• Les comptes de Noël

    COMPTES DE NOËL


    Au moment de fermer sa boutique alors que chacun rentrait chez soi pour fêter le réveillon de Noël, Amédée, comme à son habitude prit son cahier afin d’y noter son chiffre d’affaires de la journée.

    En fait, il s’agissait plus d’une habitude qu’un relevé de ventes car Amédée savait que ce jour-là, comme hier et avant-hier il n’y avait rien à relever, cependant, il inscrivit à l’emplacement de la date du jour : néant.

    Oh ? Il ne s’en étonnait pas, il savait très bien qu’à cette époque de l’année, en plein été austral, en plein cœur d’une des villes les plus chaudes de la Réunion de surcroît : Saint Pierre, il n’avait, compte tenu de la nature de son commerce guère de chance de réaliser une quelconque vente ...


     

     

     

     

    COMPTES DE NOËL


    Au moment de fermer sa boutique alors que chacun rentrait chez soi pour fêter le réveillon de Noël, Amédée, comme à son habitude prit son cahier afin d’y noter son chiffre d’affaires de la journée.

    En fait, il s’agissait plus d’une habitude qu’un relevé de ventes car Amédée savait que ce jour-là, comme hier et avant-hier il n’y avait rien à relever, cependant, il inscrivit à l’emplacement de la date du jour : néant.

    Oh ? Il ne s’en étonnait pas, il savait très bien qu’à cette époque de l’année, en plein été austral, en plein cœur d’une des villes les plus chaudes de la Réunion de surcroît : Saint Pierre, il n’avait, compte tenu de la nature de son commerce guère de chance de réaliser une quelconque vente.

    Il proposait en effet à la clientèle des pardessus, cache-nez, manteaux et passe-montagne ce qui ne correspondait pas réellement à une demande pressante.

    Amédée, d’origine chinoise, était célibataire, ses parents, morts depuis longtemps, lui avaient laissé le commerce comme il est d’usage, étant le seul garçon de la famille. Il n’avait rien trouvé à y redire, depuis tout petit, levé aux aurores il avait participé à la vie de la maisonnée, dont l’entretien du commerce faisait partie.

    Son père, Hector Wahl Gent avait à sa naissance décidé de le prénommer Jean, cependant sa mère s’y était opposée et avait maintenu, malgré sa soumission habituelle dans ces sortes de décision, le prénom d’Amédée, selon elle moins commun.

    Ils avaient acheté ce commerce à un Libanais pour une bouchée de pain et malgré les périodes de ventes conjoncturelles l’avaient conservé jusqu’à leur décès.

    Amédée Wahl Gent avait donc repris l’affaire familiale et à défaut de la faire prospérer vivotait, utilisant souvent sa boutique à des compléments accessoires qui, à défaut d’être autorisés se montraient plus rémunérateurs. On surprenait en effet assez souvent dans sa modeste échoppe des personnes de sa communauté, venant deviser et parfois s’égarer dans son arrière-boutique dont des odeurs curieuses s’échappaient de temps à autre.

    En cette chaude veille de Noël, seul devant sa caisse vide, Amédée se surprit à exprimer un souhait, chose qui le surprit car il n’en était pas fréquemment coutumier : « Et si ce soir je me faisais une pute ? » Cette idée curieuse l’enchanta, après tout se dit il pourquoi n’aurais-je pas moi aussi ma petite satisfaction en cette période de réjouissance ?

    Il ne prit pas soin de se changer, et partit dans la nuit avec sa Toyota vers l’aéroport de Pierrefonds où il savait que se tenait le lieu de travail de ces dames. Arrivé au croisement d’une route qui menait à la mer (je vous fais remarquer que je ne mentionne pas la lune, le bruit de vagues et toutes autres descriptions sans aucune relation avec l’histoire) il s’aperçut que la compagnie habituelle n’était pas là, il n’avait pas pensé que même une prostituée pouvait avoir une vie de famille. Il remonta donc le petit promontoire où les voitures qui faisaient fonction de chambre se tenaient habituellement et y découvrit avec satisfaction qu’une automobile y stationnait. Il s’approcha, un peu étonné de trouver une si belle auto : une Mercedes coupée 600, se demandant s’il ne s’était pas trompé d’endroit. Une créature de rêve sortit à ce moment de la luxueuse limousine, s’approchant de lui en souriant :
    – Alors on s’ennuie mon mignon ? laissa-t-elle échapper de ses lèvres soigneusement rosies. Amédée se frotta les yeux : devant lui cette magnifique rousse aux yeux verts, moulée dans une robe légère et transparente, laissant deviner son string, apparemment seul dessous identifiable l’interpellait. Il bredouilla un bonsoir, subjugué par cette beauté irréelle. D’un seul coup, la féerie de cette rencontre fit place au désespoir. Il n’avait pris sur lui qu’un billet de vingt euros pensant que cela suffirait bien et il se doutait bien ne pas se trouver dans les tarifs de cette ensorcelante créature.

    Elle ne prit pas le temps de la réflexion, voyant l’air embarrassé de son futur client et avant de le voir effectuer une volte-face lui proposa :
    – Pour vingt euros mon mignon je te fais ce que tu veux.
    Pour Amédée, sans nul doute il s’agissait de son jour de chance et, bien décidé à ne pas laisser passer cette occasion exceptionnelle s’engouffra sur le cuir des sièges, déjà préparés en couchette et se préparant aux satisfactions qu’il comptait bien obtenir de cette généreuse mère Noël.

    Elle se colla à lui, le pressant de se mettre à l’aise en lui demandant de faire vite. Cette précipitation surprenait Amédée qui comptait bien prendre son temps, ce n’était apparemment pas le désir de la belle qui s’activait fébrilement sur sa ceinture récalcitrante.

    – « Vite, allez dépêche-toi lui lança-t-elle, impatiente »
    L’horloge du tableau de bord se mit alors à ronronner, déclenchant un bip discret.
    – « Merde, jura la rousse, minuit ! »
    Au même moment un nuage de fumée envahit l’habitacle luxueux, aveuglant Amédée, qui s’agitait pour sortir, cherchant à tâtons la poignée de la portière. Quand il l’eut trouvé, il s’aperçut qu’elle était bloquée et il commençait à s’affoler. Fort heureusement les brumes se dissipèrent rapidement et il put commencer à retrouver ses repères.

    Une voix éraillée se fit alors entendre :
    – « Bon alors tu les donnes tes vingt euros ! »
    De surprise il se colla contre la portière qui cette fois-ci s’ouvrit sous le choc, basculant en arrière il se retrouva cul nu sur le sol, n’en croyant pas ses yeux : devant lui se tenait maintenant une vieille édentée au nez crochu et aux lèvres baveuses, vêtue d’une espèce de sac noir et qui essayait de le cramponner, souhaitant l’empêcher de fuir. Il arriva à se dégager de la minable Simca 1000 dont la portière usée n’avait pas résisté à la poussée, se relevant, son pantalon sur les genoux et la queue encore raide, essayant de courir le plus vite possible pour échapper à cette sorcière qui s’était mis en tête de le rattraper en réclamant son dû.

    Au lieu de rire essayez, cher lecteur de courir avec la queue raide (pardon mesdames) et en essayant de remonter votre pantalon, car en effet, sous le choc psychologique, comme pour les pendus, son attribut masculin était resté roide et indiquait la route à suivre.

    Il traversa un bosquet, ignorant où il se trouvait, se demandant comment il allait faire désormais pour rentrer chez lui. Il croisa alors un vieillard, lui lança au passage :

    – « La route de Saint-Pierre s’il vous plait ? »
    – « Tout droit mon ami, tout droit… »
    Puis il le reconnut, ce personnage qui le suivait sans courir, barbu et souriant
    C’était Merlin, sans aucun doute possible, c’était lui, et derrière lui Guenièvre, oui, attirée sans doute par l’appât d’Amédée qui se dressait fièrement, se mit elle aussi à le suivre en vociférant des paroles cabalistiques. Il était perdu, l’affolement le gagnait, il courrait maintenant au hasard, entre les cocotiers sentant bien qu’il arrivait au bout de son souffle… Quand soudain, devant lui, lui bloquant le passage … Blanche Neige.

    Il poussa un sourd cri de détresse, fit un écart pour l’éviter, mais Blanche Neige et ses sept mains demandait son tribut et se mit elle aussi à la poursuite de ce faunesque Amédée, bannière en l’air qui fuyait à toute allure dans la campagne Réunionnaise.

    Quand au détour d’un menhir, Peter Pan lâcha Clochette ce fut le vase qui fit déborder la goutte d’eau, il s’écroula sur le dos, les mains devant son visage, vaincu, laissant la troupe en furie le piétiner.

    Il ne fallut pas longtemps pour que la meute déchaînée s’abattit sur lui afin de lui faire subir les derniers outrages.

    Il hurla, lorsqu’un intense orgasme le fit se vider de sa substance, puis il s’essuya soigneusement et se retourna dans son lit.

    Avant que le sommeil ne le prenne, il se dit.

    « Joyeux Noël, Amédée », il ne faudra pas que j’oublie de noter vingt euros de recette pour la journée d’hier.

     

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