voulu, mais cela se limitait à cette intention.

    Il y avait cependant un grand élan qui nous unissait, l’arrivée sur les tourne-disques puis un peu plus tard dans les transistors, de rythmes et chanteurs nouveaux, ce fut pour nous et la jeunesse en général une véritable révolution. J’avais déjà entendu chanter Johnny Hallyday une fois dans les musiques des auto-tampons du quai de Saint Gilles, en vacances, mais quel plaisir avec les Platters, Elvis, Gene Vincent et tous ces nouveaux chanteurs américains qui occupèrent la place avant que nos “chaussettes noires” et autres “chats sauvages” commencent à s’y positionner.

    Nous passions notre temps à écouter les disques des juke box dans les bistrots où nous restions des heures à nous gaver de nos chanteurs favoris et jouer au billard électrique en sirotant un diabolo menthe ou un jus de fruit.

    Je réussi à acquérir un vieux tourne disque d’occasion et quelques disques que je repassais à journées entières, en essayant, comme tout le monde, d’apprendre les paroles en anglais, ce qui n’était pas si simple. J’achetais aussi de temps en temps le magazine “salut les copains” ou figuraient les photos de nos idoles : Sheila, Sylvie Vartan, Cloclo, Françoise Hardy, ainsi que les textes complets des chansons que nous fredonnions à longueur de temps, textes qui aujourd’hui me paraissent d’une incomparable mièvrerie...

    Cependant, il y avait le rythme, ensuite le style qui allait avec, la façon de marcher, de s’habiller, les danses nouvelles : twist, madison, mashed potatoes.

    Quand les transistors arrivèrent, avec des émissions de jeunes comme “Salut les Copains “sur R.T.L., la folie musicale atteignit alors son paroxysme. Les concerts en plein air se multipliaient et tout ce qui portait guitare se trouvait assuré de conquêtes nombreuses et faciles.

    Dans le même temps, les gros postes de radios gagnaient un endroit sombre d’où ils ne devaient ressortir, bien des années plus tard que pour faire la joie des brocanteurs.

    Un air de liberté, flottait dans l’air, la jeunesse ne suivait plus les anciens, elle existait par ses propres envies, une page se tournait et nous en étions à la fois les créateurs et les bénéficiaires...

    Nous avions prévus, les amis et moi d’aller faire une partie de pêche en mer. Le temps étant favorable, nous nous sommes retrouvé, au port de Deshaies, sur la côte sous le vent, à sept heures, devant le vieux bateau de Willy.

    Nous étions donc quatre : Willy, Raphaël, aventurier polaire recyclé, auteur d’un livre sur la banquise où il avait passé une année avec une expédition scientifique. Il y avait également Alain et moi. Raphaël avait apporté des fusils sous-marin et son matériel de plongée en apnée au cas ou nous aurions approché un coin à langouste ou aperçu des gros poissons.

    Après avoir fait le plein d’essence, nous avons commencé à pêcher à la palangrotte: épais fil à pêche lesté, enroulé sur une bobine, avec des morceaux de calamar comme appât. Le soleil brillait, illuminant la magnifique rade de Deshaies, entourée de sa montagne verdoyante en écrin. La petite église blanche au toit rouge dominait légèrement l’ensemble des maisons basses du village, le ressac déposait à leur pied sa mousse blanche.

    Ce qui est intéressant dans cette pêche c’est de sentir les touches au bout des doigts, et de ramener le poisson à la main, ce qui agrémente les sensations lors des captures. Cependant, ce jour là il y avait un peu trop de courant, ce qui nous faisait dériver et butter sur des casiers de pêcheurs où nos lignes s’accrochaient. Nous avons malgré tout pris quelques “grandes gueules”, des mérous, une vive...

    Quel plaisir d’être là, en short, abrité du soleil puissant par le tau, à deviser gaiement entre amis... vers dix heures, Willy a sorti la baguette et le foie gras, Alain le saucisson sec et le rosé maintenu frais dans la glacière de service afin de nous restaurer, le grand large, çà creuse. Ensuite bain pour tout le monde. Il y a une sensation particulière à se baigner dans les grands fonds, non pas une appréhension mais un frisson de savoir qu’en dessous, la terre est loin, c’est vraiment dans ces moments que j’ai vraiment conscience de l’immensité de l’océan.

    Comme un grain, habituel en Guadeloupe, se préparait, nous nous sommes mis à l’abri dans la rade, accrochés à un corps mort, et là nous avons plongé. La profondeur était de six à dix mètres cependant nous n’avons pas vu de poissons assez gros pour les fusils; par contre le spectacle du fond de mer était extraordinaire. Entre autre beautés, Raphaël m’a fait remarquer une rarissime anémone de mer bleue tendre, que de poissons jaunes fluo, gros comme le petit doigt entouraient de leurs ballet au rythme rapide, un rayon de soleil eut l’idée pendant quelques instants d’éclairer le tableau, comme un faisceau de projecteur met en valeur l’acteur principal.

    En remontant à la surface je fus surpris par une brusque apparition de milliers de bulles transparentes grosses comme des balles de tennis au milieu desquels je nageais. En fait il s’agissait d’un banc de petites méduses parfaitement inoffensives qui s’écartaient ou me frôlaient, un peu. J’avais l’impression de m’ébattre en apesanteur dans un bac rempli de boules. L’impression était saisissante.

    De retour sur le bateau, il se trouva, comme souvent, sonner l’heure du ti-punch. Nous ne nous en sommes pas privé, alors que Raphaël se faisait un petit cône avec de l’herbe à rasta.

     

    Je m’étais donc affiné et devenu plus présentable pour apprivoiser l’élément féminin, passage obligé de la vie et dont le franchissement dans de bonnes conditions détermine, par la suite, un certain équilibre.

    A regarder les photos de cette époque je trouve que je n’étais pas mal du tout, et je comprends mieux maintenant pourquoi j’attirais des regards féminins un peu insistants. Je m’empressais néanmoins d’en détourner mon regard. Il me manquait une chose essentiel pour aller plus avant : la confiance en moi!

    Il faut dire que rien jusqu’à présent ne m’avait préparé à cette confrontation car le côtoiement des filles fut pour moi inexistant. Ce n’est pas dans la famille, n’ayant pas de soeur, ni à l’école résolument non mixte, encore moins au catéchisme ni à la garderie que j’aurais pu intégrer leur atmosphère.

    Parmi mes amis il n’y en avait même pas, les filles à cet age ne sortaient pas, ou celles de ma rue n’y étaient pas autorisées, je ne sais. Ce qui fut une certitude c’est que jusqu’à seize ans il n’y eut de femme dans ma vie que ma mère et... ma cousine Annick. Pour ma cousine, notre différence d’âge me la faisait considérer plutôt comme une grande soeur et je ne la voyais que de temps à autres... jusqu’au jour où... mais je préfère ne pas y revenir...

    Sur le plan des relations entre homme et femme, le modèle que mes parents m’avaient donnés d’observer pendant toutes ces années, le seul que je puisse connaisse parfaitement, n’était pas de nature à me porter aux effusions tendres que les filles réclamaient. L’attitude des bandes dont je faisais partie manifestait un mépris, tout à fait factice d’ailleurs, pour l’élément féminin. Elles étaient considérées comme tout justes convenables à soulager le male et n’avaient aucune des qualités requises pour intégrer un groupe de garçons du fait de leur mentalité étriquée jugée incompatible avec le génie qui évidemment, nous caractérisait.

    J’entretenais savamment cette absence de confiance en moi, en examinant mon physique dans la glace. Bien entendu, au départ il s’agissait de me rassurer sur mes capacités de séduction : Je trouvais bien quelques attraits dans mon visage fin aux yeux bleus- verts... mais dès que je commençais à regarder le reste, c’était une catastrophe.

    De cet examen complémentaire il résultait une impossibilité manifeste de pouvoir un jour séduire une fille, lui tenir la main, geste qui, à cette époque me paraissait déjà le premier but à atteindre, quand à la suite, baisers, caresses...., je n’osais même pas l’envisager.

    Je me plongeais cependant, pour ne pas être totalement ignorant sur les questions sexuelles, dans la lecture de romans pornographiques qu’un couple d’ouvriers, sans enfants et assez libres, qui m’avaient pris en amitié, me prêtaient avec le sourire, et que je rendais un tantinet gêné.

    Pour l’instant, ce genre de littérature, associée au seul magazine illustré “osé” qui s’appelait “Paris Hollywood” suffisait à assouvir ma soif de connaissances sexuelles. Cette revue, que des amis me prêtaient mettait en scène des photos des femmes nues, sexe occulté par un flou infranchissable, et exhibées sur tous les plans. Cette revue avait pour objectif de faire saliver les ados boutonneux. Des séances de strip tease en page centrale étaient censées provoquer suffisamment d’excitation pour tacher les pages, chaque photo dévoilant un peu plus de leurs corps aux seins généralement abondants, ce qui était le principal fantasme de cette époque; Pour moi qui n’avait encore rien vu, ces découvertes me faisait grimper aux rideaux ...

    Pendant longtemps ces deux supports furent ma seule forme de sexualité, autant dire qu’elle était virtuelle et que l’énergie accumulée sans mise en pratique, devait par la suite, émotivité aidant me créer quelques problèmes dans la réalisation effective.

    En m’examinant dans l’armoire à glace de la chambre de mes parents, seule possibilité d’un regard global, je découvrais surtout.... un ex-gros: les vestiges de quatre longues années de plis en tous lieux avaient laissés des traces, surtout dans mon imagination. Je trouvais que les mamelles avaient gardées un peu de stockage, quant aux abdos il me fallait y renoncer définitivement, les amas graisseux de l’époque où j’en bénéficiais, avaient définitivement empêchés les muscles du ventre de se joindre et ce dernier, conservera une pellicule adipeuse indéracinable. Pour le reste du corps çà allait, mais je ne voyais que ces défauts qui prenaient des proportions telles qu’ils me paraissaient, à la piscine ou à toute occasion de se mettre torse nu, le point de convergence de tous les regards moqueurs.

    Quant au visage, oui, bien sur ça allait... cependant, quand je prenais un miroir et le plaçais derrière ma tête, en réflexion sur la glace de l’armoire je constatais qu’elle était difforme! J’avais un crâne en tête d’oeuf! Une fois cette découverte effectuée, je regardais fiévreusement l’arrière de la tête de mes camarades puis de celle des gens que je croisais, pensant y découvrir la même difformité, ce n’était pas possible! Il n’y avait que moi à être victime de cette infirmité! Alors je passais mon temps devant l’armoire à glace, miroir en main derrière la tête pour vérifier l’évolution des dégâts! C’en était trop, il me fallait fuir les filles avant qu’elles mêmes me ridiculisent, et surtout détourner la tête en leur présence afin qu’elle ne se gaussent pas de la forme de mon crâne... oui, mais attention, si je détournais la tête, elles verraient mon crâne, il fallait donc les regarder en face... et çà je ne le pouvais pas non plus!.... cruel dilemme de l’adolescent, en acceptation corporelle.... ...

    Ce qui est curieux, c’est que plus tard, bien plus tard, lisant une revue ésotérique, il me fut donné d’apprendre que les extra terrestres venant de Sirius se caractérisaient par?....je vous le donne en mille, l’allongement du crâne... aurais-je donc été sans le savoir un descendant éloigné des Siriens?

    Avant d’aller plus loin dans cette introspection, je voudrais revenir sur Gilbert et Janine David, les locataires du rez de chaussée. J’y tiens particulièrement car leur présence et leur influence sur ma vie pendant ces années d’adolescence ont été très importantes :

    Non seulement elle a permis une stabilité dans la famille car l’humour et l’aplomb de Gilbert et la calme gentillesse de Janine avaient vraiment fait en sorte que le foyer parental devienne un peu plus vivable. Je m’interroge encore aujourd’hui sur les raisons de cette amitié avec mes parents. Elle dura pratiquement jusqu’au bout de leur vie. Au cours de leurs dernières années, alors qu’un ultime déménagement les avait séparés, les enfants de Gilbert et Janine dont mes parents étaient parrains et marraine, continuaient encore à leur rendre visite.

    Pour essayer d’expliquer cette amitié, il faut partir à nouveau des baraquements du palais de l’industrie, ce qui prouve bien leur implication constante dans ma vie de cette époque. Gilbert et Janine étaient en effet tous les deux natifs de cet endroit, leurs parents respectifs logeaient dans des rangées parallèles. J’ai eu l’occasion de faire leur connaissance et d’avoir des relations avec chaque famille. Janine avait plusieurs frères et soeurs, ce qui était le cas de beaucoup d’habitants : la promiscuité, la faible épaisseur des cloisons, l’ennui, l’absence de contraception, que sais-je encore, expliquait sans doute cette profusion de familles nombreuses.

    Les parents de Janine étaient des gens simples, mais le papa était un peu curieux, gentil, mais curieux, il était surnommé “Pouët Pouët” dans les baraques pour des raisons dont on m’a parlé par la suite mais auxquelles je n’ai pas prêté foi.

    Le père de Gilbert par contre, était quelqu’un de très autoritaire, qui régnait sur femme et enfants d’une poigne de fer, une seule poigne de fer car il avait été amputé d’un bras. Cela lui suffisait, non seulement pour asseoir son autorité sur la maisonnée mais aussi pour conduire sa vieille Panhard, selon une ligne loin d’être droite, mais qui l’amenait néanmoins à destination. Pour être monté avec lui une ou deux fois en voiture, je dois avouer avoir du serrer les dents au moment du passage des vitesses, car il lui fallais bien lâcher le volant afin de saisir le levier....

    Je pense que le caractère brutal de son père dans son expression, n’avait certainement pas convenu à Gilbert. La rencontre avec mes parents répondait sans doute à un besoin de retrouver une vie de famille inconnue pour lui. Les hurlements de mon père devaient lui sembler des cris d’oiseaux par rapport à la dureté familiale que je suppose, et qui a accompagnée son enfance.

    Toujours est-il qu’ils n’étaient pas riches ces nouveaux mariés et que mes parents leur avaient sans doute apporté ce petit plus qui agrémente la vie....Mon père, les appréciait tellement que bien souvent, même en notre présence il appelait Gilbert “mon quatrième fils”, ce qui ne m’a jamais choqué, les bénéfices que l’on tirait de sa présence étaient sans commune mesure avec toute autre considération.

    Gilbert et Janine m’emmenaient partout où ils le pouvaient, s’étant rapidement rendu compte de ma timidité, ils essayaient dans la mesure du possible, de me “dégourdir” un peu.

    Gilbert me fit inscrire au club de ping pong de la SCOMAM où lui même jouait, ceci après que je l’eusse accompagné une année entière dans les déplacements du championnat.

    Bien que je me débrouillais un peu à l’entraînement, ma super émotivité me faisait lamentablement perdre pratiquement tous mes matchs et, pour ne pas pénaliser l’équipe je mettais fin à l’expérience assez rapidement. Gilbert jouait également au football ou il était considéré comme un bon joueur, je l’accompagnais également quelquefois dans ses déplacements pour le voir jouer.

    Je dois le dire aujourd’hui, j’avais une sincère admiration pour cet homme, qui m’a toujours respecté, et dont j’enviais l’assurance. De son côté Janine, fine mouche, ayant remarqué mon embarras avec les filles. Bien que d’une nature polie et correcte, elle utilisa son langage des baraquements qui ne s’embarrassait pas de fioritures afin que je comprenne certaines choses importantes à faire, et surtout à ne pas faire en présence de fille. C’était la première personne du sexe opposé qui me donnait des conseils et même si la mise en pratique ne marchait pas toujours, je la remercie encore d’avoir essayé.

    Ils faisaient partie de toutes nos fêtes et avaient la correction de se retirer lorsqu’ils jugeaient que leur présence n’était pas souhaitable. Ils avaient du tact, de l’intelligence de vie, bien que leur passé, certainement moins douloureux que le mien, n’avait certainement pas non plus été très valorisant.

    Mes rendez vous avec les copains des baraquements me permirent vers dix sept ans de fréquenter mes premiers bals. Le lendemain des soirées, se tenaient les “sauteries”du dimanche après-midi, prolongations du bal de la veille. Fort de ce que ma cousine Annick m’avait appris comme pas, elle même étant friande de danse, je me risquais sur la piste, m’aidant de quelques boissons alcoolisées, suffisamment libératoires en quantité, pour oser inviter les demoiselles à danser.

    Je vous ai raconté mon premier baiser, en fin de sauterie, avec bien sur une copine des baraquements. Elle et d’autres continuèrent à m’apprendre la danse, et je réussis à commencer à flirter. Néanmoins, je n’étais pas très entreprenant, car j’attendais au moins le troisième morceau de musique pour oser effleurer la main de ma cavalière, Je me tenais toujours à distance respectueuse compte tenu de mes réactions rapides dues à l’accumulation émotionnelle précédente, et qui m’aurait obligé de traverser la piste, la danse finie avec les deux mains dans les poches pour masquer ce que vous devinez...

    Vous comprendrez bien qu’avec cette technique d’approche, les conquêtes étaient rares, les filles demandant davantage aux garçons: de l’audace? J’étais trop complexé. De la discussion? J’étais paralysé, des rendez-vous? J’en étais incapable. Des contacts plus rapprochés? : Aie aie aie! Cependant, je retournais régulièrement dans ces sauteries, mais également dans les bals sous tente qui étaient organisés l’après-midi dans chaque fête de pays, ce qui à la longue, l’habitude aidant, m’accoutuma quelque peu aux contacts féminins. Le succès temporaire sur quelques conquêtes qui ne durait que le temps d’un bal, m’aidèrent néanmoins à acquérir une petite confiance en moi.

    L’année suivante, celle de mes dix huit ans, je n’étais pas encore majeur, il fallait avoir vingt et un ans pour le prétendre, fut celle de mon permis de conduire et de....la dernière gifle que me donna mon père. Devant mon regard il du comprendre qu’il était quand même temps d’arrêter...Il faut dire que malgré la cessation de mon mutisme à son égard au plus fort de la période “chaude”, mes sentiments envers mon père étaient toujours restés empreints d’une certaine distance, son attitude envers moi, quoique un peu plus souple, gardait une certaine forme de domination. Mon père aurait bien aimé que nos relations soient davantage cordiales, mais pour cela il aurait fallu qu’il me respecte, ce qui n’était pas encore le cas. Ses humiliations publiques demeuraient la règle. Cependant, comme je l’ai déjà dit, c’était mon défi, pour évoluer il fallait inverser la machine, il s’agissait de mon combat et non celui de mon père... Je devais acquérir suffisamment de mental pour ne plus déclencher les colères et brimades à mon égard. En attendant de grandir intérieurement il me fallait donc subir....

    Mon permis de conduire ne me servit que pour le vélo solex dans un premier temps, n’ayant pas la possibilité d’acheter une voiture. Un peu avant que je parte à l’armée, mon père bien, que n’ayant pas son permis, acheta une dauphine crème qui me servit à les emmener là où ils le voulaient, en contrepartie de mon service, je l’utilisais pour mes sorties nocturnes, ce qui m’arrangeait bien car le vélo solex l’hiver n’était pas très confortable.

    Il me revient une anecdote de cette période qui aidera à mieux comprendre l’humour de ma mère. Un soir, rentrant nuitamment avec la dauphine empruntée pour l’occasion, il m’arriva de rencontrer un lapin suicidaire qui n’hésitât pas à se jeter sous les roues de ma voiture. Ne désirant pas encombrer la route j’enfermais le cadavre de Jeannot dans le coffre, duquel je le sortis à l’arrivée afin de le déposer dans le garage. De nuit, je ne vis pas les traces laissées derrière moi par l’animal sanguinolent. Ma mère, première levée, comme d’habitude, apercevant le lapin mort eut l’idée de le déplacer, levant précipitamment mon père pour lui signifier que j’avais eu un accident. Mon pauvre père, à peine réveillé, fit dans un premier temps, merci pour le blessé éventuel, le tour de la voiture et remontât les traces jusqu’à la porte, ma mère lui indiquant avoir nettoyé le reste de sang qui menait à mon lit. Mon père, paniqué, me retourna dans tous les sens, vérifiant ma respiration, jusqu’au moment où ma mère, n’y pouvant plus, se mit à rire et lui révéla le pot aux roses. Voilà ce à quoi ma mère prenait plaisir et que longtemps après elle racontait encore avec la même jubilation...

    Arrivé à cet âge, mes parents me laissèrent un peu plus de liberté. Je fis incidemment la connaissance d’un autre garçon de mon age, Bernard, qui devint un bon ami. Lui aussi était issu des baraquements, et sa fréquentation devait s’avérer intéressante sur bien des plans.

    Comme la plupart des “messagers” qui intervinrent plus tard dans ma vie, il ne payait pas de mine, il n’avait pas un niveau de culture bien élevé, un physique assez ingrat, mais, peut -être du fait de cet ensemble, il étalait en permanence sa désinvolture et prenait des initiatives totalement irréfléchies qui faisaient en fin de compte avancer bien des choses.

    J’ai employé à son égard le terme de messager cela mérite une explication : Je pense que dans la vie, au moment où en a besoin pour accompagner notre évolution, vous vous rappelez sans doute ma digression précédente sur les expériences et leçons de vie, et aussi quand on se sent un peu perdu, il y a souvent un personnage, généralement anachronique qui nous aide sur le chemin. Je suis persuadé que Bernard était un de ceux là. Je l’ai suivi parce qu’intuitivement je savais que je devais le faire. Je pense que la difficulté d’accepter ou de reconnaître les messagers vient de là : ils ne correspondent la plupart du temps, en tout cas pour moi, pas du tout à l’image de quelqu’un qui pourrait représenter un modèle pour notre vie future. La reconnaissance de ces personnages se passe à un autre niveau, beaucoup plus subtil, mais lorsqu’on s’éveille à l’évolution de notre conscience, à notre “moi supérieur’, le messager se présente toujours au détour du chemin. Ce qui est intéressant c’est que le messager lui-même n’a pas conscience d’avoir été le vecteur, le transmetteur, il était cependant présent dans notre vie au bon moment, c’est tout.

    Bernard habitait à l’extrémité d’une allée de baraques, mais, comme partout ailleurs, tout était propre chez ses parents. Il avait une grande soeur, rousse et un peu fofolle qui, lorsque je venais le chercher le samedi, trouvait toujours le moyen en faisant ses bigoudis de me raconter des épisodes de sa croustillante vie amoureuse. Elle avait sans doute remarqué ma gène et se faisait un malin plaisir d’attiser la rougeur qui n’était jamais bien loin.

    Avec Bernard j’eus mon premier moyen de locomotion autonome qui remplaça mon vieux vélo et dont je ne me servais plus, car je le trouvais incompatible avec une “ drague” efficace. Nous nous achetâmes tous les deux un vélo solex, pour moi c’était vraiment très bien, car mes déplacements devenaient plus faciles et je pouvais ainsi fréquenter les bals de campagnes se tenant à proximité sans être obligé de faire du stop ou compter sur le service des uns et des autres. Nous acquîmes donc, à crédit, ces engins légèrement motorisés, dont je rappelle que le pédalage dans les côtes, même douces, devenait obligatoire afin de ne pas faire du sur place.

    Cet achat intervint également pour une raison particulièrement intéressée, liée à ma première “fréquentation”, c’était le terme de l’époque quand une rencontre amoureuse durait quelque temps.

    Sans complexe qu’il était, Bernard avait réussi à émouvoir, malgré son physique peu accueillant, une ravissante jeune fille qui devait d’ailleurs lui vouer un grand amour, allant jusqu’au mariage quelques temps plus tard, mariage qui, malheureusement, face à l’inconstance de mon ami, ne tint pas, quelques enfants après.

    Elle se prénommait Arlette, et je me demande encore ce qu’il avait bien pu faire pour arriver à la séduire. Elle habitait à Argentré, petit village distant d’une dizaine de kilomètres; ses rendez vous, auxquels il me demandait de l’accompagner, s’effectuaient au début avec nos vieux vélos, mais pour l’amoureux, arriver en sueur chez sa belle n’était pas une situation très confortable. C’est ce qui détermina l’achat des fameux vélosolex.

    Un beau soir d’été, Bernard m’appris qu’il y avait un petit bal de pays organisé à Argentré auquel participait sa dulcinée et me demanda de l’accompagner. C’est à cette occasion que je fis la connaissance de la soeur de cette dernière, dont j’ignorais l’existence, et qui, ce suffixe devant plaire à ses parents, l’avaient prénommée Bernadette, je pense que s’ils avaient eu une autre fille ils l’auraient appelée Babette ou Laurette ? Je vous fait grâce des chansons rimantes de Bernard et moi, sur ces suffixes drolatiques, lorsque plus tard nous nous rendîmes à nos rendez vous communs.

    Donc Bernadette, toute jeunette, se laissa séduire sans difficulté. Du fait de sa jeunesse, je ne me sentis pas du tout emprunté, sa poitrine naissante, et ses incisives cariées n’attiraient pas la concurrence. Dès le premier soir elle me laissa en toute innocence mettre les mains partout, ce qui me donna, vous le deviner un contentement extraordinaire...

    Dès lors le trajet Laval Argentré en solex devient pour nous habituel et source de plaisir; Bernard étant, du fait de sa naïveté un personnage gai et particulièrement attachant. Mon idylle avec Bernadette dura assez longtemps, puisqu’elle laissa à ma petite amie le temps de développer sa poitrine, et à moi celui de me permettre d’explorer à loisir des voies inconnues.

    Cependant la belle était totalement dépourvue de conversation et mes caresses enfiévrées n’avaient l’air de déclencher chez elle aucune émotion particulière. Elle me laissait faire ce que je voulais et cela s’arrêtait là.

    Cependant, à cause de ma forte émotivité et du niveau de frustrations accumulées depuis des années le bouquet final n’eut jamais l’occasion de se réaliser, ceci malgré le consentement tacite de cette jeune fille. Il suffisait que je l’embrasse un peu longuement ou de quelques caresses trop appuyées pour que cela déclenche chez moi seul ,ce qui aurait du se faire en sa compagnie. Je restais donc en partie sur ma faim; ayant d’autre part une crainte affreuse de ne pas pouvoir arriver à conclure correctement.

    De nombreuses années plus tard, je la rencontrais à nouveau sur le parking d’une grande surface, elle devait être mariée car des enfants s’agitaient autour d’elle. Je ne savais pas si elle m’avait reconnu, mais moi si : La petite souffreteuse aux dents cariés avait fait place à une magnifique rousse bien potelée et au sourire ravageur. Je laissais là mes regrets, l’ayant délaissée pour une stagiaire du bureau dont je tombais amoureux, et qui me laissa lui compter fleurette bien qu’elle savait devoir se marier quelques mois après avec un rugbyman du sud ouest effectuant son service militaire à Laval.

    L’occasion de la rupture avec Bernadette me permis de remarquer ce qu’elle ne m’avais jamais donné l’occasion de constater auparavant, c’est à dire le grand attachement qu’elle avait pour moi et que je ne pouvais soupçonner, la pauvrette, avare de ses paroles comme de ses émotions ne me l’ayant jamais laissé supposer. Elle me le dit donc à cette occasion, maladroitement mais fortement et s’en alla courant et pleurant sur sa déception amoureuse. Cet émoi tardif me laissa quelque peu désemparé et j’avoue que cet épisode pour lequel je n’étais pas très fier, me donna à réfléchir plus tard sur la façon de mettre fin à une liaison amoureuse, si discrète fut elle.

    Fort de ces expériences et du peu mais de réelle confiance en moi qu’elle avait déclenchée, je me mis avec succès à collectionner les flirts. Malgré tout, afin d’oser me lancer sans trop craindre l’échec j’accompagnais mes “chasses” d’un peu d’alcool préalable, ce qui, somme toute, allait bien avec les cigarettes, cependant quelques cas de démesure s’étant produits je dus m’en tenir par la suite à la limite à ne pas dépasser.

    Je me rappelle très bien de la dernière ivresse sérieuse qui détermina mon arrêt, elle est tellement honteuse qu’elle mérite d’être racontée :

    Tous les ans, afin d’arrondir sa cagnotte, à l’instar de bien d’autres organismes , le comité d’entreprise de l’usine où je travaillais organisait un grand bal, avec un grand orchestre comme André Verchuren, des décors somptueux, une restauration, tout ce qui en faisait un des musts de l’année. Une grande partie des cadres, et personnel de bureau y participaient, en tenue de sortie, s’entend, car il s’agissait pour beaucoup de LA sortie annuelle. Je me réjouissais à l’avance de cette mixité, espérant bien tirer à cette grande occasion mon épingle du jeu... Arrivé bien à l’heure je regardais arriver les invités, ce qui me donnait la gorge sèche: les quelques filles dont j’avais, dans les bureaux, regardé la plastique avec envie étaient là. Il me fallait donc avoir beaucoup de courage pour les aborder, je prenais donc tranquillement mon désinhibant habituel, mais sans doute un peu plus rapidement et un peu plus abondamment que d’habitude, ce qui fit que quand le bal débuta vraiment, j’étais dans les toilettes essayant par vomissements interposés de retrouver mes esprits. Hélas, l’alcool pernicieux s’était déjà installé dans la place, et je tombais dans un coma éthylique d’où je ne me réveillais dans mon lit que le lendemain matin. On me raconta plus tard ce qui s’était passé pendant cette période de “black out”: à savoir que des membres de l’organisation avait du me rhabiller sommairement et me faire traverser toute la salle de bal en me portant par les épaules, car il faut préciser que les toilettes se trouvaient près de l’orchestre et la sortie à l’opposé. A ma honte et mon dépit s’ajoutait la crainte de la leçon paternelle, ce qui n’arriva pas d’ailleurs, mon père à ma grande surprise se contentant d’en rire; sans doute inconsciemment, il prenait une petite revanche sur mes reproches des années passées. En tous cas ce fut pour moi la leçon qui m’apprit en toute occasion à ne jamais dépasser ce que je ne pouvais maîtriser...

    A ce moment, mon ami Bernard eut une autre idée, qui lui vint comme ça, celle de faire du vélo en compétition. Ce qui fut dit fut fait, pour ma part, cela me plaisait bien, et nous achetâmes chacun un magnifique vélo “Helyett Leroux Hutchinson” de la même marque que Jacques Anquetil, mon idole de l’époque utilisait, et nous nous inscrivîmes à L’Olympic Club Mayennais, seul club lavallois, afin de commencer la saison au printemps suivant.

    Je dois dire sincèrement que les premiers temps de cette tentative ne me donnèrent pas une entière satisfaction. Du fait de mon obésité passée, je n’avais pas pu faire beaucoup de sport à l’école; mon inactivité découlant de mon repli sur moi n’avait pas non plus contribuée à développer une musculature abondante, ni à habituer le peu qu’il y en avait à un effort soutenu.

    La première course à laquelle je participais, alors que je rêvais modestement d’égaler un jour les plus grands, me remis les idées en place. C’était à Bonchamps les Laval, une petite commune proche de Laval, comme son nom l’indique. Fier comme Artaban dans mon beau maillot sang et or et juché sur mon vélo neuf, je répondais présent à l’appel de mon nom, gagnais la ligne de départ, prêt à tout, affinant déjà ma stratégie. Le sifflet du commissaire libéra les candidats au bouquet qui serait distribué au vainqueur après cent kilomètres accomplis, une place sur le podium me suffira pensais-je...

    Mon émotivité devait une fois encore mettre fin à mes rêves. Je n’arrivais pas à enfiler prestement ma chaussure dans le cale pied n’étant pas encore habitué aux cales pédales, et quand cela fut enfin fait, je relevais la tête pour m’apercevoir que, bien sûr, personne ne m’avait attendu. Je fis donc une partie du circuit seul, applaudi malgré tout par la famille, mais content somme toute d’être entré, même par la petite porte dans un univers inconnu.

    Ramenée à de plus justes proportions, mon ambition fut désormais de terminer les courses, si possible dans le peloton, et j’y mis toute l’ardeur dont j’étais capable. Cet état d’esprit a toujours été une constante dans tout ce que j’avais choisi d’accomplir. Je pris tout cela au sérieux : entraînement, alimentation, massages, tout ce que je pouvais prendre des anciens me servit. La première année fut consacrée à m’aguerrir, à me faire les muscles, à comprendre comment se passait une course, à apprendre les choses à faire et celles à ne pas faire etc.;...

    La deuxième année me vit réussir, parfois, à atteindre mes ambitions: finir avec les autres et même décrocher quelques places d’honneur; cependant une forme en dents de scie m’handicapait beaucoup, infortune que je ne m’expliquais pas mais dont on me donna peut-être une explication un moment plus tard. J’arrêtais le vélo à la fin de cette seconde année, devant accomplir mes obligations militaires mais le virus inoculé devait perdurer aussi longtemps que possible....

    Ces années sportives eurent cependant bien des mérites, le premier, que je ne remarquais pas tout d’abord mais qui s’est avéré comme le plus important, puisque je devais l’utiliser durant ma vie, fut la fonction de balayage du stress. Ces dernières années particulièrement m’y avaient exposé et le défoulement par le sport m’apporta une relative mais réelle stabilité. En second lieu la pratique cycliste me permit de conserver une allure svelte, l’alimentation sportive négligeant le gras néfaste et les sucres excédentaires se trouvaient consommés dans les entraînements et courses. Ce qui fait que j’arrivais à l’armée avec 69 k de poids pour une taille de 1,76m, ce poids étant encore maintenant le mien.

    Le troisième point intéressant, et non négligeable c’est que le vélo me permit d’arrêter de fumer et de boire, étant sérieux dans le sport comme je l’étais pour tout ce que j’avais choisi d’entreprendre. Cela me coûta quand même quelques efforts sur le tabac. Enfin le quatrième point : le sport me permis de faire de nouvelles connaissances et de nouveaux amis.

    Ce fut la fin de mon amitié avec Bernard, celui-ci, de plus en plus sollicité par sa nouvelle compagne, ne pouvait aligner que quelques kilomètres dans les compétitions du dimanche avant de s’effondrer, ceci sous les yeux de son amoureuse qui le suivait évidemment partout. Ces mésaventures mettaient un peu trop sa fierté à rude épreuve; il choisit donc de s’occuper d’Arlette et laissa tomber le vélo. Je dois dire que la fin de notre entente arrivait à point, car ma liaison finissante avec Bernadette, la soeur d’Arlette ne me permettait plus de l’accompagner. Je le revis néanmoins plus tard et nous nous rappelâmes brièvement quelques bons souvenirs.

    Depuis la terrasse de la maison, on distingue au loin, dans le grand cul de sac marin, beaucoup de petites îles qu’on appelle ici des îlets, il en est un qui mérite vraiment la peine d’y séjourner. J’ai envie de vous décrire ma dernière visite en ce lieu paradisiaque en compagnie d’amis:

    Gil avait vraiment envie d’aller à l’îlet Caret et de voir la mangrove du grand cul de sac marin, c’était également le cas de Sylvie qui auparavant y emmenait les vacanciers en ballade, avec le bateau de son mari, et également de Gérard et Chantal qui n’y étaient jamais allés. J’ai donc négocié auprès d’un passeur le trajet pour un prix acceptable et nous sommes donc partis tous ensemble à 8H30 pour l’îlet.

    C’est une petite île d’une centaine de mètres de longueur, d’à peine la moitié sur sa plus grande largeur. Elle est située à quelques kilomètres de la côte, juste derrière la barrière de corail, ce qui fait qu’elle bénéficie directement de l’effet lagon. La mer s’étale sur les bas fonds, à peine mouvementée, à dominante bleu ciel mais aussi parsemée de taches plus foncées sur les endroits herbeux. Aussi loin que le regard porte, la transparence domine. Le sable brille d’un blanc légèrement beige, quelques cocotiers ombrent les tables de bois, l’un d’eux tombé dans l’eau à la dernière tempête sert d’attache aux bateaux, quelques carbets pour manger à l’abri du soleil et du vent parsèment l’espace: un vrai petit paradis. Sylvie et moi avions préparé le pique nique, je m’étais occupé des crudités, de son côté elle avait fait macérer toute la nuit, dans une préparation à base de curcuma, les cuisses de poulet et le poisson : tazar et daurade coryphène.

    Après avoir choisi notre emplacement, récupéré quelques pierres pour organiser le barbecue et fait le tour de l’îlet nous avons irrésistiblement été attiré par l’eau peu profonde du lagon. Il est possible de rester assis, dans l’eau jusqu’à la taille, sans bouger, à respirer les alizés, tout le temps que l’on souhaite, l’eau tiède dispense de l’envie d’en sortir.

    Gérard toujours avec son insatiable curiosité de scientifique, s’est mis à explorer, muni de son masque et tuba, les fonds avoisinants. Après quelques instants de prospection il nous a fièrement ramené le fruit de ses recherches : une tête de jeune requin toute fraîche, ce qui prouve qu’il y en a malgré l’affirmation négative des autorités, également un mignon bébé lambis à la coquille rose et une magnifique étoile de mer grise à points rouge.

    Nous nous sommes régalés du bon repas au barbecue, sans fourchette car nous ne les avons pas retrouvées, sans doute emportés par le vent. Comme dessert Sylvie nous a préparé de délicieuses bananes : des “figues pommes, les meilleures, saisies sur les braises et flambées au rhum.

    Après de nouveaux jeux d’eau et bronzette digestive, nous avons repris le bateau et sommes allés voir l’île au oiseaux: c’est une mangrove où les pique-boeufs et les frégates viennent nicher. Elle est couverte des femelles de ces oiseaux, il est d’interdit d’approcher à moins d’une distance respectable, c’est donc à la jumelle que nous avons pu suivre leurs évolutions. Ensuite nous sommes allés naviguer autour des îlets de mangrove avoisinants et Gérard nous a tout expliqué sur la formation de ces endroits peuplés de palétuviers rouges qui s’enracinent selon un processus très particulier.

    Ces mangroves sont très importantes pour l’écologie: des races de mollusques, de crustacés, d’oiseaux, de mammifères et d’insectes prolifèrent en nombre sur cet enchevêtrement d’arbres, inaccessibles à l’homme par l’intérieur.


     

    Mes deux derniers amis avant mon départ au service militaire étaient comme moi des cyclistes et nous fîmes ensemble de longs kilomètres à l’entraînement et bon nombre de bêtises en dehors. Nous nous entendions tous les trois comme larrons en foire, Dédé était le plus grand, moi le moyen et Patrick le petit. Pendant les absences des parents de l’un ou de l’autre, nous nous organisions de soirées orgiaques : des soirées frites, sardines à la tomate à s’en rendre malades tellement nous en ingurgitions.

    A nous trois, plutôt beaux gosses, nous hésitions moins à solliciter les filles, mêmes quand il s’agissaient d’inconnues rencontrées dans les files des cinémas ou dans la rue, et arrivions souvent à conclure un flirt avec succès. Ce fut une année faste pour la chasse à courre et nous comptabilisions chacun honnêtement nos conquêtes mensuelles pour connaître le gagnant. Cependant, à cette époque les filles, en tous cas celles que nous fréquentions ne “couchaient pas” et je voyais arriver mes dix neuf ans avec la crainte d’arriver vierge au service militaire.

    Il me fallait donc faire quelque chose. Je me mis donc à rechercher mon ancienne bande de délurés, celle de “Michou”, afin de savoir s’ils ne connaissaient pas une jeune fille qui puisse m’aider à me sentir un peu moins niais. La conversation roula sur une certaine Annick qu’ils surnommaient vulgairement « miss Poubelle » et qu’ils me décrirent avec à la clé, beaucoup de détail technique sur ses pratiques qualifiées trivialement de « dégueulasses ».

    Peu après, au cours d’un bal, ils me la montrèrent et me mis en demeure d’approcher celle que mes camarades avaient désigné comme “accueillante”. Mes avances au cours de la danse devaient s’avérer payante, la demoiselle qui au départ ne semblait pas intéressé, ayant vu la bande ricaner autour de moi, fut petit à petit convaincu de ma bonne foi, et finit le bal en ma compagnie.

    En fait elle était très mignonne, bien faite et malgré sa voix un peu rauque, très agréable à discuter... Rendez vous fut pris dans la semaine pour les premiers contacts qui s’avérèrent intéressants. Mais mon blocage était là, et j’attendais de la belle qu’elle se décide puisque tous disaient d’elle qu’elle était “facile”. Il me fallut déchanter, même si Annick collectionnait les flirts elle était en fait très sage et me montra rapidement la frontière à ne pas dépasser.

    Comme elle était gentille nous sortîmes malgré tout ensemble, comme elle aimait danser, nous dansâmes dans les bals de la région et formions un beau couple, très remarqué. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que rapidement, m’ayant mieux connu, elle devint très amoureuse, m’envoyant à mon domicile des lettres dont les pages devenaient de plus en plus nombreuses, à tel point que le facteur avait du mal à les faire entrer dans la boite, certaine faisaient jusqu’à vingt cinq pages tout au long lesquelles elle me dépeignait en longs détails, l’intégralité de ses transports amoureux à mon égard.

    Comme il fallait bien que cela finisse ainsi, et sans que je l’eusse réellement voulu, Annick décida un beau jour d’avoir une relation amoureuse complète. Cela se passa au bas des bois, sur les fougères de la forêt de l’huisserie dont le versant donnait sur la Mayenne, par un beau dimanche après-midi d’été.

    Complètement paniqué et maladroit, je n’eu, aucun souvenir de ce que j’avais pu réussir à faire ce jour là, pensant avoir raté mon coup comme d’habitude et être resté aux porte de la félicité.

    C’est par une lettre reçue quelques jours plus tard qu’elle m’appris mon déniaisement, me reprochant gentiment de n’avoir pas fait”attention” et s’inquiétant de possibles conséquences. Tout se passa bien néanmoins et nous continuâmes quelque temps à nous voir.

    La semaine avant que je parte effectuer mes obligations militaires, elle m’avait sans doute prévu une surprise, ses parents n’étant pas chez eux cette nuit là. Elle m’invita au cinéma, et je fus tellement désagréable avec elle, ne comprenant pas son refus de mes caresses que je la plaquais à la sortie, furieux et décidé à ne plus la revoir.

    Hélas, j’appris par sa lettre de rupture qu’une nuit d’amour était prévue au programme et que mon impatience avait tout gâché... .

    Quand réellement je m’interroge sur les détails de cette soirée je me dis que j’avais certainement du en faire exprès, ne me sentant de taille, malgré mon “énorme envie” à satisfaire la belle. Tout se passe comme si les choses dont je souhaite longtemps la réalisation ne me semblent plus tellement intéressantes lorsque j’ai l’intention de les expérimenter, sans doute, dans la crainte d’une déception Je préférais rester sur la construction imaginaire qui m’avait tant satisfait et ne désirait pas la détruire par le risque d’une réalisation supposée inférieure en plaisir à celui du virtuel.

    Pour analyser cette attitude un peu curieuse, bien que je me sois rendu compte par la suite que je n’étais pas le seul à avoir des réactions de ce type, et puisque la plupart de nos traits de caractère trouvent leur origine dans l’enfance, j’émettrais une hypothèse qui me parait assez plausible.

    Je n’ai vraiment pas, comme je l’ai expliqué précédemment, et pour des raisons dont personne n’est responsable, bénéficié de beaucoup d’affection pendant mon enfance. En ressentant le besoin, comme tout le monde, je me suis construit, pendant cette époque, par l’intermédiaire de mon imaginaire, des personnages, comme Rudolf, m’entourant de l’amour qui me manquait. L’imaginaire ne pouvait me décevoir car je le fabriquais, je m’y sentais à l’abri de la déception. Car déception il y avait forcément lorsque je commençais à vouloir entrer dans la réalité parentale qui en échange de ma quête, me renvoyait aux coups et brimades.

    Il n’est pas surprenant que je me sois complu dans cette tendresse auto créée qui a bercé mon enfance. Ceci expliquerait mes difficultés par la suite à entrer dans une réalité qui, par analogie, m’inquièterait car elle risquerait de m’apporter des déceptions.

    Il en est de même des cadeaux que j’ai toujours eus du mal à accepter, sans doute pour des raisons identiques? Un cadeau c’est de l’attention, quelquefois de l’affection, aussi parfois de l’amour. Oui, mais on ne me demande pas mon avis, on m’impose tout ce qui accompagne le cadeau. Le souvenir des déceptions liées aux sentiments, même s’il est loin, dissimulé dans l’inconscient, déplie ses antennes à cette occasion. Il me faut alors un temps “d’adaptation” pour désorganiser mes défenses et réduire l’équation : sentiments = déception en ramenant tout au même dénominateur afin de la simplifier, ce qui demande, même pour un bon mathématicien, un peu de temps.

    En ce qui concerne mon acceptation du bonheur et du plaisir, il en est de même. Lorsqu’il vient de l’extérieur, je rencontre à nouveau les mêmes barrières psychologiques. Il n’y a en fait que l’amour que je m’octroie et le bonheur venant de l’intérieur qui puisse me remplir de paix profonde. Tout ce qui est extérieur, humain, est toujours sujet aux incertitudes du moment. On peut y pallier comme je le fais, en accordant sans réserve son affection à ceux que l’on aime, sans attendre de retour, et la joie donnée à cette occasion est sans commune mesure avec celle que l’on peut recevoir.

    Cependant, je crois qu’avec la connaissance vient la sérénité, et qu’au moment opportun on reçoit beaucoup plus qu’on aurait souhaité. C’est ainsi qu’on apprend que c’est ce qu’on donne qui a le plus de valeur.

    Oui... mais... pour donner sans réserve il faut soi-même, s’équilibrer, ne plus attendre ne plus espérer, mais exister, et c’est un long chemin pour y parvenir, c’est le résultat des leçons de vie, celles qui proviennent de nos choix de départ et de leur mise en pratique sur le chemin.

    Pendant cette période adolescente il m’a été permis pour la première fois, décidément! Il s’agissait d’une époque d’initiation en tout genre, de me rendre avec la famille à l’étranger. En fait ce n’était pas très loin, car c’était en Belgique que nous devions nous transporter pour quelques jours. Nous primes le train jusqu’à Bruxelles puis une micheline jusqu’à un petit pays près de Gand ou habitaient la soeur de ma mère, Paula, plus âgée qu’elle, et son mari Willy, directeur d’une usine de compost et grand amateur de cigare et de football. Il mourut d’ailleurs quelques années plus tard en regardant un match, preuve que l’émotion était bien présente à chaque rendez vous télévisuel.

    Ces jours furent l’occasion de se remplir de bière, car on ne plaisante pas avec çà là bas. Du matin au soir et du soir au matin, j’avais l’impression d’être un alambic, vidangeant ma vessie toutes les demie heures. Nous vîmes bien sûr, avec beaucoup d’émotions pour ma mère, une grande partie de sa famille, dont l’oncle Frantz. Elle reprit facilement le flamand, malgré vingt ans d’arrêt. Nous voyageâmes de familles en familles, de bières en bières, jusqu’à plus soif et au delà. Après une excursion en Hollande avec la fille de Paula et son ami, en Mercedes s’il vous plait, nous primes le chemin du retour et de la routine...

    Je passais quelque temps plus tard le conseil de révision qui, malgré la découverte d’une petite anomalie cardiaque et la prescription obligé d’un contrôle à l’hôpital militaire, me déclara “bon pour le service”. Je ne fis pas la fête après avec les porteurs de cocarde, évitant, la leçon ayant portée, une saoulerie inutile... Je reçu ma convocation quelque temps après pour les trois jours de test à Guingamp et y ayant satisfait je m’apprêtais à entrer dans une nouvelle période de ma vie.

    Ce qui a caractérisé ma façon de penser de cette période fut d’abord, et à ma grande surprise, la découverte de mon indifférence totale envers ce que tous redoutaient : la mort. Je ne m’expliquais pas cela, me sentant totalement loin de cette frayeur naturelle.

    L’explication vint plus tard, pour cela, j’en reviens encore une fois, à nos choix de vie : inconsciemment nous savons tous, avec plus ou moins d’acuité, ce que nous devons accomplir dans cette existence. Pour ma part, il était certain qu’en effectuant les bons choix, je n’aurais pas à craindre dans l’immédiat cette échéance naturelle.

    Pendant cette période me fut communiqué également la connaissance du pouvoir de la pensée : je savais que toute action ne peut exister que si elle est précédée d’une pensée. En fait, il faut savoir que le véritable chemin de vie s’effectue dans la pensée avant sa réalisation effective. Aujourd’hui, il est même possible pour les initiés de modifier les choix de vie du départ, mais ceci est une autre histoire.....

    J’utilisais cette connaissance de la plus mauvaise façon qui soit, étant déjà aux prises avec mes futures leçons de vie, en l’occurrence les notions de bien et de mal qui commençaient à occuper mes réflexions nocturnes.

    Ce que je savais de moi jusqu’à présent était surtout bâti sur les commentaires et appréciations extérieures. D’après ce que vous savez maintenant, je ne pouvais pas avoir une haute opinion de moi-même. Les histoires de démons de ma mère et mon éducation religieuse n’avaient pas non plus contribué à ce que je me considère comme un saint.

    Affligé de tant de maux, me prenant pour ce que je n’étais pas, et sachant désormais que la pensée me guidait, je m’imaginais que je ne pouvais donc que sombrer dans une mauvaise voie.

    Je trouvais donc un système intellectuel, un transfert sur le physique, afin d’évacuer ces idées noires et expérimentais ainsi le pouvoir de la pensée sur le physique, en quelque sorte par une dérivation.

    Voici de quelle façon je m’y prenais, mais il faut suivre...Il me venait parfois des excroissances sur les doigts, tout à fait anodines, comme étant sans doute des bulles de liquide qui une fois percées disparaissaient. Afin d’occuper mon esprit torturé par mes réflexions spirituelles, je m’imaginais avoir le cancer des doigts, j’avais sans doute là inventé une nouvelle forme de la maladie, et je faisais semblant d’avoir réellement peur en me répétant sans arrêt pour calmer les angoisses que j’avais ainsi transposées “ je n’ai pas le cancer” à chaque fois qu’un mal être ressurgissait. Ce qui était un moyen pas très simple mais assez efficace pour masquer des concepts que je ne pouvais pas encore appréhender. Cette méthode tout en changeant de support me fut très utile plus tard, les mêmes causes engendrant les mêmes effets.

    J’ai écrit que cette période fut la réalisation de mon premier défi, vous venez de voir que d’autres se préparaient. Mon premier défi consistait dans la suppression de l’influence parentale. Au moment de partir au service militaire, je fis la paix avec mon père. Ma mère avait intuitivement compris mon désir de liberté et avec l’éducation de mes frères bénéficiait d’autres sujets d’appropriation. Mon père pleura, et abdiqua, il avait compris qu’entre nous rien ne serait plus comme avant. Dorénavant il me respectera toute sa vie, me valorisant à chaque occasion, pour enfin avouer qu’il était fier de moi un peu plus tard. En contrepartie je lui apportais toute l’affection et le partage dont j’étais capable et je l’accompagnais le plus possible de mon soutien dans sa fin de vie prématurée.

    Tous les ans au mois de mai nous assistons en Guadeloupe à un fabuleux spectacle.

    A la tombée du jour, les agriculteurs ont coutume de mettre le feu à leurs champs de cannes afin, d’une part d’augmenter la « richesse » en sucre, sur laquelle ils sont payés, la chaleur ayant pour effet d’en concentrer leur teneur, mais également de consumer les feuilles sèches pour favoriser le travail des coupeurs, car, bien entendu, ne brûlent que les feuilles sèches autour du pied...

    Comme en ce moment avec la saison sèche nous bénéficions de magnifiques couchers de soleil...

    Je vais essayer de vous faire imaginer le spectacle.

    Le soleil se couchait derrière le mont Sofaïa qui ne se découpait qu’en sombre sur un ciel résolument bleu pâle, les quelques nuages qui le parsemaient se coloraient d’un rose bonbon saisissant. Lorsque les feux de brûlage se sont allumés devant ce décor somptueux, et que les flammes jusqu’à dix mètres de haut se sont mises à se tordre dans un crépitement de pétards chinois, il n’y avait plus qu’à regarder. Les rangées s’allumaient les unes après les autres lâchant au dessus des flammes vives leur fumée sombre, parsemée de brindilles de cendres, qui obscurcissait le ciel.

    Devant ce décor somptueux, tous les sens s’imprégnaient de la scène.

    Tout ceci a duré une bonne dizaine de minutes et se passait à proximité, sur le versant de la colline qui borde la route. Comme la canne brûlée doit être récoltée rapidement pour conserver ses qualités, le matin, dès 5 heures, à la pointe du jour, alors qu’une persistante odeur de sucre d’orge flottait dans l’air, une dizaine de coupeurs, déjà noircis de suie, se répartissaient par rangées, au pied des tiges et commençaient à balancer leur machette en se lançant des plaisanteries. Un coup, on coupe le bas de la canne, un autre coup, on élague les feuilles vertes qui subsistent à l’extrémité du tronc, on jette au milieu les cannes propres et ainsi de suite, si bien qu’en quelques heures les deux hectares sont par terre et attendent le ramassage.

     


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    Chapitre 5
     

    CHAPITRE V


     

    Mon départ pour le service militaire s’effectua en deux temps; je ne partis pas à Morhange dans la Moselle et dans le corps du huitième régiment de dragons où j’étais affecté, mais à l’hôpital militaire de Rennes, situé à soixante dix kilomètres de mon domicile. La raison en était cette anomalie cardiaque qui avait été décelée au conseil de révision et qui devait faire l’objet d’investigations complémentaires.

    Je passais donc un mois à patienter ; les examens de toutes natures se succédaient tous les trois ou quatre jours, le reste du temps je devais rester assis sur mon lit ou me promener en peignoir dans le petit parc. Pour quelqu’un comme moi, en bonne santé et physiquement en forme car venant de disputer une intense saison sportive, ce séjour m’apparut comme une pénitence.

    Le jour du dernier examen arriva enfin avec une radio du coeur, puisque c’était là qu’était censé se tenir le problème majeur.

    Je vis avec un certain sourire, au début, le médecin militaire se pencher sur mon cas, par écran interposé ; je riais un peu moins quand il appela un collègue pour lui montrer ce qu’il avait vu et je ne riais plus du tout quand les quatre médecins de l’hôpital examinèrent avec force commentaires l’intérêt de leur découverte.

    L’examen passé, les questions fusèrent, portant sur ma capacité à faire des efforts. Un des doctes professeurs alla même jusqu’à mettre en doute ma capacité de me déplacer en marchant rapidement.

    Je réfutais tout en bloc, leur démontrant mes aptitudes physiques prouvées par mon sport exigeant de cycliste.

    Un des médecins, apparemment découragé se retira en disant

    -« Bon, puisqu’il veut y aller! »

    Ce qui mit fin au suspense.

    Un paraphe sur un document m’expédia le lendemain dans la froidure naissante de l’est de la France.

    En fait, je pense que ces médecins avaient du me trouver quelque sympathie et souhaitaient m’éviter ce qu”ils considéraient eux-mêmes comme du temps perdu évitable. Je souhaitais cependant effectuer mon service militaire, c’était le bon moment pour échapper à l’étreinte parentale, et un retour à la maison avec les mêmes habitudes m’aurait replongé dans cet univers un peu glauque où j’avais vécu trop longtemps. Le service militaire représentait également pour moi un moyen de voir d’autres personnes, d’autres endroits.

    Il y avait également un argument majeur à ce souhait: mon incapacité, à la SCOMAM, d’occuper mon temps perdu. J’avais remarqué le vif soulagement du responsable du personnel de me voir prendre le chemin de la porte. Il était agacé d’entendre le chef suprême se plaindre de me surprendre un peu partout dans l’usine sauf à mon poste de travail, ce qui fait qu’au moment de mon départ, il m’avait été clairement fait comprendre qu’un retour éventuel n’était pas envisageable...

    J’arrivais donc à mon affectation de Morhange, avec un mois de retard sur les appelés de ma classe. La caserne était de type classique, en briques rouge comme la plupart des nombreuses casernes construites dans cette région frontalière depuis longtemps, afin de se protéger contre l’ennemi héréditaire : l’Allemagne.

    Les camarades de mon unité ne m’avaient pas attendu et partaient dans la semaine pour une formation de quelques mois, au soleil, dans le sud de la France. Ils devaient s’initier à la conduite des chars, ce que je n’eus pas à faire. Par contre je dus apprendre la marche au pas et le maniement du fusil avec un gradé qui manifestement, n’attendais que le moment ou j’aurais assimilé suffisamment de rudiments pour retourner dormir dans sa cambuse. Je m’ennuyais donc ferme, rien n’ayant été prévu, à part quelques corvées pour occuper les retardataires.

    On finit par me mettre aux effectifs, dans un bureau ou je devais rester quelques temps, à m’ennuyer également, mais assis...

    Quand les collègues revinrent, je finis avec eux les classes, exercices de simulation de combat en tout genre, de jour comme de nuit, au bon gré des gradés qui nous entouraient. Ce n’était pas pour moi très difficile, l’aguerrissement sportif avait affûté ma condition physique et je ne souffris pas des longues marches et autres fantaisies disciplinaires....

    J’avais gardé cependant la faculté de me faire remarquer. Etant rentré un dimanche de sortie villageoise en compagnie d’un camarade de la région un peu éméché, je me mis à rire bêtement quand ce dernier entonna devant le sapin de noël de la cour de la caserne “mon beau sapin” en allemand, langue qu’il connaissait parfaitement. Ce” Oh Tannenbaum” nous fit interpeller par le gradé de garde au poste de police, ce qui nous valu avec quelques autres sanctionnés, une marche de nuit punitive, alors que je le rappelle je n’étais que le témoin rigolard.

    On nous lança en pleine nature à une vingtaine de kilomètres vers 23 heures muni de tout le lourd barda sur le dos en nous indiquant vaguement la direction à suivre....

    Ce qui aurait pu être une corvée s’arrangea tout compte fait assez bien, car je repérais les lieux assez facilement ayant eu l’occasion de m’y rendre précédemment et de m’y faire une relation chez qui nous nous rendîmes. Il ne dormait pas et nous passâmes ensemble deux bonnes heures à boire du café arrosé au schnaps. Il nous raccompagna, à cinq dans sa deux chevaux, et dans l’hilarité générale. Nous allâmes pointer notre rentrée au poste avec toutes les peines du monde à se retenir pour ne pas éclater de rire devant le regard contrit du jeune gradé qui nous plaignait de notre difficile périple.

    Mon indiscipline me valu d’être désigné pour accomplir le peloton de sous officiers en compagnie de quelques autres. Il s’agissait bien pour moi d’une mesure disciplinaire et non d’une promotion. Je ne plaisais pas au lieutenant qui commandait l’escadron, et je dus accomplir cette punition pour avoir certainement une nouvelle fois ouvert ma bouche au moment où il ne le fallait pas. Ce peloton de formation des sous-officiers se déroulait au Valdahon, dans le Doubs, région particulièrement froide et accidentée. Ce ne devait pas être une partie de plaisir, cependant mes aptitudes sportives me permirent de ne pas en souffrir.

    Après un mois de formation, au moment des résultats, j’allais voir la veille le cahier que le sergent chef qui nous notait laissait habituellement dans son bureau et je constatais avoir les moyennes suffisantes pour passer haut la main. Le matin de la proclamation des reçus je vis mon adjudant qui m’apréçiait malgré tout, sortir penaud du bureau du lieutenant. A son regard vers moi j’avais compris instantanément que ma carrière de sous officier s’arrêtait la. Effectivement j’étais le seul à avoir échoué à l’examen. J’eus l’occasion de revoir le lendemain le fameux carnet de notes et je pu ainsi constater que les miennes avaient été pratiquement toutes rayées pour être remplacées par des notes plus basses qui n’autorisaient évidemment pas la réussite.

    Je rejoignis donc mon escadron et mon poste aux effectifs jusqu’à la fin de mon séjour, ce qui tout compte fait n’était pas si mal.

    En ce qui concerne la suite de ma vie amoureuse, pendant cette période, je dois dire qu’elle fut dans l’ensemble assez intéressante. Il se trouva des petites conquêtes de quelques jours, voire quelques semaines dont la seule utilité fut de confirmer que j’étais capable même le cheveu coupé ras d’intéresser quelques autochtones.

    Il me fut donné de faire la connaissance, au cours d’un exercice passant dans un lotissement d’une femme d’un certain âge penché à sa fenêtre et qui paraissait prendre un plaisir incontestable à voir défiler devant elle de fringants militaires en légère tenue de sport. Je répondis au bonjour qu’elle me fit au passage auquel elle ajouta un

    « je suis là cet après-midi ». Je lui rétorquais mon impossibilité de lui rendre visite mais lui donnais malgré tout un rendez-vous pour le samedi suivant.

    Au jour dit, je me présentais au domicile de la dame ou je dois dire que son accueil dépassa mes espérances : non pas pour ce que vous pourriez croire…Je fus reçu comme un invité, avec chocolat et gâteaux, et en échange de ma conversation, cette dame qui manifestement s’ennuyait me fit passer un après-midi familial très agréable. La surprise intéressante arriva en fin de journée avec sa fille : Renée, jolie brunette, vendeuse dans une boulangerie de la ville et qui semblait s’intéresser de très près à…mon uniforme.

    Ce fut le début d’une longue amitié avec sa mère et d’une longue idylle avec la fille. En effet, pendant de nombreux mois j’eus le gîte et le couvert dans cette famille ou le mari, mineur de profession et travaillant en équipe rentrait fort tard une semaine sur deux, ce qui faisait que durant ses absences nous passions notre temps agréablement à discuter, regarder le télé et toute autre activité manuelle adaptée aux besoins de notre âge. Il apparut cependant très vite que la vision de nos amusements avait sur la mère un effet que je qualifierais de frustrant. Je compris bien vite qu’une présence masculine supplémentaire serait la bienvenue.

    Après m’être enquis des goûts de la dame, il ne me resta plus qu’à choisir parmi mes relations celui qui serait le plus à même de nous accompagner dans nos soirées récréatives. La maman n’attendait que cela, et, s’avérant assez boulimique dans ce domaine, ce fut pratiquement la majorité de mes congénères qui défila dans le pavillon. Ces soirées n’étaient cependant pas sans quelques risques : en effet, excepté pendant les permissions et le samedi nous n’étions pas autorisés à sortir le soir après vingt heures, il fallait donc s’arranger pour quitter la caserne en faisant le mur, ce qui n’était pas facile ; seul un endroit en bordure des cuisine l’autorisait. Heureusement, « travaillant » aux effectifs, nous n’étions pas sans nous rendre quelques services entre nous, les personnels des services. Les amis des cuisines me permirent de garder une des clés de la porte suffisamment longtemps pour que je puisse en faire un double.

    Les inspections nocturnes n’étant pas fréquentes nous eûmes la chance de ne pas nous faire prendre jusqu’au moment ou un gradé, un peu jaloux eut vent de l’affaire et nous pris sur le fait, nous menaçant de sanctions en cas de récidive. Je compris bien que sa clémence était en fait intéressée et que mon adjudant-chef aurait bien voulu faire partie des élus qui faisaient plaisir à la dame. Comme il savait que c’était moi qui détenait le sésame il me laissa donc tranquille.

    Cependant, malgré moi, cet épisode mis fin à mes soirées bi hebdomadaires, et je n’eus plus que certains samedis pour satisfaire mes appétits. En fait d’appétit, ils s’avéraient pour moi assez restreints dans la mesure où je continuais d’être affublé de ma sensibilité précoce qui m’interdisait la satisfaction mutuelle complète.

    Ne pouvant plus désormais satisfaire à une présence continuelle, et les appétits de la dame étant restés les mêmes car aiguisés par leur constance, les choses finirent par dégénérer. Arrivant un soir sans prévenir, j’eus la surprise de constater que la maison était envahie et que même ma dulcinée s’était enfermée dans sa chambre avec un ami, sans doute pas pour compter les moutons. Cette constatation mis fin à mes écarts militaro sentimentaux, ce qui tombait bien, car « la quille » approchait.

    Je ne devais, compte tenu de l’éloignement, rentrer que deux fois en permission chez mes parents, ce qui ne me gênait aucunement, n’en ressentant pas vraiment le besoin. Ma liberté était en marche, et quelle qu’en soit le prix à payer, elle devenait prioritaire.

    C’est au cours du service militaire que survint ce que j’ai appelé une illumination. Il faut encore bien comprendre le sens de ce terme qui pourrait laisser penser que je sois devenu un « illuminé » avec tous ce que cette appellation peut renfermer de connotation péjorative. Quand je parle d’illumination j’entends une soudaine prise de conscience d’une situation, agréable ou non, qui constate un fait ou incite à une action. Comme déjà avec mon ami Bernard, et ensuite dans des circonstances futures, c’est l’intervention d’un messager, d’un vecteur si on préfère, qui déclencha le phénomène. Il s’agissait cette fois ci d’un personnage pourtant pas très recommandable qui du par la suite prolonger son séjour à la caserne pour fait de désertion, évènement gravissime de l’époque car étant passible, en cas de conflit, excusez du peu, de la peine de mort, ainsi que cela figurait sur le livret militaire.

    Ce personnage par ailleurs très attachant, m’avait invité à passer le week-end dans sa famille et c’est dans un train bondé que nous partîmes pour Strasbourg. Nous devisions de choses et d’autres, de propos plus ou moins philosophiques car l’intéressé sursitaire avait vaguement étudié la psychologie. Comme un éclair, à la suite des quelques mots qu’il prononça et que sans doute j’attendais, cette illumination s’imposa à moi.

    Il est difficile d’expliquer rationnellement ce qui se passe car trop d’éléments interviennent dans l’esprit en un temps si bref.

    Afin d’essayer d’être clair je dirais à ce moment précis avoir pris conscience que ma période de « nettoyage » était terminée, je me trouvais instantanément confronté à un vide, de nature à la fois mental, mais également spirituel, bien que la notion présente de ma nature spirituelle ne m’apparaissait alors pas clairement. J’avais soudainement la notion de ne plus exister en tant qu’individualité, de n’être constitué, intellectuellement parlant, que de ce qu’autrui avait décidé d’y mettre, chacun dans sa partie. Je n’existais plus en tant qu’individu, je n’étais plus rien, qu’un sac vide dans lequel les autres avaient jeté leur savoir. C’était une sensation extrêmement désagréable et déstabilisante ; je me souviens être resté complètement abattu, n’écoutant plus mon camarade me raconter ses petites histoires, trop occupé à me demander ce qui se passait en moi et ce que je devais alors faire pour exister en tant qu’être humain responsable de sa vie.

    Vu d’un peu plus loin aujourd’hui, je me dis que cette « illumination » avait pour but de me faire savoir que tout commençait pour moi réellement, que je pouvais désormais, le nettoyage, étant effectué, me remplir d’autre chose, ce qui devait d’ailleurs pas la suite avoir un sens plus concret, mais néanmoins encore plus déstabilisateur.

    Jusqu’à la fin du court trajet, ces idées ne cessèrent de me poursuivre, cependant, elles étaient désormais intégrées dans ma connaissance et participaient certainement à la composition du « grand œuvre », que tous ceux qui doivent accomplir quelque chose perçoivent à un moment ou un autre de leur vie.

    La fin de mon service militaire se passa sans grand évènement notable. Je continuais à m’ennuyer ferme dans mon petit bureau des effectifs ou je passais par exemple une matinée entière à construire, à l’aide de la machine à écrire, un tableau très compliqué d’une grandeur de quatre pages format normal, collées au scotch ; lorsque ce tableau se trouvait enfin terminé, j’y inscrivais en grandes lettres tracées en biais, au travers des quatre feuilles ….. «  ETAT NEANT ». Ce « travail » étant, bien sur, tous les mois répétés.

    De temps à autre, je jetais un coup d’œil par la fenêtre afin d’y apercevoir mon ex-dulcinée traîtresse. La boulangerie ou elle travaillait se situant juste de l’autre côté de la rue.

    J’avais, je le crois bien, eu raison de vouloir à tout prix effectuer mon service militaire, car cette période m’avait permis, en un temps et un espace réduit, de découvrir un échantillon représentatif de ce qui pouvait exister en tant que caractères dans la société française, différents non seulement en fonction de leur catégorie socio professionnelle mais également selon leur lieu de résidence. Il s’y retrouvait vraiment toutes formes de personnages hauts en couleur, du délinquant au fils à papa, du futur séminariste au malade sexuel, de l’intello à l’inculte total. De nature curieuse et n’ayant pas encore eu l’opportunité de me frotter à cette faune, je pris plaisir à enrichir ma boite à personnages, ce dont je me servis par la suite au gré de mes rencontres et confrontations, évitant grâce à cela de juger trop promptement ou de rejeter craintivement.

    En Guadeloupe, à la période des fêtes existe une tradition particulièrement vivace et apprécié des autochtones, il s’agit du “chanté Nwël”. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de réunions destinées à chanter des chants de noël, c’est à dire des cantiques. Une série de manifestations se déroulant non loin, je suis allé, pour la première fois voir ce que cela donnait.

    Je suis donc parti à Jarry, immense zone commerciale jouxtant Pointe à Pitre assister à l’évènement. Après avoir avalé un bokit poulet acheté dans un lolo, je me suis assis sur un muret avec les spectateurs déjà nombreux dans l’attente du spectacle. Beaucoup de jeunes arboraient un bonnet rouge de père noël avec des lumières clignotantes tout autour; on aurait dit des gyrophares sur pied ! Alors que le spectacle devait débuter à 19H, les musiciens sont arrivés nonchalamment à 19H10. Pendant l’installation de leur matériel des livrets de cantiques étaient distribués gratuitement. Et puis, avec le traditionnel « Yékrik » , lancé par l’animateur sur le podium, auquel la foule répondait en coeur »Yékrak » puis le « mistikrik et mistikrak », les premières notes de musique :saxo accordéon, rythmées par le gwo-ka, commençaient à mettre la foule en émoi. Il faut dire que, bien que les cantiques soient les mêmes qu’en métropole, la façon de les interpréter n’à plus rien à y voir.

    Après les premières mesures destinées à chauffer le public, une dizaine de magnifiques créoles, drapées dans leur robe traditionnelle et chapeautées de coiffes de madras, montaient sur scène en dansant. Les spectatrices, les premières commençaient à s’agiter en cadence, remuant des hanches rythmiquement, puis au lancement des premiers chants repris par la foule qui levait les bras, tout le monde se mis à se trémousser en mesure. Il n’était d’ailleurs pas possible d’y résister tant le rythme “balançait. En une demi-heure heure l’ambiance était lâchée et les chants de noël s’élevaient dans la douceur de la nuit antillaise. Cela dure aussi longtemps que les spectateurs le souhaitent, jusqu’à plus d’envie, pour avoir la patience d’attendre le prochain noël.

    Mon retour au foyer s’effectua sans heurt, mes parents m’ayant prévenus de leurs déménagement à quelques kilomètres de Laval, à Bonchamps, suivant en cela la famille David, qu’ils continuaient donc à avoir comme voisin. Leur nouvelle résidence se situait dans une rangée de maisons basses jumelées par leur garage. Il s’agissait d’une opération locative initiée par la SCOMAM, désireuse de participer au logement de ses « employés supérieurs ». Cette option avait donc permis à mes parents une mise au vert dans ce village.

    Ces petites maisons avaient l’avantage d’être neuves et de bénéficier, du fait de leur plein pied, d’un petit terrain, où ma mère s’essaya à semer sans grande conviction, quelques radis.

    Autre surprise, mon père, se trouvant confronté à une obligation, la maison se trouvant à quelque distance de son lieu de travail, avait du se résoudre à passer son permis de conduire, ce qui autorisa mes parents à gagner une autonomie dans leurs déplacements, liberté jusqu’à présent inconnue.

    Mon arrivée ne déchaîna pas les passions, je compris vite qu’en mon absence d’autres habitudes s’étaient créées et que mon nouveau couchage sur le canapé de la salle à manger ne pouvait être que provisoire. Ma mère me fit rapidement comprendre au bout de quelques jours, que je devais sans plus tarder me mettre en quête d’une situation, afin de libérer la place et de ne pas me complaire dans une oisiveté qu’elle ne tolérerait pas. Il m’était de toute façon obligatoire de me remuer assez vite sur ce sujet, l’argent de poche pour mes loisirs ne pouvant plus m’être octroyé, ayant épuisé à l’armée les maigres économies de mon livret de caisse d’épargne.

    Grâce aux « petites annonces » du journal local, je fus embauché comme aide comptable dans une laiterie assez importante du sud du département, à Craon, petite ville distante d’une trentaine de kilomètres de mon lieu de résidence. Je trouvais rapidement une chambre, à l’étage d’un magasin de vêtements, tenu par une vieille fille d’un certain âge. Elle me fit rapidement regretter mon choix, son antipathie naturelle envers nombre de personnes, devant s’appliquer également à moi.

    Je devais néanmoins rester dans ce lieu pendant tout mon séjour, m’accommodant malgré tout de ses sautes d’humeur et de sa tyrannie domestique.

    Après m’être acquitté, ce qui n’était pas prévu dans mon budget, du mois de loyer à courir et de deux autres de caution, il me fallut gérer le peu qu’il me restait pour me nourrir jusqu’à ce que je puisse demander un acompte sur mon salaire, ma mère m’ayant fait comprendre qu’il n’était pas question de me prêter quoi que ce soi, et moi-même ayant décidé de ne plus avoir recours à eux, ma liberté étant le prix de mon autonomie. J’utilisais donc ce qu’il me restait comme monnaie pour acquérir en une seule fois ma nourriture de la semaine, étant déterminée, à la fin de celle-ci, à solliciter un acompte sur mon salaire qui devrait me permettre de subsister.

    La première semaine de mon nouveau travail, je dus ainsi me contenter d’une baguette de pain, d’un kilo de pommes Golden et d’une saucisse cuite, que je répartissais en cinq parties égales, jours restants à courir jusqu’au samedi après-midi, moment du retour chez mes parents pour le week-end.

    Ce qui fut dit fut fait et c’est le ventre un peu creux que je commençais mon travail qui, sur le papier se présentait comme une promotion puisque d’employé aux écritures deuxième échelon, je devenais aide comptable. De la comptabilité, je ne connaissais pas grand-chose. Mon initiation laborieuse car parcimonieuse, me fut conférée par le second du chef comptable qui préparait déjà envers moi, pauvre naïf, ses coups de Jarnac qui devaient faire de lui par la suite mon premier ennemi du travail. J’oeuvrais au milieu d’une équipe essentiellement féminine sur laquelle l’adjoint avait la haute main, et il pensait sans doute que la présence d’un nouveau coq dans la basse-cour risquait de lui faire perdre une partie de son influence sur cette assemblée en jupon.

    Dès que j’en eus la possibilité je remplaçais l’autocar qui m’emmenait jusqu’à Craon par un véhicule. Celui-ci, je m’en aperçus plus tard, était en fait déjà promis à la casse, je le fis donc bénéficier d’un sursis. Il s’agissait d’une Dauphine Renault de couleur noire, qui portait donc déjà son deuil et dont j’aurais du me méfier. Comme il s’agissait de mon premier véhicule, je n’étais pas apte à en vérifier le bon fonctionnement. Pour la somme modique de cinq cents francs, le reste payable en trois mensualités identiques, je devins propriétaire de ce véhicule, parfaitement incontrôlable par temps de pluie, et insortable par routes enneigées ou verglacées. Un des remèdes à sa mauvaise tenue de route, occasionné par son moteur à propulsion consistait dans le chargement à l’avant d’un sac de ciment de cinquante kilos qui rendait le véhicule plus stable. L’inconvénient qui en découlait naturellement consistait en la nette diminution du volume du coffre se situant à l’avant, et interdisait, du fait du déplacement de la charge dans les virages, le transport de tout objet un tantinet fragile.

    Il n’empêche que muni de ce véhicule, certes imparfait, qui eut la mauvaise idée de me lâcher au retour d’un réveillon de la St Sylvestre, en pleine campagne, je pus commencer à réitérer mes escapades du samedi soir et écumer les bals à la recherche de mes compléments féminins.

    C’est à la foire de la Saint Fiacre dans la ville de Château-Gontier que je fis la connaissance de Rolande.

    Chaque année pendant l’été, une grande foire qui durait presque un mois se tenait et je crois se tient encore, en bordure de la Mayenne, sur une immense place. Une foire pendant laquelle avaient lieu différents concours d’animaux : bovins, volailles, chiens, mais également des animations, des expositions de matériel agricole et surtout une important fête foraine, avec, en son centre un grand chapiteau utilisé régulièrement comme bal sous tente avec orchestre. Une foule de jeunes fréquentait cet endroit, partant du principe que plus il y a de monde, plus il y a d’amusement et plus il y a de choix.

    Je m’étais rendu ce samedi soir dans ce lieu dansant, sans idée préconçue et je n’eus même pas le temps de faire dix pas à l’intérieur avant d’être interceptée par une jeune fille au chignon châtain clair, vêtue d’une robe collante bleue turquoise à la mode, qui me fit immédiatement comprendre que je lui plaisais et m’incita à danser en sa compagnie.

    Nous ne restâmes pas très longtemps dans ce bal puisque je n’eus même pas le temps de voir l’orchestre, et je la raccompagnais chez elle après qu’elle eut prévenu ses amis de son départ. Nous utilisâmes le temps imparti à son retour à bien d’autres choses qu’à danser et ce fut le point de départ d’une aventure sentimentale qui aurait du me conduire jusqu’au mariage, si les circonstances l’avaient permis, mais ce ne fut pas le cas.

    Rolande était la benjamine d’une famille nombreuse, un peu dispersée comme c’est souvent le cas. Ses parents étaient très simples et sympathiques. Sa mère avait tenu l’unique commerce d’un petit village pendant de nombreuses années et elle avait gardé le sens de la convivialité, qualité exigé pour ce genre d’activité, surtout dans un village où la clientèle restreinte ne permet pas le faux pas sous peine de faillite. Je pense que malgré tout elle s’était plu dans ce métier, puisque la joie l’habitait encore. Son père, fort buveur, devait être cantonnier du village et ne déployait pas une considérable intelligence, il était malgré tout d’un abord très sympathique et bien que sa conversation se réduisait à peu de choses, il m’était agréable de lui tenir compagnie. Il me fallait souvent l’accompagner à la cave ou une barrique de cidre dur était toujours en perce et à disposition de sa soif qu’il avait importante ; je l’accompagnais légèrement au début, l‘âcreté du cidre n’étant pas de nature à me convenir, je me contentais par la suite de lui tenir compagnie. La fin de la journée était pour lui un peu difficile, mais sa femme, petite souris frêle, tout en le déplorant, ne lui en tenait pas rigueur.

    Rolande travaillait à Laval et occupait un studio car ses parents habitaient à quelques kilomètres de là. Je la rejoignais incognito le vendredi soir, sa logeuse interdisant la présence d’hommes dans l’appartement. Nous en repartions en catimini le samedi matin pour passer la journée ou le week-end chez ses parents qui me faisaient hypocritement dormir dans une chambre attenante. Je ne voyais plus mes parents que pour leur faire laver mon linge ou pour quelques dîners du samedi soir en compagnie de ma fiancée, car fiançailles officielles il y eut. A partir de ce moment ses parents nous autorisèrent à dormir dans le même lit, les convenances étant accomplies.

    Parallèlement à cet épisode il me fallait vivre, les jours de semaine, mes longues soirées de solitude craonnaise. 

    Il me fut donné de rencontrer un vieux marchand de chapeaux qui tenait commerce pratiquement en face de ma chambre : monsieur Lamé .Incidemment il me fit part de son activité bénévole au sein du patronage de la ville. Il s’occupait en effet de la troupe de théâtre, de bonne réputation, et avait justement un rôle à attribuer dans la prochaine pièce, en cours de répétition. Ce fut l’occasion de lier connaissance avec un groupe de jeunes fort intéressant qui m’aidèrent bien à m’intégrer à cette ville difficile et dont malgré tout je ne garde pas un souvenir des plus agréables.

    Le rôle manquant dans cette pièce de Casona, « La barque sans pêcheurs », était celui du démon, il me poursuivait encore celui-là, m’étais-je dis en acceptant de le jouer…..Tout se passa bien et je pus constater que j’aimais toute cette ambiance, les répétitions dans le froid, l’aide aux décors, les repas pris en commun, la mise en scène et bien sûr le spectacle en lui-même : se mettre en évidence publiquement devant trois cents personnes suspendues à vos paroles ! Pour moi il s’agissait d’une vraie découverte et je me laissais emporter tout au long des huit représentations par cette griserie qui remplissait mon âme de satisfaction.

    Je n’avais aucun problème pour apprendre mon texte, toujours grâce à ma mémoire « photographique », et je savais d’instinct trouver les intonations et attitudes convenables, ce qui faisait que ce brave monsieur Lamé n’avait pas à me diriger et qu’à la fin il me demandait souvent mon avis, se contentant de répéter au moins vingt fois par répétition à la cantonade : « imaginez vous que c’est vrai ! »

    On finit par me dire que j’étais doué et c’est vrai que je me sentais parfaitement à l’aise dans ce genre d’exercice, rattrapant toutes les années de repli sur moi et de timidité relationnelle dues au manque de confiance, héritage de mon éducation parentale.

    A la fin de cette pièce, monsieur Lamé mourut d’un cancer, le patronage s’étant d’autre part dissous, mes camarades de jeux et moi-même décidâmes de créer une association afin de continuer le théâtre, sous nos conditions et responsabilités, un théâtre engagé en quelque sorte.

    Je devins donc président fondateur du théâtre populaire d’amateurs craonnais soit T.PA.C. qui devait exister jusqu’à mon départ de cette ville quelques années plus tard.

    Là aussi ce fut le début d’une longue histoire d’amour avec le théâtre, qui devait s’achever un peu trop précocement, à la fois par le début de ma carrière professionnelle et aussi par mon mariage qui devait me donner d’autres responsabilités et occupations.

    Pendant quelques années il me fut permis malgré tout de mettre en scène et de produire de nombreuse pièces, non seulement à Craon, mais également dans d’autres grandes villes du département avec des succès mitigés, dépendant surtout de l’ouverture d’esprit des spectateurs potentiels, attirés vraiment par les représentations théâtrales ou simplement par la curiosité de voir jouer le fils du voisin. A ce petit jeu, la population du centre et du Sud de la Mayenne avait ma préférence.

    Nous étions arrivés à former un groupe de qualité et je veillais personnellement au choix des pièces qui, emporté par l’idéologie de mai 68 devaient selon moi véhiculer un message fort. Elles étaient censées obliger à faire réfléchir la bourgeoisie craonnaise et d’ailleurs. Je soumettais les pièces sélectionnées, de façon parfaitement démocratique, à l’ensemble du groupe qui en choisissait celle que nous devions préparer.

    L’utilisation des bénéfices, une fois la pièce jouée, était également soumis aux membres et leur répartition effectuée selon leur désir.

    C’était la première fois que je prenais une responsabilité au sein d’un groupe et cet apprentissage de la direction fut encore un remerciement que je dus à la pratique théâtrale. Grâce à cette première expérience je devais entre réussites et échecs prendre goût à cet exercice qui me valorisait d’autant plus que je me sentais considéré par l’ensemble du groupe qui reconnaissait en moi mes capacités d’acteur, de metteur en scène et de gestionnaire.

    Je prenais moi-même conscience avec eux de mes capacités innées d’organisateur, que je ne soupçonnais pas et qui devaient, par la suite, me servir de tremplin dans ma vie associative et professionnelle. Je pense que si les circonstances s’y étaient vraiment prêtées j’aurais aimé poursuivre un peu plus longtemps cette expérience et arriver à en faire plus qu’un amusement ; les joies que me donnait cet exercice furent parmi les plus intenses de ma vie.

    Je devais d’ailleurs participer à cette époque à de stages organisés par des professionnels mais dont le but n’était pas la détection de talents. Vraisemblablement ce n’était pas dans cette direction que mon choix de vie devait me mener, car il est certain que si cela avait été le cas, toute ma vie en aurait été bouleversée.

    Il n’empêche que mes aptitudes me permirent ensuite de quitter cette société dans laquelle, comme dans celles qui ont suivies je devais m’ennuyer et avoir l’impression d’une perte de temps, ne comprenant toujours pas ce à quoi pouvait servir le travail que j’effectuais sans goût à longueur de semaines.

    Comme à la SCOMAM, la durée du travail ne permettait que des fins de semaine réduites. Non seulement nous devions travailler tous les samedis matins mais également un samedi après-midi sur deux, cela pour des salaires de misère. Une fois le restaurant du midi et la location de la chambre payés, je ne pouvais que mettre de l’essence dans la voiture et m’offrir de temps en temps un vêtement.

    Mes fréquentations furent essentiellement théâtrales et très chaleureuses. Je devins pour un couple d’amis le compagnon multi soirées hebdomadaires, dînant en leur compagnie avec de temps à autre la présence d’autres amis acteurs qui nous accompagnaient dans nos parties de jeux de société.

    Je ne suis jamais arrivé à m’intégrer d’une autre façon dans ce village hostile dans lequel je ressentais fortement l’hypocrisie ambiante. La présence à la messe ou la séparation traditionnelle homme/femme était maintenue, sans être obligatoire, s’avérait cependant fortement recommandée. La puissance du clergé admise et reconnue me remplissait de malaise. J’avais honte de devoir suivre le troupeau afin d’essayer de ne pas me faire remarquer comme un hérétique dans mon milieu de travail, car ce que je m’obligeais à faire n’était pas en accord avec mes souhaits et pensées profondes.

    Tout en vomissant la bourgeoisie je m’efforçais de la copier, retournant au confessionnal pour les Pâques ou mon absence à la messe aurait évidemment été remarquée. De rebelle indépendant je devenais agneau soumis, et je trouvais heureusement dans le théâtre un moyen de me revaloriser, ce qui me permettait d’apprécier encore plus les applaudissement.

    Je trouvais également dans l’élaboration des programmes des représentations, que je rédigeais entièrement, un plaisir machiavélique à mettre en valeur, sous couvert de critique artistique tous les travers de la bourgeoisie que la pièce jouée était censée définir, espérant que le lecteur prendrait ces diatribes pour lui.

    Bien que cette période me semble aujourd’hui plutôt fade et sans relief, ce fut à l’examen, une séquence de ma vie particulièrement importante. Elle consista d’abord au début de mon indépendance, à la fois financière et résidentielle, ensuite à l’acquisition de responsabilités associatives et enfin au commencement d’une vie de couple quand j’y inclus évidement les transports nocturnes en commun et mes fiançailles. Ces évènements représentaient déjà beaucoup dans un temps aussi court, mais ce n’était pas terminé, bien d’autres faits encore plus importants prirent également naissance pendant cette époque…

    Je partis en vacances en Alsace avec Rolande, avec bien sur le soutien conditionnel du véhicule appelé automobile que je devais abreuver d’eau et d’huile environ tous les deux cents kilomètres. Il s’agissait de mon premier voyage lointain en autonomie et l’Alsace avait été choisi comme destination car une des sœurs de Rolande y demeurait. Nous devions la saluer au passage. De salut il y eut, mais notre séjour devait se prolonger pendant les quinze jours programmés de notre périple car une invitation à rester nous avait été formulée.

    Ce ne fut donc pas à cette occasion que je pus me rendre compte des capacités de ménagère et d’initiative de ma future épouse. Ses aptitudes à la cuisine et au ménage m’étaient essentiellement révélées au travers de sa mère car Rolande aidait seulement à mettre le couvert et à débarrasser après les repas.

    Il m’était par contre permis de vérifier ses capacités disons….affectives et je dois dire qu’elles étaient loin de me donner entière satisfaction. Ses transports amoureux me paraissaient assez froids. Cependant pour moi qui n’avait pas d’éléments de comparaison, je m’imaginais que mes lectures de livres érotiques devaient être exagérées en ce qui concerne les descriptions de l’exaltation féminine aux moments opportuns et que l’attitude passive de Rolande devait bien correspondre à la majorité des femmes sérieuses.

    Il y avait quand même quelque chose qui me gênait beaucoup plus : il s’agissait de son absence de tendresse, de mots d’amour, d’attentions bienveillantes, ce qui faisait que, petit à petit j’en vins à me demander quelle était ma place dans cette galère.

    L’inconvénient du système c’est qu’après une année de « fréquentation », agrémentée des fiançailles officielles, je devenais quasiment intégré à la famille, connaissant frères et sœurs, participant aux fêtes de famille, y compris les noëls, anniversaires et tout ce qu’on peut imaginer. Comment me tirer de ce mauvais pas sans froisser toutes ces susceptibilités ? Je me sentais véritablement pris au piège, ce qui bien sur n’améliorait pas mes rapports avec ma future promise.

    Les circonstances me furent néanmoins favorables puisqu’un soir de réunion imprévue à Laval et rentrant fort tardivement, je remarquais ma chère Rolande à l’intérieur d’un café de la place centrale en compagnie d’une fille assez connue pour sa liberté de mœurs. Les explications douteuses de ma « fiancée » ne me persuadèrent pas et me donnèrent une bonne raison de faire taire d’éventuels scrupules. Je restais néanmoins un été supplémentaire avec elle et les vacances sous la tente au Cap Fréhel me confirmèrent que la demoiselle n’était vraiment pas mûre pour la vie conjugale, ne sachant pas faire beaucoup de choses de ses dix doigts, et n’ayant aucune initiative dans quelque domaine que ce fut. Comme on le dit « quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ». Bref, elle ne me convenait pas.

    Je profitais donc d’un quinze août pour ne pas donner suite à une réunion de famille où j’étais invité et à l’issue de laquelle tout le monde compris que l’affaire était comme on dit communément  « dans le sac ». Je n’eus pas le loisir de récupérer les divers objets imprudemment laissés en dépôt dans la demeure familiale et je dois dire honnêtement que le seul regret que j’eus à déplorer dans cette histoire fut la perte de ma collection de « Lucky Luke », série de bandes dessinées à laquelle je tenais beaucoup…

    Me trouvant désormais seul et libre, je respirais un bon coup, heureux de m’être sorti d’une situation pour laquelle quelques mois auparavant je ne voyais pas d’issue.

    La remplaçante devait se trouver dans l’abondante collection de demoiselles travaillant dans la laiterie ou je traînais mon spleen. L’absence totale de motivation dans mon travail et la nullité des perspectives qui en découlait devait s’accompagner des brimades que je devais subir de la part de l’adjoint du chef comptable, jaloux je le supposais de ma liberté d’expression et de mes rapports amicaux avec la gente féminine.

    En ce beau dimanche d’automne ensoleillé je devais donc choisir entre deux rendez-vous galants…..Je choisis…..et devais épouser l’élue huit mois plus tard.

     

    L’endroit dans lequel je vis en Guadeloupe se trouve sur les premières pentes douces de la Basse-Terre, à quelques lieues de Pointe à Pitre, la sous-préfecture, et à trois kilomètres de la petite ville de Sainte -Rose. La maison, au toit et volets bleus, se situe sur les pentes d’un vallon, entre deux collines plongeant sur la ville. Face à la terrasse orientée plein Nord, s’étale la mer des Caraïbes. De chaque côté, des champs de cannes à sucre, en fleurs en ce moment, arborent fièrement une sorte de plumet blanc mauve qui domine la plante comme un petit drapeau. En lisière des champs, se découpant sur le ciel, quelques palmiers royaux d’une dizaine de mètres entourent de gros rochers.

    Sur la droite, une disgracieuse ligne à haute tension nous rappelle notre dépendance. Elle sera bientôt enterrée dit-on, mais les habitants comptent plutôt sur le prochain cyclone pour la voir disparaître. Devant, et jusqu’à la mer : du vert, avec des cocotiers, des manguiers, et de ci de là quelques toitures vert clair, bleu ciel et rose. Au delà de la verdure, la mer, coupée dans toute sa largeur par la barrière de corail, que les vagues en se brisant soulignent de blanc en une ligne plus ou moins pointillée en fonction de la force des vagues. Cette première partie, jusqu’à la barrière, change constamment de couleur, le bleu ciel et turquoise dominent, mais le vert vient souvent s’y mélanger. Au centre, quelques petites îles de mangrove bien vertes, et l’îlet blanc avec sa jolie plage de sable immaculé. Au delà de la barrière, les hauts fonds rendent, jusqu’à l’horizon la mer plus foncée de bleu, c’est là bas que passent les voiliers et les gros bateaux nonchalants et majestueux.

    Un autre événement important qui devait bouleverser ma vie pendant quelques années survint au cours de ma période craonnaise. A quelques semaines de mon mariage, naviguant dans une béatitude amoureuse de bon aloi, je demeurais toujours dans ma chambre du premier étage de ma logeuse abondamment vieille fille et au caractère acariâtre. C’est dans ce lieu que je devais connaître une expérience spirituelle particulièrement intense qui devais me perturber pour une longue période, m’empêchant de bénéficier pleinement de mon bonheur tout neuf.

    Il ne m’est pas possible de l’expliciter en détail, s’agissant d’une expérience personnelle particulièrement incitative et remettant en cause mon futur engagement. Cette prise de conscience me mettait en demeure, par le biais d’une illumination puissante de choisir entre le service et le mariage.

    Je l’avais compris dans ce sens et sans véritablement concevoir pourquoi je devais réfléchir sur la suite que je devais donner à mes prochaines années de vie. Un choix m’était demandé et je ne pouvais pas répondre par l’affirmative, le renoncement étant vraiment hors de mes possibilités de l’époque.

    A la lumière de la distance, les années d’expérience étant survenues, je comprends un peu mieux le sens de cet appel qui me laissa des nuits entières dans une angoisse particulièrement forte et dans un questionnement qui recevait toujours des réponses identiques et que je ne pouvais admettre.

    Ce travail qui m’était alors demandé, je le fais aujourd’hui, trente cinq ans après avec le renoncement obligé et les difficultés qui en découlent. Cependant, je sais qu’aujourd’hui, je suis dans la voie qu’il m’était demandé de suivre, et la paix qui en découle aujourd’hui était bien celle promise alors.

    Pourquoi n’ai-je pas à ce moment répondu à cet appel au service ? Parce que je ne le pouvais pas tout simplement. Les évènements qui ont suivi et la vie que j’ai menée depuis, avec tout ce qui a pu s’y passer d’éclairant m’ont désormais amené à suivre avec confiance les chemins qui s’ouvraient devant moi. Mon départ pour la Guadeloupe, en abandonnant tout derrière moi, incompréhensible pour la plupart des observateurs, est une réponse à un appel. Si je n’avais pas connu ce mauvais choix craonnais je ne l’aurais sans doute pas suivi. En ce sens il revient à dire que tout est positif, y compris lorsque on se fourvoie dans une voie de garage. Il y a toujours une leçon à en tirer. Il suffit alors de mener la vie que l’on a choisi, qui s’avère peut-être un peu plus difficile mais il s’agit du prix à payer en fonction du choix. Les leçons forment alors les éléments qui seront déterminants dans la prochaine orientation. Mais il ne faudra certes pas rater ce retour quand il se présentera.

    Mon refus de suivre cet appel de ma chambrette craonnaise a eu cependant comme conséquence de gâcher ma sérénité des années suivantes et je dus avoir recours aux remèdes habituels de tout un chacun mal dans sa peau pour mener une vie normale : alcool, tabac, nourriture, le cocktail infernal dont j’ai mis ensuite une dizaine d’années à me débarrasser

    Cet épisode craonnais a donc énormément compté dans ma vie. Il s’est avéré comme une charnière, autant dans ma vie familiale, professionnelle que spirituelle. Je n’en garde pas, peut être à cause de tout cela, un bon souvenir, et quand je passe à Craon pour y voir des amis, une sensation de malaise me gagne toujours.

    Qu’aurait été ma vie si j‘avais écouté ce message ? Certainement totalement différente de celle que j’ai vécu et intuitivement je pense que la plénitude serait intervenue plus rapidement. Je n’avais cependant alors aucun repère pour me lancer dans une nouvelle voie et ce que j’avais déjà connu de la relation divine n’était pas de nature à me laisser m’y engouffrer.

    Je préfère aujourd’hui ne comptabiliser que les éléments positifs et je me dis que tout est toujours dans l’ordre. J’ai utilisé mon libre arbitre, c’est-à-dire mon choix de vie, et même si ce n’était pas le bon choix, les années passées m’ont permis d’affiner mes connaissance et d’entrer dans ce qui m’était demandé de faire, avec un peu de retard bien sûr, mais dans l’acceptation totale, l’abandon et la satisfaction d’être enfin dans ma voie.

     

     

    Deux ans plus tard, naissait FLORENT,……

    Trente six ans plus tard naissait QUENTIN….


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    CHAPITRE -6

     

    CHAPITRE  VI

     

     

    Ce livre aurait du s’arrêter à la fin du chapitre précédent. La raison principale en empêchant la continuité, était due au fait que la suite de ma vie jusqu’au départ pour la Guadeloupe coïncidait avec la durée de mon mariage. Mon divorce étant en cours, il aurait pu être gênant autant pour mon épouse que pour moi d’évoquer notre vie commune passée et d’y révéler des aspects de personnalité qui ne regardent que moi et auxquels elle aurait évidement été mêlée.

    La fin de ma vie ne s’arrêta pas au début de mon mariage, on peut s’en douter, et la plupart des évènements importants me concernant advinrent durant cette période. Tout ce que j’ai raconté jusqu’à présent ne correspond qu’à une “mise en bouche” afin de mieux comprendre ce qui a pu se passer par la suite. Il n’aurait pas été compréhensible de cesser brusquement mon autobiographie alors que seul le préambule en était écrit.   

    Il s’agit donc de la dernière motivation, et la plus importante, qui fait que mon livre ne s’arrêtera pas là.

    S’arrêter au moment de mon mariage n’aurait en effet aucun sens, car ce livre n’aboutirait qu’à une lecture, certes je l’espère, intéressante, mais le sentiment de frustration qui en découlerait empêcherait de l’apprécier pleinement. Ce serait comme si on commençait à s’habiller en s’arrêtant au pantalon, ou si vous préférez si on s’arrêtait de manger après l’entrée.

    J’ai donc décidé de continuer ce récit. Cependant, pour ne porter tort à personne, j’occulterais tous les passages de ma vie commune. Cela ne devrait cependant pas altérer  la compréhension des évènements.

    Alors en route pour cette deuxième partie de ma vie de vingt trois à cinquante deux ans qui pourrait s’intituler tout du moins pour la partie concernant les vingt cinq  années suivantes : “après l’apprentissage, la pratique”.

     

    Grâce à la méthode des températures, que je pense tout le monde connaît, Florent ne naquit que deux ans après mon mariage. Pendant ces deux années passées dans le logement mal distribué, situé au deuxième étage d’un immeuble de la rue de la libération à Craon,  loué à l’évêché, je devais continuer à travailler dans la  laiterie qui m’avait embauchée après mon service militaire. L’intolérance de ce petit monde qui constituait ma hiérarchie, et baignait dans une catholicité pratiquante de bon aloi, ne cessait  de m’importuner. J’étais cantonné à des taches subalternes et ma qualification d’aide comptable figurant sur mon bulletin de salaire ne correspondait à aucune réalité.

    Le logement se situait à un bon kilomètre de mon lieu de travail et j’avais du échanger mon beau vélo de course contre deux bécanes rafistolées, ne souhaitant pas, par soucis d’économie utiliser ma voiture pour me rendre au travail. J’étais devenu après le naufrage catastrophique de ma Dauphine noire, l’heureux propriétaire d’une Renault huit major de couleur bleue que je devais garder assez longtemps.

    J’avais dû cesser mes activités sportives pour les raisons que j’ai exposées à la fin du chapitre précédent: L’appel au service de Dieu que je confondais alors avec la religion m’avait laissé dans un état de déséquilibre intense. Mes réveils nocturnes emplis d’angoisses et de questionnements n’avaient pas cessés spontanément, et mon mal-être était constant. J’avais donc du compenser, comme j’imagine être le cas pour beaucoup de personnes en dehors de leur voie, par l’absorption de nourriture abondante, de boissons alcoolisées et la consommation de cigarettes. A l’époque, en fonction de mon budget, il n’y avait le choix qu’entre les gitanes et les Gauloises, les “blondes” commençaient seulement à apparaître. Les gitanes étant plus chères ce sont les Gauloises qui eurent l’honneur de m’empoisonner pendant quelques années au rythme d’un paquet par jour.

    Ces abus eurent rapidement comme conséquence de modifier mon physique et de me faire retourner à l’époque maudite de mes onze/quatorze ans. Il y avait malgré tout une différence, c’est qu’on ne se moquait pas de moi, les gens respectables se contentant de me regarder en pensant, je le suppose, « Qu’est ce qu’il est gros celui là ». En effet, la bascule, malgré mon souhait, ne pouvait pas envisager de descendre au delà de quatre vingt huit kilos. Bien que je mesurais un mètre soixante seize, l’harmonie était loin d’être respectée.

    Il était donc hors de question de reprendre le vélo, je n’en avais d’ailleurs plus envie. Je me sentais dans un état instable, sans projet, sans avenir, en recherche de quelque chose dont j’ignorais la teneur. Une période de lassitude, comme l’impression d’être passé à côté de quelque chose d’important.

    Nous habitions donc dans un logement situé dans la rue principale de la ville. A gauche sur le palier une immense chambre donnant sur le jardin que j’avais meublée d’un lit et d’une bonnetière d’occasion achetée trois cent cinquante francs à un brocanteur et que je devais revendre en partant de France près de cinq mille francs.

    A droite sur le palier, une cuisine salle à manger assez petite, meublée en bois blanc, un réchaud deux feux, pas de frigo, voila le mobilier. Les salaires très bas ne permettaient pas davantage. Sur le palier, en face de l’escalier, une petite pièce servait de débarras.

    Je continuais cahin caha à faire du théâtre mais avec beaucoup moins de disponibilité, obligations familiales obligent. Il me fut permis cependant, de mettre en scène “le malade imaginaire” et d’y jouer le personnage principal. Cette pièce que nous produisîmes dans quelques villes mayennaise remporta un franc succès. La troupe composée d’une quinzaine de personnes, acteurs et techniciens, s’avérait très soudée et bon nombre d’entre eux restent encore des amis avec qui j’entretiens des relations par mails interposés.

    A propos d’amis, c’est à Craon que je fis la connaissance de Gérard, dont l’indépendance, la liberté de pensée et de vie me plurent. Il se maria avec une employée de la laiterie, Madeleine et nous nous liâmes d’amitié pendant cette période. Nous nous perdîmes de vue au moment de mon départ mais j’eus la surprise bien des années plus tard de les retrouver non loin de mon nouveau lieu d’habitation à la suite d’un déménagement dans le nord de la Mayenne. Il traversait alors une période douloureuse, la perte de leur premier enfant, une petite fille âgée de deux ans. Nous nous rencontrâmes à nouveau, et notre amitié, malgré la distance qui nous sépare tient encore. Mon grand regret fut de n’avoir pas accompli avec lui le pèlerinage à pied de Saint Jacques de Compostelle que nous envisagions et qu’il dut effectuer seul.

    Sa faconde épistolaire et ses idées pleines de tolérance et de respect d’autrui, me firent, pendant ces longues années d’amitié, concevoir que la valeur d’une personne est totalement indépendante de son appartenance à des groupes doctrinaires bien pensants, et que la liberté de vie apporte, dans l’amour du prochain et le respect de la nature, autant de satisfaction qu’une pratique religieuse sans fondement.

    A la naissance de Florent qui eut lieu dans l’hôpital situé pratiquement de l’autre côté de la rue, beaucoup de choses changèrent.

    L’accouchement eut lieu un dimanche et le médecin de service, sans doute très absorbé par ses occupations n’intervint qu’au tout dernier moment. L’essentiel du travail fut effectué par une petite soeur assez âgée qui avait la qualification de sage femme. Elle était remplie de gentillesse et contribua à ce que tout se passe bien.... Enfin presque, car le médecin pressé, n’ayant pas de temps à perdre effectua une sortie “à la ventouse” qui eut pour conséquence l’obligation de pratiquer une épisiotomie. A part le fait que pendant quelques jours Florent se présenta avec un rond rouge et proéminent sur le sommet du crâne, ce qui, je pense ne laissa aucune séquelle au cerveau (je plaisante), bébé atterrit de tout son petit poids dans notre vie.

    Petit poids mais grand changement. Comme pour tout le monde dans ce cas, il fallut dire adieu aux soirées  chez les amis, sorties au spectacle et s’activer dans les biberons, bains et changement de couches.

    Dans les conversions dues au bébé naissant,  il convient de signaler bien que son importance paraisse accessoire, mon intention et sa mise en application, d’arrêter de fumer. Pour y parvenir je consommais plus que ma dose tout un dimanche après-midi avec la ferme intention de m’écoeurer de ces fumées nocives. Le lendemain matin commençait mon sevrage. Je tins bon assez longtemps, mais il me fallut quelques soubresauts qui durèrent bien deux ans avant d’éliminer complètement le tabac de mes habitudes. Pour n’avoir tâté de la cigarette que pendant six ans, et quand je mesure la difficulté de l’arrêt, je me dis que les marchands de cigarette avaient vraiment le bon filon pour se gaver de profits gigantesques au détriment de la santé d’une partie importante de l’humanité.

    De longues années après se manifestait encore l’envie de fumer qu’il fallait à nouveau combattre, c’est à ce moment qu’on réalise qu’un moment de plaisir fugace coûte bien cher en énergie....

    Ce qui changea également fut ma prise de conscience que nos gains ne nous permettaient pas d’élever décemment un enfant. Cette naissance fut donc le détonateur à une recherche d’emploi. La succession de mécontentements dans mon  travail ne me fit pas regretter mon départ et je crois que pour mes directeurs il en fut de même.

    Dès la naissance, je me mis donc en quête d’un nouvel employeur et moins de deux mois après je quittais Craon avec le seul regret de me amitiés théâtrales.

    Les circonstances de ma nouvelle embauche furent assez curieuses. Je répondis à l’annonce d’une importante laiterie lavalloise recherchant un comptable. Bénéficiaire de ma qualification théorique d’aide-comptable et n’ayant de connaissances comptables que la passation des écritures sur une vieille machine électromécanique et le classement de documents, je ne me faisais guère d’illusion sur une suite favorable.

    Les circonstances me furent cependant propices. Je fus convoqué en entretien préalable à l’embauche, je pense avec quelques autres, et introduit auprès du chef comptable. Je remarquais rapidement, en fonction des questions qu’il me posait que je n’avais aucunement la qualification requise pour le poste proposé. Je m’aperçus cependant que ma convocation  était due aux quelques mots inscrits à la fin de mon C.V. et faisant mention de mon activité théâtrale.

    A partir de ce moment, l’entretien tourna autour de cette occupation et j’appris que mon chef comptable, Monsieur Arnaud était tout simplement un amoureux du théâtre. Il avait fait le conservatoire de Bordeaux et s’était commis avec succès dans de nombreuses pièces dans sa jeunesse. Il était célibataire, poète à ses heures et d’une exquise sensibilité et délicatesse pour tout ce qui touchait cet art majeur selon ses goûts. Je dus lui promettre d’améliorer mes connaissances comptables mais également de créer une troupe sur la ville de Laval, à laquelle il avait bien l’intention de mettre son grain de sel. Bien sur, ce deuxième point ne devait pas figurer sur mon contrat de travail, mais il fut déterminant pour sa signature. Comme aspect positif, et c’était le but recherché, mes gains de départ étaient plus élevés qu’auparavant, et à la fin de ma période d’essai, ils devaient encore augmenter pour un montant permettant de faire face à l’entretien d’une petite famille.

    Avant la fin de ma période d’essai d’un mois, nous habitâmes, grâce à mon nouveau responsable qui su faire considérer comme acquise mon embauche définitive, dans un des petits collectifs, alors presque en campagne : les Blardières. Il s’agissait de deux petits bâtiments de six logements chacun sur trois étages, situés en limite de la ville, un peu à l’écart de la nationale reliant Angers. La société qui m’employait en réservait quelques uns pour son encadrement. Cependant, les bonnes influences de Monsieur Arnaud, m’en firent bénéficier. Il faut dire que pendant cette période les contacts extra professionnels furent fréquents : création de la nouvelle troupe, choix de la pièce, tout était prétexte pour se rencontrer. Monsieur Arnaud, célibataire, s’ennuyait seul chez lui et il avait trouvé en moi quelqu’un qui d’après lui serait à même d’apprécier l’étendue de sa culture artistique. C’est ainsi qu’il me fit découvrir des disques de musique classiques, poèmes, me fit entrer dans le monde de la danse classique par l’intermédiaire d’un de ses amis professeur de danse. C’est de cette rencontre qu’est née l’idée de ma présence en tant que présentateur du spectacle annuel  de l’école de ballet. Monsieur Arnaud récitait entre chaque danse un poème de sa composition, pour ma part, j’annonçais avec sobriété son intervention et le thème du ballet qui suivait.

    Ce fut une très bonne expérience de maîtrise de ma timidité. Certes j’avais déjà et souvent joué devant des spectateurs, mais là il s’agissait d’autre chose. Imaginez la salle du Théâtre de Laval, certes rénovée, mais qui gardait encore des dimensions impressionnantes. Malgré le trac, j’allais jusqu’au bout du spectacle sans trop d’erreur, à la satisfaction de mon directeur à qui je devais bien ça, car il fermait éventuellement les yeux sur les erreurs commises dans mon travail et prenait ma défense en toute occasion.

    J’allais même jusqu’à lui présenter une de mes amies de la troupe craonnaise, excellente actrice et musicienne, dont le célibat devenait encombrant. Une brève idylle s’ensuivit, mais les habitudes trop ancrées de vieux garçon de Monsieur Arnaud mirent fin à l’expérience.

    Aux” Blardières” où nous résidâmes un an ou deux, je continuais, par habitude à aller à la messe le dimanche matin. Il y avait cependant du changement par rapport à Craon. Le prêtre était sympathique, il pratiquait l’absolution collective, ce qui permettait à tous de communier, et ses messes dans une petite église toute blanche, ne duraient pas trop longtemps. Ses sermons, autant que je m’en rappelle, n’en étaient pas. Je veux dire par là qu’il ne nous sermonnait pas mais mettait en valeur, sans jugement, quelques un de nos comportements de la vie quotidienne. Cette continuation de ma fréquentation des églises répondait encore à la croyance du péché mortel  que consistait l’absence au culte hebdomadaire. J’étais encore resté très imprégné des doctrines, et compte tenu de mon instabilité résiduelle du moment, je préférais ne pas en rajouter à ma culpabilité.

    Florent que je photographiais et filmais sur toutes les coutures et dans toutes les situations ne bénéficia pas longtemps du statut de fils unique, par contre il conserva pendant plus longtemps, et c’était moins agréable, celui de fils aîné.

    Effectivement, un an après sa naissance, Etienne s’annonçait, et bien sûr comme toujours dans ces cas là, le nouveau supplante l’ancien, tout du moins dans les préoccupations. Cette obligation, à le désavantage de faire ressentir au premier né qu’il devra dorénavant partager l’affection de ses parents, et cela ne fait jamais plaisir, je suis bien placé pour le savoir. Cette situation occasionna pour le petit frustré un déséquilibre affectif qui le conduisit à des manifestations bruyantes lors de son endormissement et à une nervosité destructrice, bien des années plus tard, aucun jouet ne sachant lui résister. Il fallait donc s’apprêter, avec l’arrivée de Guillaume, un an après Etienne, à ne plus pouvoir, pendant de nombreuses années, passer une nuit complète de sommeil, ce petit monde subissant, l’un après l’autre, les problèmes de son âge.

    Etienne naquit le seize octobre de l’année suivante, soit 1972 dans l’ancien hôpital de Laval, qui se trouvait juste en face de mon école primaire de la rue Sainte Anne.

    Peu de temps après, je devais bénéficier d’une opportunité qui me permit d’acquérir une première propriété. Ce n’étais certes pas le château de Chambord, mais  une petite maison jumelée, très fonctionnelle, agrémentée d’un terrain d’au moins deux cents mètres carrés. Il fut possible d’en devenir propriétaire grâce à deux facteurs favorables. Il s’agissait d’une des dernières maison d’un complexe immobilier important sur la commune de Saint Berthevin, près de Laval, et le promoteur, souhaitant ne pas traîner derrière lui les invendus, avec tous les frais de publicité que cela engendreraient . Il nous fit donc bénéficier des prix du début du programme, deux ans auparavant, ce qui, compte tenu de l’inflation galopante de l’époque était une vraie affaire. La deuxième opportunité vint de l’augmentation que Monsieur Arnaud ne manqua pas de m’octroyer en me nommant comptable deuxième échelon, après que j’eusse obtenu mon C.A.P. d’aide comptable dans les cours du soir dispensés par l’école lavalloise de la route du Mans.

    En ce qui concerne mon travail, j’étais plutôt paisible. Nous étions quatre dans un petit bureau et avions le plaisir de la conversation, monsieur Arnaud nous laissant tranquille. Les choses changèrent quelque peu au moment de ma “promotion”, car je dus occuper un bureau avec une aide-comptable qui passait sous ma responsabilité.

    Je devais à l’époque assurer la comptabilité et l’établissement  des comptes d’exploitations d’une dizaine de dépôts du groupe. C’est ainsi qu’on appelait des lieux de vente et de livraison de produits laitiers situés dans le grand ouest. Les connaissances que j’avais alors acquises me suffisaient pour assumer mon poste sans trop de difficultés. La société cependant grandissait, et je prévoyais le moment ou je devrais faire face à des responsabilités plus importantes,  Monsieur Arnaud me l’ayant lui-même suggéré.

    Je me remis donc dans les études, mais cette fois -ci par correspondance car la préparation du brevet professionnel, équivalant au bac pro d’aujourd’hui, ne faisait pas l’objet de formation par cours du soir, les matières en étant trop nombreuses et le contenu trop important. La durée des études pour cet examen était de deux ans. Je décidais néanmoins de m’y présenter dès la fin de la première année « à tout hasard ». A ma grande surprise je l’obtins, ce qui me permis de passer chef de services comptable avec le statut intéressant d’agent de maîtrise.

    Entre temps, la section dont je gérais la comptabilité était devenue société, avec un directeur, un service commercial etc...Il avait fallu, par manque de place, déménager rue de la Paix, dans le centre ville,  juste au-dessus du magasin où ma mère avait acheté le premier martinet qui ne m’avait pas fait rire.

    Il s’agissait d’un ancien laboratoire d’analyses et le moins qu’on pouvait en dire c’était qu’il n’était pas du tout adapté à une utilisation en bureaux. Nous nous y installâmes néanmoins. Cette fois ci, compte tenu de l’augmentation du travail il m’avait été alloué une personne supplémentaire, ce qui ne suffisait toutefois pas encore car nous dûmes travailler en équipe afin de rationaliser l’utilisation du matériel informatique. Le nouveau directeur de la société était sympathique, plutôt axé sur le commercial, ce qui fait qu’il s’intéressait peu à mon travail. Son manque d’assiduité à la gestion contribua d’ailleurs à son licenciement une année ou deux plus tard. Etant plutôt versé dans la religion il trouva un poste de directeur commercial dans une société spécialisée dans les ouvrages religieux, ce qui, somme toute, lui convenait très bien.

    Mais pour nous son départ signifiait un retour à la case siège social, séjour qui pour moi ne devait pas durer longtemps

     

     

     

    Cette semaine nous sommes montés avec Alain et des amis à la Soufrière. A propos de Soufrière il y a également un volcan appelé “ Soufrière Hill “sur l’île anglaise de Montserrat située à une cinquantaine de kilomètres et qu’on distingue bien de la côte quand le temps n’est pas trop brumeux. Ce volcan est entrée en éruption la semaine dernière et  a projeté des cendres jusqu’à  douze  Kms d’altitude, ce qui a provoqué ici un mini raz de marée avec quand même une quinzaine de bateau détruits dans le port de Deshaies. Dans cette région volcanique les phénomènes géologiques ne sont pas exceptionnels.

    La montée sur la Soufrière à partir du parking aux abords herbeux peuplés de mangoustes, dure entre une heure et une heure et demie.  Nous avons eu la chance de voir au fur et à mesure de la montée le long du sentier caillouteux, le sommet du volcan se dégager, ce qui n’arrive qu’une dizaine de jours par an. Nous avons donc pu bénéficier en regardant vers le bas, de la vision du paysage somptueux en vert et bleu sur la région de Basse Terre. La montée s’effectue dans une végétation très particulière constituée surtout d’épaisses mousses spongieuses : les sphaignes. Il faut savoir qu’il pleut sur les pentes environ de dix à douze mètres d’eau au mètre carré chaque année et la végétation s’y est adaptée. La particularité de ces mousses ocre et vertes réside dans l’absorption des pluies, ce qui est normal, mais également des sons. Il règne en cet endroit un silence absolu et inhabituel. Le paysage est parsemé d’ananas montagne qui forment une grosse fleur rouge à leur extrémité. Arrivé au sommet à plus de mille cinq cent mètres de haut, nous avons pu rester en  t-shirts grâce au soleil découvert, ce qui reste exceptionnel. La  visite du plateau au sommet s’effectue sur un parcours balisé de piquets de bois plantés tous les deux mètres car souvent un épais brouillard encombre la vision. Ce jour là le soleil éclairait la scène, paysage lunaire piqué de gros rochers dressés, avec ses deux cratères fumants et grondants. Le grondement est si fort que nous avions l’impression d’être au bord d’une autoroute passagère. C’était impressionnant. Avec Alain nous sommes passé sous les barrières de protection pour approcher juste au bord du cratère le plus actif et nous avons été surpris par un bref retour de vent, il a fallu battre en retraite rapidement  avec l’impression d’être aspergé d’acide tellement les gaz sont forts.

    Après la descente je suis allé me baigner dans ce qu’on appelle les bains jaunes sur les pentes du volcan, en fait c’est de l’eau limpide dans un bassin en pierre d’une quinzaine de mètres de long, bordé d’héliconias rouges et jaunes et de bambous géants, mais surtout bénéficiant d’une température idéale. Alain a voulu ensuite nous faire voir une vasque, un peu plus bas, a Dolé là ou se trouve la station d’embouteillage de la source Capès, au milieu des bananiers avec également de l’eau tiède, ou cette fois tout le monde s’est baigné. On aurait pu rester là des heures, entourés par les pétunias sauvages délicatement colorés de mauve et rose mais il fallait rentrer car Mina, la femme d’Alain nous avait préparé le couscous, ce qui s’imposait après cette journée particulière...

     

     

     

     

     

    Le passage dans cette nouvelle maison de Saint Berthevin, était-ce la sagesse, contribua à me prendre en charge pour une cure d’amaigrissement. J’avais retrouvé un semblant d’équilibre, ne fumais plus et une section sport et loisirs s’était crée au sein du comité d’entreprise. Son animateur étant un ami, je n’avais plus aucune raison de ne pas me remuer.

    Ce fut vraiment très difficile de recommencer à mettre les muscles en route, surtout avec le surpoids que je traînais depuis quelques années. Cependant, comme pour le reste je m’entraînais sérieusement, me levant aux aurores pour faire le tour du pâté de maison avant le petit déjeuner, méthode qu’on m’avait annoncée radicale pour perdre du poids. Malgré les débuts difficiles, je devais néanmoins continuer par la suite à avoir une activité sportive régulière, pour mon plus grand bien.

    Les premières compétitions de cross inter entreprises furent désastreuses, je terminais régulièrement avant dernier, battant uniquement un colosse de vingt kilos mon aîné. Avec l’obstination je devais cependant, les années suivantes arriver à figurer dans le début de la deuxième moitié du classement, ce dont je m’étais satisfait, mon poids bien qu’ayant baissé restait encore conséquent.

     

     

    Le passage de quelques années dans cette petite maison de Saint Berthevin me permis de faire connaissance avec les travaux manuels. Il fallait bien clôturer et entretenir le jardin. C’est très maladroitement que je montais donc, avec heureusement l’aide d’un nouvel ami, Jacques, qui devait prendre l’habitude de nous voir un soir par semaine, les quelques parpaings devant marquer notre territoire. Les malheureux haricots verts semés maladroitement, ainsi que les quelques salades ne suffirent pas, dans leur maigre production, à assurer le ravitaillement familial. Mais c’était un début, une découverte, et c’est à la longue que je découvris, bien plus tard, les plaisirs du jardinage.

    Etienne ne bénéficia pas, lui non plus très longtemps de son statut de dernier né, car quatre mois plus tard, Guillaume était en route. Il naquit le onze novembre mille neuf cent soixante treize, jour de la commémoration de l’armistice, et honnêtement je souhaitait que cette date prémonitoire mettrait fin également, comme pour  la guerre,  à la série.

    Les loisirs avec trois enfants jeunes étaient par obligations réduits. Nous avions mis en habitude la visite chez mes parents chaque samedi soir. Il faut dire que mes parents avaient entre temps quitté Bonchamps, mon père n’étant décidément pas quelqu’un de la campagne, pour revenir à Laval. La famille David avait acheté un appartement et mes parents avaient réussi à louer dans une tour sinistre d’un quartier H.L.M. situé en face du cimetière. Certes ils n’habitaient pas loin les uns des autres mais la séparation était entamée et même si les repas communs lors des grandes fêtes continuèrent, les visites se firent moins fréquentes. Il faut dire aussi que mes frères avaient grandis. Ils travaillaient désormais, eux aussi, à la SCOMAM, comme ouvriers, n’ayant, je  l’ai précisé aucun goût pour les études. Ils occupaient le terrain chez mes parents, en n’ayant aucunement l’intention de le libérer; ce qui, apparemment faisait l’affaire de tout le monde. Le même scénario de rivalité par enfants interposés continuait cependant et il est vrai que parfois le climat était tellement détestable qu’il n’encourageait pas à prolonger notre présence. Mon frère cadet, Raymond, était devenu plus ou moins envieux de l’attention que mes parents portaient à la famille David et à leurs enfants, il ne faisait rien pour améliorer le climat, ce qui explique également l’éloignement de ces vieux amis.

    Par habitude et pour garder la relation, nous allions en famille chaque samedi soir à ‘la tour”, au “Pavement” où nous emmenions ma mère à la messe de l’église du quartier, l’église Saint Paul. Là il s’agissait encore de quelque chose de nouveau. Du fait de sa situation au milieu d’un quartier peuplé de gens généralement défavorisé il y était mis des prêtres d’avant-garde. Il s’agissait à cette époque d’un prêtre ouvrier, qui bien sur pratiquait l’absolution collective mais, oh scandale avait le culot de mettre des jeunes filles comme enfants de coeur et de faire accompagner les chants par des groupes de rocks. C’était chaud! Mais agréable.

    En rentrant nous avions traditionnellement droit pour le souper au pot -au-feu que ma mère avait commencé à préparer dès le milieu de l’après-midi et tenu au chaud sous la couverture du lit familial. A cela s’ajoutait du pâté qu’elle achetait depuis toujours chez le même artisan charcutier qui conservait jalousement ses recettes anciennes. Généralement mes frères n’étaient pas là, ayant commencé leurs habitudes d’alcoolisation qui devait en détruire un et marquer l’autre, ce qui fait que nous évitions ainsi les hurlements habituels qui accompagnaient pratiquement chaque repas. Lorsqu’ils rentraient, déjà avinés, avant que nous ne soyons partis, Raymond n’hésitait pas à nous faire une démonstration de son savoir-faire en matière d’artificier, ce qui ne nous maintenait pas longtemps dans les lieux.

    Par rapport à ses petits-enfants, ma mère, comme elle l’avait fait pour ses enfants marquait ses préférences. Son chouchou c’était l’aîné, Florent qui avait droit à tout, à tel point que cela me gênait un peu pour ses frères; mais à cet âge, comme il ne pouvait pas jouer seul, ses frères profitaient malgré tout des cadeaux.  Nous l’obligions également à partager ses friandises une fois rentrés à la maison. Pour ma mère, Etienne était considéré comme “neutre”, quant à Guillaume elle ne l’aimait pas, le trouvant “sournois”, ce qui, à l’âge qu’il avait, était un qualificatif pour le moins inadapté. Mais elle était comme cela, il lui fallait justifier ses degrés d’amour, plus par provocation que par raisonnement.

    Michel venait parfois garder les enfants pour nous permettre d’aller au cinéma le dimanche après -midi. Ce bon Michel  était lui aussi, comme tout le reste de la famille, en phase de croissance ventrale et n’avait aucune autorité. Il s’était d’ailleurs un jour fait enfermer par les enfants dans une des chambres. Je ne sais pas comment il s’y était pris, mais il était impossible d’ouvrir de l’extérieur. Il était donc là, à la fenêtre à guetter notre retour alors que les enfants faisaient ce qu’ils voulaient dans le reste de la maison

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    Il avait donc fallu quitter les bureaux de la rue de la Paix pour retourner au siège social, près de l’ex-petit ruisseau de mon enfance. Je m’aperçus bien vite que la situation avait changé. Monsieur Arnaud était tombé malade, d’une rare maladie tropicale selon ses dires, qui devait l’empêcher de reprendre son poste et l’emporter quelques années plus tard. Un nouveau chef comptable l’avait remplacé. Il n’était pas bien méchant, fumeur de pipe, et songeait surtout à ne pas faire de vagues. J’avais cependant perdu mon protecteur et devais découvrir que certains parmis mes collègues entendaient bien prendre leur revanche sur les “faveurs” qui  m’avaient été accordées. C’est ainsi que je renouais avec les turpitudes habituelles qui font la vie des bureaux. Je dis renouer car j’avais déjà connu cette frustration à Craon avec l’adjoint du chef comptable qui avait employé, malgré sa dévotion catholique profonde, tous les moyens pour me discréditer auprès de la hiérarchie afin que je ne constitue pas une menace pour ses prérogatives.

    Les guerres intestines, à base de coups bas, de dénigrement,  et autres flatteries m’horripilaient, car cela n’entrait pas du tout dans mon fonctionnement, mais c’était malgré tout le passage obligé des promotions. L’humain est faible. Dans toute ma vie professionnelle qui devait suivre, je rencontrais le même genre de bassesse, de plus en plus fortes et élaborées au fur et à mesure de la “montée” dans la hiérarchie, d’où j’en déduisit,  par un de ces raccourcis dont j’ai le secret,  qu’en France, et certainement ailleurs, beaucoup de politiques, non compétents, tiennent les postes à responsabilité. Ceux qui savent présenter d’eux un visage conforme à la réalité gagnante du moment, jouent ainsi sur les faiblesses de ceux qui décident, réussissent à s’imposer, cela sans avoir besoin de présenter patte blanche quant à leur capacité. Dans mes relations professionnelles,  rares s’en trouvèrent  détachées de ce genre de comportement et je sus les apprécier à leur juste mesure. Tout cela fit que je dus, uniquement pour me défendre, utiliser un système qui ne me convenait pas et où, n’y étant pas à l’aise, je devais laisser constamment des plumes.

    Répugnant à devoir constamment lutter pour défendre son territoire, je décidais alors de tenter l’aventure dans une profession me laissant mon indépendance. Tout naturellement mon choix se porta vers le statut d’expert comptable, dont l’acquisition me semblait tout à fait à ma portée. Dans la foulée de mes études par correspondance, je m’inscrit pour le premier pallier : le probatoire du D.E.C.S., ce qui signifie “diplôme d’études comptables supérieures”. L’examen portait sur le code civil et d’autres matières dont je n’ai pas souvenances, mais là aussi, je ne connus pas l’échec.

    Cependant, une autre proposition devait modifier mon objectif.

    Les comportements du siège où chacun se battait pour une place au soleil me conduisirent  à accepter la proposition d’un poste de responsable administratif dans une unité de fabrication de poudre de lait du groupe, située à Mayenne, à trente kilomètres de là. La proposition avait été faite à plusieurs, mais personne n’avait accepté compte tenu de l’éloignement du siège qui risquait de voir leurs chances de promotion se désintégrer. J’en étais conscient également, mais l’ambiance était tellement désagréable qu’après avoir fait monter les enchères au niveau du poste, arguant de l’achat récent de mon pavillon, j’acceptais l’aventure. Mes frais de déménagement étaient payés, mon salaire confortable, le statut d’assimilé cadre qui permettait de cotiser à une caisse de retraite cadre alléchant et la description du poste me semblait apte à mes possibilités. D’autre part, contrairement à la plupart de mes collègues, je n’avais toujours pas d’ambition, et la perspective de carrière  ne représentait pas pour moi, un objectif majeur.

    C’est ainsi que le premier novembre mille neuf cent soixante quinze, j’entrais dans une phase nouvelle de ma vie professionnelle qui devait m’emmener jusqu’au début de l’année mille neuf cent quatre vingt deux.


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