• Le don de Raoul - Extrait


    Le don de Raoul Extraits

    Chez Pépé Georges

    Raoul se sentait divinement bien en ces lieux pourtant peu hospitaliers, il recevait la tendresse bourrue et maladroite de ses grands-parents, qui compensait quelque peu celle qu’il n’avait jamais reçue de ses parents. Il aimait les animaux, surtout les chats, en souvenir de celui qui avait ronronné son enfance et dans cet endroit il était servi : chien et chats s’ébattaient en liberté, Adolf le chien bâtard, rebaptisé de cette façon après la guerre pour les raisons que l’on devine, faisait semblant de chasser les volailles qui s’approchaient du seuil lorsqu’on le regardait. Raoul adorait cette obscurité de la maison que la lumière tant bien que mal tentait de dominer, louvoyant entre les barreaux de fer de la seule fenêtre étroite dont elle était pourvue. Là, le soir, éclairé uniquement par un méchant tison de bois qui s’essayait à rougeoyer dans l’âtre, il écoutait les histoires extraordinaires de Georges dont il ne perdait pas une miette. Pendant ce temps, Victoire continuait à ravauder des bas composés, lui semblait-il, davantage de trous que de tissus, ses grosses lunettes entraînant sa tête sur l’ouvrage dont Raoul ne voyait jamais la fin. Ah les histoires de pépé Georges ! Il en avait tant à raconter, dans son patois auquel Raoul avait dû s’habituer. Elles ne commençaient pas par « il était une fois », mais, contes ou réalités, elles reprenaient les histoires fantastiques que les anciens se racontaient aux veillées et dont on ne savait plus depuis le temps distinguer le vrai du faux. Parfois un nom jaillissait, donnant un semblant de vérité au récit, mais devant l’invraisemblable on ne savait pas s’il avait été inventé dans le but de rendre le fait crédible ou s’il concernait réellement la personne citée. Les maisons hantées, les sortilèges, les luttes à mort de voisins jaloux, les enfants disparus, les apparitions divines ou maléfiques aux détours des chemins, il y en avait pour tous les goûts et Raoul s’en délectait, sentant un frisson passer sur son échine lorsque l’horreur devenait insoutenable. Georges se moquait parfois de ceux dont la crédulité avait permis certains actes malicieux perpétrés par des malandrins attirés par le plaisir et le gain. Ne disait-on pas qu’un agriculteur de la région, dont les vaches s’étaient brusquement taries, fit appel à un couple de désenvoûteurs, étrangers à la région, qui obligèrent toute la famille à effectuer à partir de minuit sonnant, père, mère et enfants, le tour de la cour, chacun son tour, autour d’un feu de bois allumé pour l’occasion, nus entièrement, à califourchon à l’envers sur chacune des vaches concernées. Le regard perdu des pauvres ruminants montrait, paraît-il, toute leur incompréhension de se retrouver dans cette galère. Georges riait encore de cette histoire, dont disait-il :

    – « Sa té s’men vré, pisque sé yeu zéfants qui l’ont dit à d’aout ! » (C’est certainement vrai car ce sont leurs enfants qui l’ont dit aux autres).

    Pour les paysans, leur façon de s’en moquer, c’était aussi une manière de conjurer le mauvais sort, car ils n’ignoraient pas que personne n’était à l’abri d’une telle mésaventure.

    Pendant la période hivernale, Raoul se souvenait de la bonne odeur des châtaignes qu’on faisait griller dans une vieille poêle percée de trous posée directement sur la braise. Il fallait les inciser d’abord pour qu’elles n’éclatassent pas, ce qui n’empêchait pas quelques rebelles d’exploser, en projetant leur chair blanche. Il fallait souvent remuer la poêle pour que les châtaignes ne roussissent pas et au moment où elles commençaient à sentir, Victoire amenait une resse, petit panier en jonc où le contenu de la poêle était renversé. Elle y ajoutait une pincée de gros sel pour les détendre et recouvrait le tout d’un linge. Il fallait encore attendre quelques minutes, trop longues pour Raoul, avant de pouvoir les déguster. Au signal, il passait alors ses mains sous le linge et prenait la chaude qu’il épluchait en faisant passer celle-ci d’une main à l’autre pour éviter de se brûler, la jaunâtre roussie atterrissait alors avec délectation dans la bouche de Raoul à qui on autorisait un peu de cidre coupé d’eau pour faire descendre le tout. Quel plaisir simple qui laissait l’estomac plein, les doigts noirs et préparait pour la nuit des fameux pets odorants qu’il aimait à sentir.

     

     

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