• F/ Quentin et les suivants Chapitre VI

     

    CHAPITRE -6

     

    CHAPITRE  VI

     

     

    Ce livre aurait du s’arrêter à la fin du chapitre précédent. La raison principale en empêchant la continuité, était due au fait que la suite de ma vie jusqu’au départ pour la Guadeloupe coïncidait avec la durée de mon mariage. Mon divorce étant en cours, il aurait pu être gênant autant pour mon épouse que pour moi d’évoquer notre vie commune passée et d’y révéler des aspects de personnalité qui ne regardent que moi et auxquels elle aurait évidement été mêlée.

    La fin de ma vie ne s’arrêta pas au début de mon mariage, on peut s’en douter, et la plupart des évènements importants me concernant advinrent durant cette période. Tout ce que j’ai raconté jusqu’à présent ne correspond qu’à une “mise en bouche” afin de mieux comprendre ce qui a pu se passer par la suite. Il n’aurait pas été compréhensible de cesser brusquement mon autobiographie alors que seul le préambule en était écrit.   

    Il s’agit donc de la dernière motivation, et la plus importante, qui fait que mon livre ne s’arrêtera pas là.

    S’arrêter au moment de mon mariage n’aurait en effet aucun sens, car ce livre n’aboutirait qu’à une lecture, certes je l’espère, intéressante, mais le sentiment de frustration qui en découlerait empêcherait de l’apprécier pleinement. Ce serait comme si on commençait à s’habiller en s’arrêtant au pantalon, ou si vous préférez si on s’arrêtait de manger après l’entrée.

    J’ai donc décidé de continuer ce récit. Cependant, pour ne porter tort à personne, j’occulterais tous les passages de ma vie commune. Cela ne devrait cependant pas altérer  la compréhension des évènements.

    Alors en route pour cette deuxième partie de ma vie de vingt trois à cinquante deux ans qui pourrait s’intituler tout du moins pour la partie concernant les vingt cinq  années suivantes : “après l’apprentissage, la pratique”.

     

    Grâce à la méthode des températures, que je pense tout le monde connaît, Florent ne naquit que deux ans après mon mariage. Pendant ces deux années passées dans le logement mal distribué, situé au deuxième étage d’un immeuble de la rue de la libération à Craon,  loué à l’évêché, je devais continuer à travailler dans la  laiterie qui m’avait embauchée après mon service militaire. L’intolérance de ce petit monde qui constituait ma hiérarchie, et baignait dans une catholicité pratiquante de bon aloi, ne cessait  de m’importuner. J’étais cantonné à des taches subalternes et ma qualification d’aide comptable figurant sur mon bulletin de salaire ne correspondait à aucune réalité.

    Le logement se situait à un bon kilomètre de mon lieu de travail et j’avais du échanger mon beau vélo de course contre deux bécanes rafistolées, ne souhaitant pas, par soucis d’économie utiliser ma voiture pour me rendre au travail. J’étais devenu après le naufrage catastrophique de ma Dauphine noire, l’heureux propriétaire d’une Renault huit major de couleur bleue que je devais garder assez longtemps.

    J’avais dû cesser mes activités sportives pour les raisons que j’ai exposées à la fin du chapitre précédent: L’appel au service de Dieu que je confondais alors avec la religion m’avait laissé dans un état de déséquilibre intense. Mes réveils nocturnes emplis d’angoisses et de questionnements n’avaient pas cessés spontanément, et mon mal-être était constant. J’avais donc du compenser, comme j’imagine être le cas pour beaucoup de personnes en dehors de leur voie, par l’absorption de nourriture abondante, de boissons alcoolisées et la consommation de cigarettes. A l’époque, en fonction de mon budget, il n’y avait le choix qu’entre les gitanes et les Gauloises, les “blondes” commençaient seulement à apparaître. Les gitanes étant plus chères ce sont les Gauloises qui eurent l’honneur de m’empoisonner pendant quelques années au rythme d’un paquet par jour.

    Ces abus eurent rapidement comme conséquence de modifier mon physique et de me faire retourner à l’époque maudite de mes onze/quatorze ans. Il y avait malgré tout une différence, c’est qu’on ne se moquait pas de moi, les gens respectables se contentant de me regarder en pensant, je le suppose, « Qu’est ce qu’il est gros celui là ». En effet, la bascule, malgré mon souhait, ne pouvait pas envisager de descendre au delà de quatre vingt huit kilos. Bien que je mesurais un mètre soixante seize, l’harmonie était loin d’être respectée.

    Il était donc hors de question de reprendre le vélo, je n’en avais d’ailleurs plus envie. Je me sentais dans un état instable, sans projet, sans avenir, en recherche de quelque chose dont j’ignorais la teneur. Une période de lassitude, comme l’impression d’être passé à côté de quelque chose d’important.

    Nous habitions donc dans un logement situé dans la rue principale de la ville. A gauche sur le palier une immense chambre donnant sur le jardin que j’avais meublée d’un lit et d’une bonnetière d’occasion achetée trois cent cinquante francs à un brocanteur et que je devais revendre en partant de France près de cinq mille francs.

    A droite sur le palier, une cuisine salle à manger assez petite, meublée en bois blanc, un réchaud deux feux, pas de frigo, voila le mobilier. Les salaires très bas ne permettaient pas davantage. Sur le palier, en face de l’escalier, une petite pièce servait de débarras.

    Je continuais cahin caha à faire du théâtre mais avec beaucoup moins de disponibilité, obligations familiales obligent. Il me fut permis cependant, de mettre en scène “le malade imaginaire” et d’y jouer le personnage principal. Cette pièce que nous produisîmes dans quelques villes mayennaise remporta un franc succès. La troupe composée d’une quinzaine de personnes, acteurs et techniciens, s’avérait très soudée et bon nombre d’entre eux restent encore des amis avec qui j’entretiens des relations par mails interposés.

    A propos d’amis, c’est à Craon que je fis la connaissance de Gérard, dont l’indépendance, la liberté de pensée et de vie me plurent. Il se maria avec une employée de la laiterie, Madeleine et nous nous liâmes d’amitié pendant cette période. Nous nous perdîmes de vue au moment de mon départ mais j’eus la surprise bien des années plus tard de les retrouver non loin de mon nouveau lieu d’habitation à la suite d’un déménagement dans le nord de la Mayenne. Il traversait alors une période douloureuse, la perte de leur premier enfant, une petite fille âgée de deux ans. Nous nous rencontrâmes à nouveau, et notre amitié, malgré la distance qui nous sépare tient encore. Mon grand regret fut de n’avoir pas accompli avec lui le pèlerinage à pied de Saint Jacques de Compostelle que nous envisagions et qu’il dut effectuer seul.

    Sa faconde épistolaire et ses idées pleines de tolérance et de respect d’autrui, me firent, pendant ces longues années d’amitié, concevoir que la valeur d’une personne est totalement indépendante de son appartenance à des groupes doctrinaires bien pensants, et que la liberté de vie apporte, dans l’amour du prochain et le respect de la nature, autant de satisfaction qu’une pratique religieuse sans fondement.

    A la naissance de Florent qui eut lieu dans l’hôpital situé pratiquement de l’autre côté de la rue, beaucoup de choses changèrent.

    L’accouchement eut lieu un dimanche et le médecin de service, sans doute très absorbé par ses occupations n’intervint qu’au tout dernier moment. L’essentiel du travail fut effectué par une petite soeur assez âgée qui avait la qualification de sage femme. Elle était remplie de gentillesse et contribua à ce que tout se passe bien.... Enfin presque, car le médecin pressé, n’ayant pas de temps à perdre effectua une sortie “à la ventouse” qui eut pour conséquence l’obligation de pratiquer une épisiotomie. A part le fait que pendant quelques jours Florent se présenta avec un rond rouge et proéminent sur le sommet du crâne, ce qui, je pense ne laissa aucune séquelle au cerveau (je plaisante), bébé atterrit de tout son petit poids dans notre vie.

    Petit poids mais grand changement. Comme pour tout le monde dans ce cas, il fallut dire adieu aux soirées  chez les amis, sorties au spectacle et s’activer dans les biberons, bains et changement de couches.

    Dans les conversions dues au bébé naissant,  il convient de signaler bien que son importance paraisse accessoire, mon intention et sa mise en application, d’arrêter de fumer. Pour y parvenir je consommais plus que ma dose tout un dimanche après-midi avec la ferme intention de m’écoeurer de ces fumées nocives. Le lendemain matin commençait mon sevrage. Je tins bon assez longtemps, mais il me fallut quelques soubresauts qui durèrent bien deux ans avant d’éliminer complètement le tabac de mes habitudes. Pour n’avoir tâté de la cigarette que pendant six ans, et quand je mesure la difficulté de l’arrêt, je me dis que les marchands de cigarette avaient vraiment le bon filon pour se gaver de profits gigantesques au détriment de la santé d’une partie importante de l’humanité.

    De longues années après se manifestait encore l’envie de fumer qu’il fallait à nouveau combattre, c’est à ce moment qu’on réalise qu’un moment de plaisir fugace coûte bien cher en énergie....

    Ce qui changea également fut ma prise de conscience que nos gains ne nous permettaient pas d’élever décemment un enfant. Cette naissance fut donc le détonateur à une recherche d’emploi. La succession de mécontentements dans mon  travail ne me fit pas regretter mon départ et je crois que pour mes directeurs il en fut de même.

    Dès la naissance, je me mis donc en quête d’un nouvel employeur et moins de deux mois après je quittais Craon avec le seul regret de me amitiés théâtrales.

    Les circonstances de ma nouvelle embauche furent assez curieuses. Je répondis à l’annonce d’une importante laiterie lavalloise recherchant un comptable. Bénéficiaire de ma qualification théorique d’aide-comptable et n’ayant de connaissances comptables que la passation des écritures sur une vieille machine électromécanique et le classement de documents, je ne me faisais guère d’illusion sur une suite favorable.

    Les circonstances me furent cependant propices. Je fus convoqué en entretien préalable à l’embauche, je pense avec quelques autres, et introduit auprès du chef comptable. Je remarquais rapidement, en fonction des questions qu’il me posait que je n’avais aucunement la qualification requise pour le poste proposé. Je m’aperçus cependant que ma convocation  était due aux quelques mots inscrits à la fin de mon C.V. et faisant mention de mon activité théâtrale.

    A partir de ce moment, l’entretien tourna autour de cette occupation et j’appris que mon chef comptable, Monsieur Arnaud était tout simplement un amoureux du théâtre. Il avait fait le conservatoire de Bordeaux et s’était commis avec succès dans de nombreuses pièces dans sa jeunesse. Il était célibataire, poète à ses heures et d’une exquise sensibilité et délicatesse pour tout ce qui touchait cet art majeur selon ses goûts. Je dus lui promettre d’améliorer mes connaissances comptables mais également de créer une troupe sur la ville de Laval, à laquelle il avait bien l’intention de mettre son grain de sel. Bien sur, ce deuxième point ne devait pas figurer sur mon contrat de travail, mais il fut déterminant pour sa signature. Comme aspect positif, et c’était le but recherché, mes gains de départ étaient plus élevés qu’auparavant, et à la fin de ma période d’essai, ils devaient encore augmenter pour un montant permettant de faire face à l’entretien d’une petite famille.

    Avant la fin de ma période d’essai d’un mois, nous habitâmes, grâce à mon nouveau responsable qui su faire considérer comme acquise mon embauche définitive, dans un des petits collectifs, alors presque en campagne : les Blardières. Il s’agissait de deux petits bâtiments de six logements chacun sur trois étages, situés en limite de la ville, un peu à l’écart de la nationale reliant Angers. La société qui m’employait en réservait quelques uns pour son encadrement. Cependant, les bonnes influences de Monsieur Arnaud, m’en firent bénéficier. Il faut dire que pendant cette période les contacts extra professionnels furent fréquents : création de la nouvelle troupe, choix de la pièce, tout était prétexte pour se rencontrer. Monsieur Arnaud, célibataire, s’ennuyait seul chez lui et il avait trouvé en moi quelqu’un qui d’après lui serait à même d’apprécier l’étendue de sa culture artistique. C’est ainsi qu’il me fit découvrir des disques de musique classiques, poèmes, me fit entrer dans le monde de la danse classique par l’intermédiaire d’un de ses amis professeur de danse. C’est de cette rencontre qu’est née l’idée de ma présence en tant que présentateur du spectacle annuel  de l’école de ballet. Monsieur Arnaud récitait entre chaque danse un poème de sa composition, pour ma part, j’annonçais avec sobriété son intervention et le thème du ballet qui suivait.

    Ce fut une très bonne expérience de maîtrise de ma timidité. Certes j’avais déjà et souvent joué devant des spectateurs, mais là il s’agissait d’autre chose. Imaginez la salle du Théâtre de Laval, certes rénovée, mais qui gardait encore des dimensions impressionnantes. Malgré le trac, j’allais jusqu’au bout du spectacle sans trop d’erreur, à la satisfaction de mon directeur à qui je devais bien ça, car il fermait éventuellement les yeux sur les erreurs commises dans mon travail et prenait ma défense en toute occasion.

    J’allais même jusqu’à lui présenter une de mes amies de la troupe craonnaise, excellente actrice et musicienne, dont le célibat devenait encombrant. Une brève idylle s’ensuivit, mais les habitudes trop ancrées de vieux garçon de Monsieur Arnaud mirent fin à l’expérience.

    Aux” Blardières” où nous résidâmes un an ou deux, je continuais, par habitude à aller à la messe le dimanche matin. Il y avait cependant du changement par rapport à Craon. Le prêtre était sympathique, il pratiquait l’absolution collective, ce qui permettait à tous de communier, et ses messes dans une petite église toute blanche, ne duraient pas trop longtemps. Ses sermons, autant que je m’en rappelle, n’en étaient pas. Je veux dire par là qu’il ne nous sermonnait pas mais mettait en valeur, sans jugement, quelques un de nos comportements de la vie quotidienne. Cette continuation de ma fréquentation des églises répondait encore à la croyance du péché mortel  que consistait l’absence au culte hebdomadaire. J’étais encore resté très imprégné des doctrines, et compte tenu de mon instabilité résiduelle du moment, je préférais ne pas en rajouter à ma culpabilité.

    Florent que je photographiais et filmais sur toutes les coutures et dans toutes les situations ne bénéficia pas longtemps du statut de fils unique, par contre il conserva pendant plus longtemps, et c’était moins agréable, celui de fils aîné.

    Effectivement, un an après sa naissance, Etienne s’annonçait, et bien sûr comme toujours dans ces cas là, le nouveau supplante l’ancien, tout du moins dans les préoccupations. Cette obligation, à le désavantage de faire ressentir au premier né qu’il devra dorénavant partager l’affection de ses parents, et cela ne fait jamais plaisir, je suis bien placé pour le savoir. Cette situation occasionna pour le petit frustré un déséquilibre affectif qui le conduisit à des manifestations bruyantes lors de son endormissement et à une nervosité destructrice, bien des années plus tard, aucun jouet ne sachant lui résister. Il fallait donc s’apprêter, avec l’arrivée de Guillaume, un an après Etienne, à ne plus pouvoir, pendant de nombreuses années, passer une nuit complète de sommeil, ce petit monde subissant, l’un après l’autre, les problèmes de son âge.

    Etienne naquit le seize octobre de l’année suivante, soit 1972 dans l’ancien hôpital de Laval, qui se trouvait juste en face de mon école primaire de la rue Sainte Anne.

    Peu de temps après, je devais bénéficier d’une opportunité qui me permit d’acquérir une première propriété. Ce n’étais certes pas le château de Chambord, mais  une petite maison jumelée, très fonctionnelle, agrémentée d’un terrain d’au moins deux cents mètres carrés. Il fut possible d’en devenir propriétaire grâce à deux facteurs favorables. Il s’agissait d’une des dernières maison d’un complexe immobilier important sur la commune de Saint Berthevin, près de Laval, et le promoteur, souhaitant ne pas traîner derrière lui les invendus, avec tous les frais de publicité que cela engendreraient . Il nous fit donc bénéficier des prix du début du programme, deux ans auparavant, ce qui, compte tenu de l’inflation galopante de l’époque était une vraie affaire. La deuxième opportunité vint de l’augmentation que Monsieur Arnaud ne manqua pas de m’octroyer en me nommant comptable deuxième échelon, après que j’eusse obtenu mon C.A.P. d’aide comptable dans les cours du soir dispensés par l’école lavalloise de la route du Mans.

    En ce qui concerne mon travail, j’étais plutôt paisible. Nous étions quatre dans un petit bureau et avions le plaisir de la conversation, monsieur Arnaud nous laissant tranquille. Les choses changèrent quelque peu au moment de ma “promotion”, car je dus occuper un bureau avec une aide-comptable qui passait sous ma responsabilité.

    Je devais à l’époque assurer la comptabilité et l’établissement  des comptes d’exploitations d’une dizaine de dépôts du groupe. C’est ainsi qu’on appelait des lieux de vente et de livraison de produits laitiers situés dans le grand ouest. Les connaissances que j’avais alors acquises me suffisaient pour assumer mon poste sans trop de difficultés. La société cependant grandissait, et je prévoyais le moment ou je devrais faire face à des responsabilités plus importantes,  Monsieur Arnaud me l’ayant lui-même suggéré.

    Je me remis donc dans les études, mais cette fois -ci par correspondance car la préparation du brevet professionnel, équivalant au bac pro d’aujourd’hui, ne faisait pas l’objet de formation par cours du soir, les matières en étant trop nombreuses et le contenu trop important. La durée des études pour cet examen était de deux ans. Je décidais néanmoins de m’y présenter dès la fin de la première année « à tout hasard ». A ma grande surprise je l’obtins, ce qui me permis de passer chef de services comptable avec le statut intéressant d’agent de maîtrise.

    Entre temps, la section dont je gérais la comptabilité était devenue société, avec un directeur, un service commercial etc...Il avait fallu, par manque de place, déménager rue de la Paix, dans le centre ville,  juste au-dessus du magasin où ma mère avait acheté le premier martinet qui ne m’avait pas fait rire.

    Il s’agissait d’un ancien laboratoire d’analyses et le moins qu’on pouvait en dire c’était qu’il n’était pas du tout adapté à une utilisation en bureaux. Nous nous y installâmes néanmoins. Cette fois ci, compte tenu de l’augmentation du travail il m’avait été alloué une personne supplémentaire, ce qui ne suffisait toutefois pas encore car nous dûmes travailler en équipe afin de rationaliser l’utilisation du matériel informatique. Le nouveau directeur de la société était sympathique, plutôt axé sur le commercial, ce qui fait qu’il s’intéressait peu à mon travail. Son manque d’assiduité à la gestion contribua d’ailleurs à son licenciement une année ou deux plus tard. Etant plutôt versé dans la religion il trouva un poste de directeur commercial dans une société spécialisée dans les ouvrages religieux, ce qui, somme toute, lui convenait très bien.

    Mais pour nous son départ signifiait un retour à la case siège social, séjour qui pour moi ne devait pas durer longtemps

     

     

     

    Cette semaine nous sommes montés avec Alain et des amis à la Soufrière. A propos de Soufrière il y a également un volcan appelé “ Soufrière Hill “sur l’île anglaise de Montserrat située à une cinquantaine de kilomètres et qu’on distingue bien de la côte quand le temps n’est pas trop brumeux. Ce volcan est entrée en éruption la semaine dernière et  a projeté des cendres jusqu’à  douze  Kms d’altitude, ce qui a provoqué ici un mini raz de marée avec quand même une quinzaine de bateau détruits dans le port de Deshaies. Dans cette région volcanique les phénomènes géologiques ne sont pas exceptionnels.

    La montée sur la Soufrière à partir du parking aux abords herbeux peuplés de mangoustes, dure entre une heure et une heure et demie.  Nous avons eu la chance de voir au fur et à mesure de la montée le long du sentier caillouteux, le sommet du volcan se dégager, ce qui n’arrive qu’une dizaine de jours par an. Nous avons donc pu bénéficier en regardant vers le bas, de la vision du paysage somptueux en vert et bleu sur la région de Basse Terre. La montée s’effectue dans une végétation très particulière constituée surtout d’épaisses mousses spongieuses : les sphaignes. Il faut savoir qu’il pleut sur les pentes environ de dix à douze mètres d’eau au mètre carré chaque année et la végétation s’y est adaptée. La particularité de ces mousses ocre et vertes réside dans l’absorption des pluies, ce qui est normal, mais également des sons. Il règne en cet endroit un silence absolu et inhabituel. Le paysage est parsemé d’ananas montagne qui forment une grosse fleur rouge à leur extrémité. Arrivé au sommet à plus de mille cinq cent mètres de haut, nous avons pu rester en  t-shirts grâce au soleil découvert, ce qui reste exceptionnel. La  visite du plateau au sommet s’effectue sur un parcours balisé de piquets de bois plantés tous les deux mètres car souvent un épais brouillard encombre la vision. Ce jour là le soleil éclairait la scène, paysage lunaire piqué de gros rochers dressés, avec ses deux cratères fumants et grondants. Le grondement est si fort que nous avions l’impression d’être au bord d’une autoroute passagère. C’était impressionnant. Avec Alain nous sommes passé sous les barrières de protection pour approcher juste au bord du cratère le plus actif et nous avons été surpris par un bref retour de vent, il a fallu battre en retraite rapidement  avec l’impression d’être aspergé d’acide tellement les gaz sont forts.

    Après la descente je suis allé me baigner dans ce qu’on appelle les bains jaunes sur les pentes du volcan, en fait c’est de l’eau limpide dans un bassin en pierre d’une quinzaine de mètres de long, bordé d’héliconias rouges et jaunes et de bambous géants, mais surtout bénéficiant d’une température idéale. Alain a voulu ensuite nous faire voir une vasque, un peu plus bas, a Dolé là ou se trouve la station d’embouteillage de la source Capès, au milieu des bananiers avec également de l’eau tiède, ou cette fois tout le monde s’est baigné. On aurait pu rester là des heures, entourés par les pétunias sauvages délicatement colorés de mauve et rose mais il fallait rentrer car Mina, la femme d’Alain nous avait préparé le couscous, ce qui s’imposait après cette journée particulière...

     

     

     

     

     

    Le passage dans cette nouvelle maison de Saint Berthevin, était-ce la sagesse, contribua à me prendre en charge pour une cure d’amaigrissement. J’avais retrouvé un semblant d’équilibre, ne fumais plus et une section sport et loisirs s’était crée au sein du comité d’entreprise. Son animateur étant un ami, je n’avais plus aucune raison de ne pas me remuer.

    Ce fut vraiment très difficile de recommencer à mettre les muscles en route, surtout avec le surpoids que je traînais depuis quelques années. Cependant, comme pour le reste je m’entraînais sérieusement, me levant aux aurores pour faire le tour du pâté de maison avant le petit déjeuner, méthode qu’on m’avait annoncée radicale pour perdre du poids. Malgré les débuts difficiles, je devais néanmoins continuer par la suite à avoir une activité sportive régulière, pour mon plus grand bien.

    Les premières compétitions de cross inter entreprises furent désastreuses, je terminais régulièrement avant dernier, battant uniquement un colosse de vingt kilos mon aîné. Avec l’obstination je devais cependant, les années suivantes arriver à figurer dans le début de la deuxième moitié du classement, ce dont je m’étais satisfait, mon poids bien qu’ayant baissé restait encore conséquent.

     

     

    Le passage de quelques années dans cette petite maison de Saint Berthevin me permis de faire connaissance avec les travaux manuels. Il fallait bien clôturer et entretenir le jardin. C’est très maladroitement que je montais donc, avec heureusement l’aide d’un nouvel ami, Jacques, qui devait prendre l’habitude de nous voir un soir par semaine, les quelques parpaings devant marquer notre territoire. Les malheureux haricots verts semés maladroitement, ainsi que les quelques salades ne suffirent pas, dans leur maigre production, à assurer le ravitaillement familial. Mais c’était un début, une découverte, et c’est à la longue que je découvris, bien plus tard, les plaisirs du jardinage.

    Etienne ne bénéficia pas, lui non plus très longtemps de son statut de dernier né, car quatre mois plus tard, Guillaume était en route. Il naquit le onze novembre mille neuf cent soixante treize, jour de la commémoration de l’armistice, et honnêtement je souhaitait que cette date prémonitoire mettrait fin également, comme pour  la guerre,  à la série.

    Les loisirs avec trois enfants jeunes étaient par obligations réduits. Nous avions mis en habitude la visite chez mes parents chaque samedi soir. Il faut dire que mes parents avaient entre temps quitté Bonchamps, mon père n’étant décidément pas quelqu’un de la campagne, pour revenir à Laval. La famille David avait acheté un appartement et mes parents avaient réussi à louer dans une tour sinistre d’un quartier H.L.M. situé en face du cimetière. Certes ils n’habitaient pas loin les uns des autres mais la séparation était entamée et même si les repas communs lors des grandes fêtes continuèrent, les visites se firent moins fréquentes. Il faut dire aussi que mes frères avaient grandis. Ils travaillaient désormais, eux aussi, à la SCOMAM, comme ouvriers, n’ayant, je  l’ai précisé aucun goût pour les études. Ils occupaient le terrain chez mes parents, en n’ayant aucunement l’intention de le libérer; ce qui, apparemment faisait l’affaire de tout le monde. Le même scénario de rivalité par enfants interposés continuait cependant et il est vrai que parfois le climat était tellement détestable qu’il n’encourageait pas à prolonger notre présence. Mon frère cadet, Raymond, était devenu plus ou moins envieux de l’attention que mes parents portaient à la famille David et à leurs enfants, il ne faisait rien pour améliorer le climat, ce qui explique également l’éloignement de ces vieux amis.

    Par habitude et pour garder la relation, nous allions en famille chaque samedi soir à ‘la tour”, au “Pavement” où nous emmenions ma mère à la messe de l’église du quartier, l’église Saint Paul. Là il s’agissait encore de quelque chose de nouveau. Du fait de sa situation au milieu d’un quartier peuplé de gens généralement défavorisé il y était mis des prêtres d’avant-garde. Il s’agissait à cette époque d’un prêtre ouvrier, qui bien sur pratiquait l’absolution collective mais, oh scandale avait le culot de mettre des jeunes filles comme enfants de coeur et de faire accompagner les chants par des groupes de rocks. C’était chaud! Mais agréable.

    En rentrant nous avions traditionnellement droit pour le souper au pot -au-feu que ma mère avait commencé à préparer dès le milieu de l’après-midi et tenu au chaud sous la couverture du lit familial. A cela s’ajoutait du pâté qu’elle achetait depuis toujours chez le même artisan charcutier qui conservait jalousement ses recettes anciennes. Généralement mes frères n’étaient pas là, ayant commencé leurs habitudes d’alcoolisation qui devait en détruire un et marquer l’autre, ce qui fait que nous évitions ainsi les hurlements habituels qui accompagnaient pratiquement chaque repas. Lorsqu’ils rentraient, déjà avinés, avant que nous ne soyons partis, Raymond n’hésitait pas à nous faire une démonstration de son savoir-faire en matière d’artificier, ce qui ne nous maintenait pas longtemps dans les lieux.

    Par rapport à ses petits-enfants, ma mère, comme elle l’avait fait pour ses enfants marquait ses préférences. Son chouchou c’était l’aîné, Florent qui avait droit à tout, à tel point que cela me gênait un peu pour ses frères; mais à cet âge, comme il ne pouvait pas jouer seul, ses frères profitaient malgré tout des cadeaux.  Nous l’obligions également à partager ses friandises une fois rentrés à la maison. Pour ma mère, Etienne était considéré comme “neutre”, quant à Guillaume elle ne l’aimait pas, le trouvant “sournois”, ce qui, à l’âge qu’il avait, était un qualificatif pour le moins inadapté. Mais elle était comme cela, il lui fallait justifier ses degrés d’amour, plus par provocation que par raisonnement.

    Michel venait parfois garder les enfants pour nous permettre d’aller au cinéma le dimanche après -midi. Ce bon Michel  était lui aussi, comme tout le reste de la famille, en phase de croissance ventrale et n’avait aucune autorité. Il s’était d’ailleurs un jour fait enfermer par les enfants dans une des chambres. Je ne sais pas comment il s’y était pris, mais il était impossible d’ouvrir de l’extérieur. Il était donc là, à la fenêtre à guetter notre retour alors que les enfants faisaient ce qu’ils voulaient dans le reste de la maison

    .

    Il avait donc fallu quitter les bureaux de la rue de la Paix pour retourner au siège social, près de l’ex-petit ruisseau de mon enfance. Je m’aperçus bien vite que la situation avait changé. Monsieur Arnaud était tombé malade, d’une rare maladie tropicale selon ses dires, qui devait l’empêcher de reprendre son poste et l’emporter quelques années plus tard. Un nouveau chef comptable l’avait remplacé. Il n’était pas bien méchant, fumeur de pipe, et songeait surtout à ne pas faire de vagues. J’avais cependant perdu mon protecteur et devais découvrir que certains parmis mes collègues entendaient bien prendre leur revanche sur les “faveurs” qui  m’avaient été accordées. C’est ainsi que je renouais avec les turpitudes habituelles qui font la vie des bureaux. Je dis renouer car j’avais déjà connu cette frustration à Craon avec l’adjoint du chef comptable qui avait employé, malgré sa dévotion catholique profonde, tous les moyens pour me discréditer auprès de la hiérarchie afin que je ne constitue pas une menace pour ses prérogatives.

    Les guerres intestines, à base de coups bas, de dénigrement,  et autres flatteries m’horripilaient, car cela n’entrait pas du tout dans mon fonctionnement, mais c’était malgré tout le passage obligé des promotions. L’humain est faible. Dans toute ma vie professionnelle qui devait suivre, je rencontrais le même genre de bassesse, de plus en plus fortes et élaborées au fur et à mesure de la “montée” dans la hiérarchie, d’où j’en déduisit,  par un de ces raccourcis dont j’ai le secret,  qu’en France, et certainement ailleurs, beaucoup de politiques, non compétents, tiennent les postes à responsabilité. Ceux qui savent présenter d’eux un visage conforme à la réalité gagnante du moment, jouent ainsi sur les faiblesses de ceux qui décident, réussissent à s’imposer, cela sans avoir besoin de présenter patte blanche quant à leur capacité. Dans mes relations professionnelles,  rares s’en trouvèrent  détachées de ce genre de comportement et je sus les apprécier à leur juste mesure. Tout cela fit que je dus, uniquement pour me défendre, utiliser un système qui ne me convenait pas et où, n’y étant pas à l’aise, je devais laisser constamment des plumes.

    Répugnant à devoir constamment lutter pour défendre son territoire, je décidais alors de tenter l’aventure dans une profession me laissant mon indépendance. Tout naturellement mon choix se porta vers le statut d’expert comptable, dont l’acquisition me semblait tout à fait à ma portée. Dans la foulée de mes études par correspondance, je m’inscrit pour le premier pallier : le probatoire du D.E.C.S., ce qui signifie “diplôme d’études comptables supérieures”. L’examen portait sur le code civil et d’autres matières dont je n’ai pas souvenances, mais là aussi, je ne connus pas l’échec.

    Cependant, une autre proposition devait modifier mon objectif.

    Les comportements du siège où chacun se battait pour une place au soleil me conduisirent  à accepter la proposition d’un poste de responsable administratif dans une unité de fabrication de poudre de lait du groupe, située à Mayenne, à trente kilomètres de là. La proposition avait été faite à plusieurs, mais personne n’avait accepté compte tenu de l’éloignement du siège qui risquait de voir leurs chances de promotion se désintégrer. J’en étais conscient également, mais l’ambiance était tellement désagréable qu’après avoir fait monter les enchères au niveau du poste, arguant de l’achat récent de mon pavillon, j’acceptais l’aventure. Mes frais de déménagement étaient payés, mon salaire confortable, le statut d’assimilé cadre qui permettait de cotiser à une caisse de retraite cadre alléchant et la description du poste me semblait apte à mes possibilités. D’autre part, contrairement à la plupart de mes collègues, je n’avais toujours pas d’ambition, et la perspective de carrière  ne représentait pas pour moi, un objectif majeur.

    C’est ainsi que le premier novembre mille neuf cent soixante quinze, j’entrais dans une phase nouvelle de ma vie professionnelle qui devait m’emmener jusqu’au début de l’année mille neuf cent quatre vingt deux.

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