• A/ Quentin et les suivants Chapitre I

     

     
    LITTERATURE
     
     

     Quentin et les suivants

     


     

    Introduction

     

    J’ai voulu rédiger ce livre afin d’offrir à quiconque le lirait, un divertissement au récit détaillé de mes turpitudes et satisfactions, mais également pour beaucoup d’autres raisons.

     

    La première de ces raison consistait à informer ma descendance, d’une manière aussi sincère que possible, de ce que fut ma vie, au travers de mes aspirations, de mes doutes. Ceci devait permettre, si elle le désirait, d’avoir une juste appréciation des évènements et motivations de ce qui la constituèrent mais également des circonstances qui m’avaient poussées à me retrouver aujourd’hui sur une île lointaine des Caraïbes.

    Avec ces informations, pour la bonne compréhension de mes traits de caractère et de mon héritage génétique, je devais y adjoindre un résumé de ce que je connaissais de la vie des mes parents. Ceci pour leur partie de vie commune avec moi, et aussi en fonction de ce que je pouvais savoir de leur vie, “antérieure” à ma naissance. Un résumé encore plus restreint de ce que j’avais vécu et appris de la vie de mes grands parents devait servir à compléter la bonne compréhension des évènements qui constituèrent mon existence.

    Tout ceci permettait donc à tout un chacun intéressé d’avoir un volet assez complet de ce qui a constitué la première partie de ma vie. Quand je parle de tout un chacun intéressé je veux désigner: d’abord Quentin à qui je dédie ce livre, et aussi tous les autres petits-enfants à venir, ainsi que la descendance qui devrait normalement en découler. Ce livre pourrait également intéresser mes propres enfants qui sont, comme je l’étais avant mes recherches sur mes parents et grands parents, dans l’ignorance de leur passé et dans une interprétation fragmentaire de leur vie.

    Il m’apparaît maintenant que d’autres personnes pourraient y trouver un intérêt. Il s’agit de celles accessoirement mentionnées dans ce livre et qui m’ont accompagnées, dans une partie de ma marche sur le chemin. Mais ce n’est pas tout. Incidemment, à l’occasion d’une fiesta guadeloupéenne je discutais avec une ressortissante mayennaise qui se trouvait là et elle me rappelait des souvenirs de sa jeunesse qui correspondait bien aux miens. Voici donc qu’apparaissent les intéressés du côté anecdotique de la chose. Vous remarquerez également que j’inclus de temps à autres, à la fois pour faire baisser la “pression” mais aussi pour partager mon plaisir de me trouver là, quelques morceaux de la vie courante sur cette île. Les amateurs de voyage devraient donc aussi y trouver leur compte.

    Tout ceci pourrait suffire et constituer une raison suffisante à l’écriture de cet ouvrage, si on peut l’appeler modestement comme cela.

    En cours d’écriture, il m’apparut que la raison principale, au départ d’informer, voire de justifier mes choix, ne m’intéressait pas plus que cela. Après tout, il y a bien des zones d’ombre dans la vie de mes aïeux et cela ne m’a pas empêché de vivre. A quelques moments il est vrai, je me suis posé certaines questions mais sans que cela ne me poursuive longuement ni ne m’accapare l’esprit.

    Est-ce une raison majeure, lorsque sous la joie de la naissance de mon premier petit-fils, un tel souhait d’exposer ma vie vienne à exécution?

     

    Ma réponse est non!

     

    Au côté anecdotique et généalogique, un nouvel aspect des choses s’est progressivement imposé. Sans vouloir me faire passer pour ce que je ne suis pas, j’ai quand même eu une vie qui sortait de l’ordinaire. Les problèmes de ma petite enfance n’auraient jamais du me permettre d’évoluer vers une “carrière” professionnelle. Mes complexes et timidités excessives auraient du me confiner dans une petite vie médiocre. Mon manque de confiance en moi aurait du me faire plier, courber l’échine devant les “rois du monde” que furent les religieux et maintenant la médecine. Mes souffrances auraient du enterrer toute velléités de rébellion face à cette vie qui ne me promettait que tristesse. Rien, en fait, ne me prédisposait à ce dont je suis fier de réaliser depuis quelques années, et dont la suite promet d’être encore plus enrichissante.

    C’est donc davantage pour témoigner de ce qu’il est possible d’accomplir, même lorsque les circonstances ne sont pas favorables, que je voudrais mettre le déroulement de ma vie en perspective. C’est pour que tous ceux qui ont des problèmes de toutes natures sachent qu’il devient possible de changer et de se diriger dans une voie différente, tout devient alors possible, tout prend un sens.

    Aujourd’hui, au moment où la planète se démène sous la pression d’une mutation qu’elle n’a jamais connue de toute son existence, il me semble utile de porter un témoignage d’espérance. La mission que j’ai accepté de remplir sur cette terre a commencée avant ma naissance, elle s’est poursuivie ensuite tout au long de mon chemin de vie.

     

    Nous en arrivons peut-être à l’objectif réel de ce livre.

     

    Vous remarquerez également, sans même que la lecture soit attentive, que certains propos, que l’on peut qualifier de philosophiques, voire quelque peu hermétiques parsèment le récit. Ces passages sont destinés à l’étudiant, que sans le savoir nous sommes tous, en marche sur le chemin, Et qui souhaite recevoir une réponse aux questions qu’il se pose.

    Au détour de certains moments clé de mon évolution, j’intègre au récit quelques idées, censées donner une explication aux évènements pouvant être considérés comme phénomènes naturels ou de pur hasard.

    Je souhaite que le candidat à la connaissance sache y trouver quelques raisons d’espérer et que quelques embryons de réponse à sa quête l’éclaireront.

    Même si je sais que seules les personnes “prêtes” peuvent recevoir la compréhension, je forme l’espoir que d’aucun, aujourd’hui ou demain, trouverons dans ces quelques lignes la voie de leur cœur

    Pour certains qui liront ce livre, croyant bien me connaître, je sais qu’il réservera des surprises importantes. En effet, pour la plupart de mes amis, je suis considéré comme un “bon vivant” aimant les bonnes choses, n’hésitant pas à plaisanter sur tout et à apparemment se moquer ou ne pas prendre au sérieux beaucoup de choses.

    C’est vrai que c’est une partie de ma vie secrète que je livre à la découverte de tous. Vous comprendrez, avec surprise pour la plupart, que la partie importante de ma vie s’est focalisée sur la partie spirituelle et que j’ai toujours cherché en moi, par l’intermédiaire des religions et par la suite, vous le découvrirez par d’autres découvertes au gré des circonstances, ce qui faisait la raison de ma vie sur cette terre.


     

     

     

    CHAPITRE I

     

     

    Le soleil cesse de vouloir nous éclairer, et rapidement comme toujours sous les tropiques, se cache derrière la colline; la mer assombrit son bleu, et venu de nulle part, le rose colore le ciel au-dessus de l’horizon en une bande égale qui s’étend jusqu’au pied des nuages. Au-dessus encore, tout l’espace s’emplit de bleu jusqu’à plus soif, avant de s’éteindre dans le gris argenté.

    Se dessinant sur les champs de canne à sucre, les piques bœufs, petits hérons blancs au torse orné d’une tache orange, comme répondant à un signal convenu, passent en groupe ou esseulés et volent vers leur nichoir dans la mangrove de palétuviers blancs qui perce la mer de son éclat vert. Ils vont rejoindre leurs femelles couveuses qui toute la journée fleurissent les arbres où leurs nids sont perchés.

    En écho à leurs cris de ralliement, comme une réponse à leur départ, le joyeux concerto des reinettes et criquets commence, comme si un chef d’orchestre avait prononcé les trois... quatre... déclencheurs; c’est immuable, je pense que cela fait des milliers d’années que ce rituel bien au point existe, et cela me rapproche de la notion d’éternité...

    Dans mon fauteuil d’osier, sur la terrasse de la petite maison guadeloupéenne aux volets bleus qui surplombe la mer des caraïbes, en observateur passif je m’imprègne de ce spectacle magique, sans cesse renouvelé.

    Les alizés venus de l’Est ont achevé leur chasse aux nuages, et satisfaits de leur travail, se sont interrompus. Le parfum des cannes légèrement caramélisé, se mélange à celui plus puissant du goyavier. Les feuilles de bananiers dans un dernier spasme rageur terminent leur agitation caoutchouteuse et le calme se pose, dans la douceur du crépuscule.

    Et je suis là... le cœur léger et rempli d’amour: d’être là d’abord, ensuite de ressentir la joie d’un évènement heureux : la naissance de mon petit-fils Quentin. Je partage la joie de Florent et Aurélie, nouveaux parents, et je me dis: Que de chemin parcouru entre la Mayenne et la Guadeloupe, presque une vie. Que laisserais-je de mon passage? Quelle valeur ces témoignages s’ils ne sont pas inscrits sur le papier? Il n’en restera que quelques impressions, pas toujours les meilleures, racontées par les témoins en fonction de ce qu’ils ont ressenti?

    Alors pour ceux qui le voudront, pour Quentin et les suivants... voila réellement ce que j’ai fait de ma vie...


     

    Mes plus lointains souvenirs sont ceux emplis de la verdure des étés de ma tendre Mayenne ; les galipettes et culbutes des mes premières années de vie, les toutes premières, dans les prés de la Chevalerie : Il s’agissait de champs, bordant la rivière “la Mayenne”, que leur propriétaire mettait à disposition des citadins de Laval, avide de nature. Nous habitions à l’époque au 35 rue St Nicolas, et il suffisait d’une marche de deux kilomètres en contournant l’usine à gaz pour arriver dans cette campagne. Il fallait alors enjamber un ruisseau fougueux et chantant, par un pont en bois et fer dont le passage me remplissait de joie, c’était un évènement pour un petit garçon de deux ans, cramponné à la main de sa mère, de passer au-dessus de ce flot grondant et blanchi par son passage entre les roches. Il ne fallait pas y tremper les pieds, car il y avait, disait mon père, des”bêtes” dedans; j’appris plus tard qu’il s’agissait de sangsues que des connaisseurs venaient parfois capturer pour réaliser des saignées.

    Une fois traversé, on s’avançait le long du chemin en cueillant des mûres au passage, je préférais les rouges presque noires, à la fois acides et douces. Au bout du chemin on arrivait alors dans ce vaste espace ou les gens venaient se distraire, pêcher et pique-niquer dans la chaleur de l’été. Mes parents ne s’aventuraient pas très loin et restaient à leur place habituelle dans l’entrée du champ. Mon père me faisait jouer à “ la cul percé” : en me baissant je passais mes petites mains entre les jambes, il me les saisissait et me faisait tournoyer en me relevant pour me reprendre contre lui. On jouait au ballon, à courir. Ce fut mon premier contact avec la nature et il fut certainement déterminant dans cet attrait qui devait me pousser ensuite à rechercher le calme des forêts, les prés verdoyants, la compagnie des chênes, aulnes, châtaigniers, hêtres et autres arbres majestueux qui ne faisaient pas défaut dans la région.

     

    On était alors dans les années mille neuf cent quarante sept, quarante huit… Bien plus tard, il m’est arrivé de retourner voir cet endroit et ce ruisseau qui s’appelait et s’appelle encore « le petit St Nicolas ». Hélas, une importante usine laitière, dans laquelle je devais plus tard passer quelques années, s’était installée dans les méandres de mon torrent. A sa place une mare plus ou moins stagnante, d’une couleur verdâtre et dégageant une forte odeur acide repoussait toute intention de regard. Le petit pont de bois, remplacé par une dalle de béton fendue par endroit était parti en même temps que la magie du lieu. Je me souviens avoir contemplé avec stupeur cette destruction, et je crois que cela a contribué entre autres choses, à mon combat militant pour l’écologie qui devait me passionner par la suite et jusqu’à maintenant encore.

     

    Nous habitions à cette époque dans une petite rue parallèle à la rivière, à quelque pas de celle-ci. Pendant longtemps j’ai eu une interdiction formelle de m’en approcher et de jouer sur “la cale”, endroit où abordaient les bateaux, par crainte que je tombe dans l’eau. C’est vrai qu’à cet endroit des enfants s’y étaient noyés, emporté par le glissement du sable que les péniches, remontant la Mayenne, apportaient de la Loire. Il y avait là d’énormes hauteurs de sable qui jouxtaient le bord de l’eau. Cette cale affleurait le niveau de la rivière pour permettre aux péniches de débarquer facilement leur chargement. Quel plaisir de se rouler et de sauter dans ce sable ou l’on découvrait des morceaux de silex que l’on frottait pour dégager un peu de fumée à l’odeur de souffre, des pierres multicolores qui brillaient en les frictionnant un peu..... Tout cela représentait une telle attirance pour les enfants dont je faisais partie, que j’avoue avoir souvent transgressé les consignes maternelles pour venir rejoindre mes petits camarades. Il fallait ensuite bien brosser les chaussures pour que le sable s’en détache et aller mentir à maman.

     

    Le logement dans lequel nous habitions était composé d’une seule pièce d’environ vingt mètres carrés. On y accédait depuis la rue par un portail entouré porche de briquettes rouges et ouvrant sur un passage qui débouchait sur une courette. La “maison”se trouvait coincée entre un autre logement d’une pièce unique également et une “vraie maison “ de deux étages où vivait un couple; et ses deux enfants, un garçon et une fille. J’ai surtout connu la fille qui était un peu plus âgée que moi et qui bravait les interdictions de me parler en me faisant la nique derrière sa fenêtre. Il y avait, et je ne le comprenais pas, déjà une séparation de classe en fonction de la demeure, des apparences. Pourtant nos voisins, Monsieur et Madame Bardoux n’étaient pas plus que nous ou, je le pensais du moins, pas beaucoup plus. Lui travaillait comme plombier chez un patron, elle, était secrétaire quelque part. Lui ne vivait que pour la pêche... il m’autorisait à le regarder quand il préparait ses appâts dans la cour où il « cultivait » ses vairons dans un demi tonneau en bois rempli d’eau, mais sans jamais qu’une parole ou un sourire n’apparaisse sur sa face renfrognée de “gros bouledogue”. Il avait cloué sur un montant du poulailler de bois noir de la courette, les têtes séchées de ses plus belles prises et je les regardais, impressionné par les dents menaçantes garnissant les mâchoires ouvertes.

     

    Mon père, à cette époque, avait trouvé du travail dans une entreprise de mécanique ou il effectuait divers travaux d’entretien et ramenait à la maison juste ce qu’il fallait pour subsister. Les temps étaient difficiles et je me souviens de l’émotion que je ressentais à travers ma mère quand, en fin de mois, il fallait aller payer le loyer, chez un gestionnaire de biens qui nous faisait attendre dans une salle et nous recevait avec hauteur et condescendance. Il fallait se déplacer à pied sur trois kilomètres pour se rendre à son bureau, dans le quartier central où se trouvaient les grands magasins. Je me souviens des angoisses de ma mère quand elle n’avait pas réussi à rassembler la modeste somme réclamée et qu’il lui fallait mendier un report avec son accent flamand et ses difficultés à s’exprimer correctement.

     

    Même étant bambin j’ai ressenti dans ces moments cette injustice, cette blessure qui m’a longuement accompagnée, cette différence entre les hommes qui possédaient quelque chose et ceux qui n’avaient rien, cette mise à l’écart, cette souffrance à travers mes parents, cette révolte parfois devant ce que je ne comprenais pas. Je pense néanmoins, que c’est ce vécu qui m’a servi de moteur pour ma vie entière, autant pour ma vie professionnelle que familiale, c’est cette force réactive trouvée au-dedans de moi qui m’a permis de franchir avec plus ou moins de succès les expériences de la vie ; Expériences, car la vie n’est faite que d’expériences... Elle est une école dans laquelle chacun a sa leçon personnelle, la leçon qu’il a choisie sans le savoir et qui lui permettra d’apprendre ce qu’il est réellement : comprendre le but de son existence, trouver le point de rencontre avec lui-même et ce que renferme ce corps qui sait si bien cacher l’essentiel.

     

    C’était ma leçon, il me fallait l’apprendre, dans la douleur, mais le créateur m’avait donné celle qui me convenait parfaitement : rien de ce qui m’aurait été impossible à réaliser ne m’a été présenté, et aujourd’hui, alors que beaucoup de choses m’ont été révélées je peux le remercier encore pour cette belle leçon de vie.

     

    La nuit est tombée sur les Antilles, un orchestre de carnaval s’entraîne au loin et les sons des tambours rythmés par le tam-tam du gwo ka me parviennent assourdis. Au loin, la partie Nord de la Grande Terre, au-delà du Grand cul de sac marin, brille maintenant. Ses lumières, ponctuent la route de la grande vigie dont deux points plus brillants marquent l’emplacement. Les avions passent au loin, on les entend à peine, seuls des phares bleus et rouges marquent leur présence.

     

    Tout est si calme, la piscine bruisse légèrement, les oiseaux de paradis immobiles pointent du nez vers le ciel et les pourpiers ont fermé leur paupière sur leurs jolis yeux colorés de grenat.

     

    Cinquante huit ans, bientôt cinquante neuf... Que d’émotions: Angoisses, peurs, passions, colères, frustrations, bonheurs... tout cela en un mélange que la vie sait si bien distiller..... mais au bout du compte il n’appartiendra qu’à nous de savoir si la réussite ou l’échec sera au bout de la route... ce n’est d’ailleurs qu’une vue de l’esprit, une perception subtile, une appréciation personnelle qui ne tient aucun compte de la quantité de bien que l’on a pu amasser. Rien n’appartient à personne, tout vient de la terre et la terre n’est ni à acheter ni à vendre, elle est ce qu’elle est, notre mère, elle est NOUS, elle est belle! Et nous pouvons lui ressembler, nous la méritons, nous ne sommes qu’un avec elle, elle nous dirige, nous parle, nous reçoit...

     

    Petits enfants d’où venez vous ?

     

    Dans le logement d’une pièce jumelé au nôtre, vivait une grand-mère, en gris ou noir, un peu impotente, que j’allais voir souvent, j’étais fasciné par ses “prises” de tabac régulière et la dextérité avec laquelle le cérémonial se déroulait: Elle retirait de la poche de sa blouse, une petite boite en fer brillante munie d’un trou sur le coté qui s’ouvrait ou se fermait en tournant le couvercle. Elle libérait l’orifice, faisait tomber dans le creux du pouce une pincée de poudre noirâtre et aux fortes senteurs, qu’immédiatement elle portait à chaque narine en aspirant fortement et bruyamment. Sans manifester d’émotion, elle rangeait alors sa boite et reprenait la conversation. Je me souviens du dénuement de cette pièce de vingt mètres carrés également ou une petite table, près de la fenêtre, et un lit, bordé d’une rangée de chaises en bois composait tout le mobilier. Je me souviens avoir eu l’occasion pour une raison inconnue avoir passé un moment, un matin, dans son lit, ma mère m’ayant laissé à sa garde. Surprise! La fille des voisins: les Bardoux, prénommée Monique venait m’y rejoindre quelques instants plus tard, en garde elle aussi pour sans doute les mêmes raisons que moi-même. Ce fut ma première expérience sexuelle... La petite fille qui avait un ou deux ans de plus que moi soulevait le drap, m’y cachant avec elle en me demandant de lui montrer mon zizi, j’obtempérais avec émotion, dévoilant mon anatomie à la curiosité féminine, mais pour l’échange: que nenni! Il me fallut me contenter de la vision de la petit culotte, bien plate à l’endroit adéquat et à m’imaginer la suite. Ce fut donc la ma première confrontation à la duplicité féminine qui devait me conduire pendant mon adolescence à une méfiance timide de l’élément féminin.

     

    La pièce où nous habitions était meublée, c’était dès l’entrée ce qui frappait le plus, d’une cuisinière à charbon, dont, en hiver, nous devions nous passer quelquefois pour cause de finances déficientes; autour du tuyau, s’accrochaient des tringles ou le linge séchait en dégageant une odeur de savon de Marseille; au fond à droite le lit de mes parents. Quant à moi je disposais d’un lit à barreaux, assez espacés pour qu’un jour je puisse m’y coincer la tête avec impossibilité de la retirer... Mes parents ce jour là recevaient un ami qui n’avait rien trouvé de mieux devant le tableau de dire “il va falloir lui couper les oreilles!” Ce que je crus illico et me fit redoubler mes hurlements. Au milieu de la pièce, une table ronde, une armoire en bois blanc contre le mur, quelques étagères, et c’était tout. Il y avait normalement un grenier au-dessus auquel on accédait par une trappe située au-dessus du lit de mes parents. Je me souviens d’un incident qui a provoqué en moi une frayeur indicible. Mon père a eu un jour l’idée de regarder s’il pouvait utiliser ce grenier et pour ce faire en montant sur le lit accédait à la trappe dans laquelle il s’engageait, hélas, était-ce la charpente pourrie ou un mauvais positionnement du pied, toujours est-il que je vis mon père passer à travers le plafond dans un grand fracas et un nuage de poussière de plâtre qui emplit immédiatement la maison. Fort heureusement le lit était en dessous et rien de grave ne s’ensuivit, mais quelle frayeur...

     

    Les hivers étaient rudes à cette époque, beaucoup plus que maintenant, je me rappelle avoir vu la Mayenne gelée et m’amuser à lancer des pierres pour casser la glace, le chauffage était donc important. Le chauffage central étant réservé à ceux qui pouvaient se l’offrir, mes parents chauffaient donc, comme beaucoup, au charbon que le livreur à l’impressionnante face noire venait apporter par sac, chargé sur son dos et déversait dans un nuage de suie à l’intérieur de notre petite cave dans un recoin de la cour. Cependant lorsque l’anthracite venait à manquer, il fallait faire avec, et les quelques morceaux de bois de substitution ne produisaient pas beaucoup de chaleur. Alors, quand le givre décorait les vitres, on se couchait très vite, mes parents me prenaient au milieu d’eux, dans le lit en fer dont la tête était peinte à grands coups de pinceaux arrondis, formant de bizarres images brunâtres tournoyantes, dans lesquelles je voyais l’univers étoilé en louchant un peu... Auparavant une brique toute simple, qui servait aux maçons, avait été mise à chauffer dans le four, puis entourée de papier journal et disposée sous la couette, chacun se la repassait pour bénéficier de sa chaleur. Mais, hélas, ce confort passager avait son revers à cause des atroces douleurs des engelures qui s’ensuivirent. Ma mère essayait bien de les atténuer en me pressant les orteils dans les mains mais la souffrance me tenait éveillé longtemps. Il a bien fallu utiliser un produit à base de cire d’abeille pour m’apporter un soulagement, mais je garde un souvenir terrible de ces douleurs qui m’ont tenu éloigné des briques pendant un certain temps.

     

    La nuit étoilée recouvre maintenant la Guadeloupe. La lune s’est levée, avec son croissant lumineux curieusement placé en bas; sa faible lueur trace une ligne blafarde sur la surface de la mer. Les répétiteurs du carnaval ont du se séparer ou prennent le ti-punch de l’amitié. Ah ce carnaval! , Ici il dure de un à deux mois et ses réjouissances servent sans doute d’exutoire à ce qui est encore présent à la surface de chaque peau noire de l’île : l’esclavage... C’est un exorcisme païen dans lequel chaque guadeloupéen se reconnaît et adhère sans réserve.

     

    Le carnaval ! Le défilé commence avec le traditionnel retard sur l’horaire prévu: Précédés par un immense roi Vaval en carton pâte qui sera brûlé le mercredi des cendres, et qui pour l’instant se fait promener sur une camionnette, les groupes défilent; Il y en aura bien une quarantaine... Au début du cortège, des jeunes garçons font claquer sèchement leur fouet, de plus en plus longs en fonction de leur age et de leur force, portant des masques aux figures repoussantes. Ensuite la banderole, sur toute la largeur de la rue, tenue par deux jeunes filles, et sur laquelle figure le nom du groupe, sa provenance et les noms des sponsors, alors ça donne : «  GUIMBO ALL STARS des Abymes, boulangerie Taourin, Auto école Toto « , d’autres noms, la plupart du temps en créole, comme : « MAS KA KLE», »AKIYO », « NEG’SOUDES » désignent les groupes suivants.

    Derrière la banderole arrivent des enfants déguisés comme les grands et qui braillent à tue-tête le refrain des musiciens: en règle générale des chansons populaires du folklore français à la mode antillaise comme « Dominique », »elle descend de la montagne », voire « auprès de ma blonde » puis suivent les femmes, jeunes et vieilles, dans cet ordre au défilé, au déhanchement suggestif et nerveux, qui chantent d’une voie aiguë et ponctuent le refrain d’un fort mouvement de hanche et d’un cri orgasmique en hommage sans doute à leur union charnelle avec le Dieu Carnaval. Les musiciens clôturent le groupe, ils avancent avec entrain et d’une démarche saccadée, massacrant leur instrument: des conques de lambis, gros coquillages roses dans lesquels ils soufflent et arrachent des sons rauques, des calebasses remplies de graines qu’ils agitent en cadence, des tambours de caisses claires accrochées derrière le cou, tombant sur la poitrine, frappées violemment à la baguette et des gros bidons de 100 litres en plastique, martelés avec un bois entouré de caoutchouc, dont le son vous résonne dans la poitrine. Ils avancent, en sueur, les yeux rivés sur les fesses des filles qui s’agitent devant eux et cherchent les regards des spectatrices. Parfois un seau ou brûle de l’encens balancé au bout d’une corde, dégage sur leur passage un relent d’église. Les déguisements, parfois uniformes, parfois disparates sont extrêmement variés, de l’indien du far West, au bleu de chauffe en passant par le sari des indiennes aux bijoux partant de l’aile du nez pour arriver au lobe de l’oreille, habits parfois faits de journaux découpés, de sacs de toile, parfois de pas grand chose...

    Suivant cela, l’intendance, composée d’un caddie de grande surface bricolé avec du polystyrène pour garder les boissons au frais. Parfois un éphèbe vêtu d’un seul string qui avance avec des grâces suit le cortège, parfois une délurée qui s’approche des hommes, les attrapent du bras, se penche et frotte longuement ses fesses sur leur sexe... et tout le monde de rire. Parfois un seul camion avec une énorme sono braillant à la limite du supportable du reggae, ce sont fréquemment des haïtiens, avec sur le plateau des femmes shootées mimant des gestes de l’amour, des suiveurs qui avancent au pas saccadés dans un nuage de fumée de cannabis. La foule emportée par le rythme de la musique se déhanche à qui mieux mieux tout au long du parcours. De temps à autre passe un char magnifiquement décoré autour d’une splendide jeune fille légèrement vêtue... et ça sent l’encens, la sueur, la drogue et ça chante, ça crie dans une ambiance passionnée.

    Voilà c’est ça le carnaval et il dure des semaines, tous les week-ends jusqu’à Pâques.

     

    Cela me rappelle les fêtes des fleurs à Laval, en été. Elle se déroulait tous les quatre ans je crois et le défilé durait des heures avec des groupes, des orchestres, des chars, superbement décorés de fleurs naturelles et de papier crépon, avec à la fin le grand char de la reine et de ses dauphines. Il m’avait été donné de la voir du balcon en fer forgé chez mes grands-parents, pour un évènement particulier, mais ceci est une autre histoire.

     

    Au 35 rue St Nicolas, adresse de notre demeure, en ce qui concernait l’hygiène il ne fallait pas être très regardant: Le matin, la toilette du chat, le débarbouillage : mains et visage, durait le temps de le dire avec un linge mouillé d’eau froide, et la grande toilette n’avait lieu que le samedi. Ma mère faisait chauffer dans une casserole assez d’eau pour tiédir la bassine d’eau froide dans laquelle je prenais place et le savon de Marseille à la senteur fade et acidulée opérait le nettoyage de sa mousse discrète. C’était également le jour de change du linge de corps; en hiver un petit maillot de laine tricotée suppléait le marcel. Il est certain qu’après une semaine les odeurs commençaient à être un peu fortes surtout que je dormais en sous-vêtements, quant au slip, il était pour le moins douteux... mais c’était l’habitude et personne ne s’en émouvait. J’ai bien sur plus tard changé ces pratiques de change hebdomadaire, mais mon père et mes frères les ont toujours gardées, sans doute par attachement aux habitudes et l’agrément de baigner dans leurs propres émanations.

     

    Pour laver le linge, il y avait le bateau lavoir : comme nous étions proches de la Mayenne c’était là bas qu’une ou deux fois par semaine, ma mère m’emmenait avec elle, et ces quelques centaines de mètres hebdomadaires s’avéraient pour moi, des moments privilégiés au cours desquels je communiquais avec elle. Elle ne maîtrisait pas encore bien le français, mais moi je la comprenais et je pensais que c’était les autres qui parlaient mal. Nous discutions, entre autres sujets, de mes premières interrogations sur le mystère de la vie, en particulier je lui demandais d’où venaient les enfants, et je dois admettre que la variation de ses réponses me laissait perplexe, ce qui fait que la même question revenait fréquemment.

     

    D’abord la réponse fut: “on les achète les bébés, bien sur”, ce qui entraînait le cortège de questions correspondantes : “c’est cher les bébés? » Est-ce qu’on pourrait en acheter un?”, Comme j’avais 3 ou 4 ans j’aurais bien voulu un compagnon de jeu. Puis ce fut le coup des choux et des roses, puis celui de la cigogne... Bref, j’étais complètement perdu et mes réflexions du soir dans mon lit en fer coloré où je voyais tout l’univers restaient encore sans réponse.

     

    Il y avait de nombreux bateaux lavoirs sur la Mayenne mais un seul de ce coté ci de la rivière. Il se situait presque en face de la Basilique Notre Dame d’Avesnières, magnifique église romane dont évidemment je ne pouvais pas apprécier l’architecture. Le bateau lavoir, construit tout en bois, comportait deux niveaux ainsi qu’une cabine située sur le deuxième niveau qui servait de logement au propriétaire. Sur celle-ci figurait leur nom en grosses lettres tarabiscotées; pour le nôtre, c’était : “ Ets CHAUSSIVERT”. On accédait au ponton par une passerelle de bois. Le bas du bateau, au ras de l’eau était aménagé de planches qui débordaient sur son pourtour et ou les femmes qui avaient leur place habituelle lavaient leur linge; une autre planche, plus basse, à l’intérieur du bateau leur servait à poser leur “carrosse”; sorte de boite en planche à trois cotés, agrémentée d’un coussin en chiffon pour le confort des genoux. C’est entre deux grands coups de battoirs que toute cette volière se racontait les dernières nouvelles des uns et des autres, surtout des absentes...

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    Au premier étage du bateau se trouvait, d’un coté le séchoir réservé aux propriétaires qui lavaient à façon et de l’autre coté une grande cuve en fer, actionné par une poulie reliée à un moteur bruyant, qui faisait tourner une autre cuve intérieure. Elle était chauffée par un foyer et servait à faire bouillir le linge. Quand l’eau et le savon étaient à température, la préposée criait un grand “au lessiiii!” Au lessiiii» Cela signifiait que celles qui avaient du linge à bouillir pouvaient le déposer dans la cuve. Ma mère n’utilisait jamais ce chaudron et je ne comprenais pas pourquoi nous étions à l’écart de cet outil que toutes utilisaient. Un jour elle me le dit : “ il faut payer”. J’avais donc la raison. Effectivement pour bouillir son linge, ma mère utilisait une lessiveuse qu’elle mettait sur la cuisinière et qui bouillonnait pendant des heures en relâchant par les bords sa vapeur humide et odorante.

     

    Ces rendez-vous hebdomadaires au bateau lavoir font partie de mes bons souvenirs car d’abord je sentais ma mère heureuse, elle aimait bien, et a toujours aimé laver, avoir les mains dans l’eau, et aussi parce que j’adorais regarder la rivière couler tout autour du bateau, ainsi que le va et vient de toutes ces femmes qui me gratifiaient, pour la plupart, d’un mot gentil au passage.

     

    C’est à l’approche de mes cinq ans qu’un certain nombre de bouleversements s’effectuèrent, d’abord ce fut la naissance de mon frère, Michel, qui coïncida avec l’ouverture d’une seconde pièce, la grand-mère qui occupait le logement voisin ayant eu la bonne idée de rejoindre le Seigneur. Ensuite arrivèrent mes premières questions sur mes parents. Je n’avais pas conscience qu’ils avaient pu avoir une vie avant moi. A cette époque je pensais fermement que nous étions nés tous les trois ensemble.

     

    Curieusement, ce fut un tableau qui déclencha en moi tout ce remue ménage. Ce tableau représentait un bouquet de fleurs très joliment peintes, d’une grandeur de 40X40cms. Il avait toujours été là, accroché à un clou à coté de l’armoire en bois blanc. C’était surprenant, car étant le seul élément décoratif de la maison il aurait du choquer, mais l’ayant toujours vu à la même place il faisait pour moi partie du décor.

     

    Je sentais bien des tensions entre mes parents depuis un certain temps, mon père rentrait tard, après que nous avions terminé la soupe de vermicelle agrémentée d’un bouillon de kub qui faisait notre ordinaire. Me croyant endormis, j’assistais à leurs difficiles ébats, peut- on dire amoureux? Il semblait plutôt que ce soit une lutte, mon père voulait, ma mère ne voulait pas, elle refusait ses baisers et j’entendais ses protestations répétées : “ C’est bientôt fini?”. Bien sur, je ne comprenais rien à ce qu’ils faisaient, cependant, inconsciemment je me doutais que mon intervention n’était pas souhaitée.

    Donc pour en revenir au tableau, j’eus la surprise de voir mon père le décrocher, l’agiter au-dessus de sa tête, puis pour finir, l’envoyer par terre en criant quelque chose comme: ”voilà ce que j’en fais du tableau de ton Rudolf, ce sale schleu, espèce de pute” Aie! Aie! Aie! ....

    Il y avait de l’eau dans le gaz, et ce fut le début d’un long et pénible processus de détérioration de leur relation qui ne devait jamais cesser ; ceci jusqu’aux dernières années de vie de mon père. Même si les chamailleries devaient diminuer d’intensité, l’age passant par-là, elles existèrent encore de façon permanente.

    Plus tard, j’eus l’occasion d’interroger ma mère sur ce fameux Rudolf, peintre de talent et sur la nature de ses relations avec lui; malheureusement je n’en pu rien obtenir, que cette réponse : ”c’était un ami allemand,”point final. Elle m’apprit cependant qu’il s’appelait Rudolf Isbekker ou Kissbekker, je n’ai jamais pu comprendre précisément, ma mère étant incapable d’écrire son nom.

    Cependant, grâce à mon insistance, j’eus l’explication de ces cauchemars qui me poursuivaient régulièrement et qui consistaient en de longues chutes dans le vide se terminant dans l’eau glacée... C’est ma mère qui me le raconta. Deux ans après la guerre, c’était donc mon age, le fameux Rudolf vint en France voir mes parents. Alors qu’ils se promenaient avec moi et traversaient un pont sur la Mayenne, à Changé, je lâchais brusquement leur main et tombais dans le vide. Il m’a été donné plus tard, au cours d’une promenade suivie d’un bain dans la rivière, de voir les vestiges de ce pont de bois détruit depuis longtemps et dont l’avancée restante servait de plongeoir aux enfants. Je suis allé jusque sur le bord mais la hauteur était tellement impressionnante que je n’ai jamais osé me jeter dans l’eau. Il y avait bien cinq ou six mètres de hauteur et j’imagine la durée de la chute pour le petit garçon que j’étais. Ma mère m’a alors raconté la suite de l’histoire... Tout le monde était pétrifié, Changé, qui se situe à quelques kilomètres de Laval était un des lieux de sortie dominicale des citadins de la zone nord de Laval et grouillait de monde en ce dimanche ensoleillé, mais apparemment personne n’avait rien vu et les barques sur la Mayenne étaient trop loin... Et qui sauta? Le fameux Rudolf, qui me ramena sain et sauf sur la berge.

    Je reconnais qu’il fallait avoir vraiment du courage pour faire ce qu’il avait fait. Depuis le jour ou je l’ai su, je lui ai secrètement voué une admiration et reconnaissance immense.

    Ce devait être un sacré personnage, et la destruction lente et jalouse de son merveilleux tableau que j’essayais en vain de sauver, me mis mal à l’aise au fur et à mesure que la peinture se décollait et laissait voir la toile blanchâtre. C’était comme si des morceaux de lui, de son souvenir, disparaissaient dans le néant...

    Ce fut également la période pendant laquelle je reçus mes premiers coups: de ma mère exclusivement, elle me frappait avec ce qui lui tombait sous la main, mais sa préférence se portait sur une grosse louche à soupe, verte et solide qu’elle sortait des étagères cachées par un tissu. Je me revois encore en train de crier “non maman! Non, maman!” Mais c’était plus fort qu’elle, il lui fallait frapper... J’ai compris bien après pourquoi elle le faisait, mais bien que ne le comprenant pas à ce moment, je ne lui en ai jamais voulu, car en dehors de cet aspect sauvage, elle m’aimait, elle ne savait pas comment faire, mais elle m’aimait, j’en étais certain.

    C’est donc avec l’épisode du tableau, qui a d’ailleurs fini comme dessous de plat, que je commençais à m’interroger. Mes parents n’étaient pas nés avec moi puisque mon père avait au moins une mère. Pour maman elle ne m’avait jamais parlé de ses parents et, mon père pas beaucoup plus de sa mère. Je n’avais d’ailleurs vu qu’une seule fois ma grand-mère à l’approche de mes cinq ans. Nous n’étions jamais allés chez elle pour la bonne raison que cette dernière n’avait jamais voulu accepter cette sauvageonne maigrichonne que mon père avait ramenée d’Allemagne. Tout ceci expliquait mon raisonnement infantile de naissance simultanée de mes parents et de moi-même: eux nés tout grands et moi tout petit.

    Ma mère dont le nom de jeune fille était Marie Caroline De Haeck mais qu’on appelait Maria, ne me parlait pas de ses parents, pour une cause évidente, elle ne les avait jamais connus ou si peu qu’elle n’en avait aucun souvenir. Plus tard, à la recherche de mes origines j’essayais de l’interroger, sans succès, malgré mes nombreuses relances... Tout ce que j’ai pu savoir c’était qu’elle était née à Grambergen, en Belgique, petit village au-dessus de Bruxelles, en Wallonie donc, près duquel je suis passé un jour en voiture en me rendant en Hollande, mais je ne m’y suis pas arrêté malgré mon désir.

    Son père s’appelait Pierre de Haeck et sa mère Pharaïlde Van Vossole, je l’ai découvert sur le livret de famille. Avec des noms comme cela je me les suis longtemps imaginés en personnages de la haute noblesse vivant dans un château avec des domestiques et tout le tralala. Plus tard, je m’aperçus que ces patronymes étaient choses courantes en Belgique et je remâchais seul ma déception de ne pas me trouver issu d’une haute lignée.

    Je n’ai jamais su de quoi étaient morts les parents de ma mère, en tous cas elle était très jeune lorsqu’elle fut confiée à un de ses oncles : Frantz, pour son éducation. Si ma mère avait le même tempérament à l’époque que celui que j’ai toujours connu d’elle je pense que l’oncle Frantz n’a pas du s’amuser tous les jours. Les confidences que j’obtins de ma mère sur cette partie de sa vie, furent ceux de coups journellement répétés qui la laissaient prostrée. L’école néant, les corvées toujours, mais ce sont les coups qui revenaient le plus fréquemment dans sa bouche, au détriment de tout autre souvenir.

    Quelques trente ans après, suite à des recherches effectuées par mon père, les retrouvailles avec sa famille purent avoir lieu, d’abord avec sa sœur, qui la croyait morte, et qui ne m’a pas plus éclairée que ma mère sur ses parents, ne les ayant jamais évoqués avec sa sœur devant moi. Nous avons également rencontré ce fameux oncle Frantz que je me représentais comme un monstre, mais qui se trouvait être un bon père de famille habitant auprès de Gand, en Flandres, ce qui expliquait que ma mère ne parlait pas français. Il vivait dans une maison belge classique, petite et remplie de décorations en cuivre martelé et sentant le tabac blond et la Gueuse Lambic. Retrouvailles un peu gênées malgré tout, nous n’y sommes restés que quelques heures; lorsque ma mère trouvait beau un objet, l’oncle Frantz aussitôt le décrochait du mur pour lui offrir, si bien qu’à la fin ma mère ne disait plus rien..... Compensation... ? Regrets. ? Nous ne saurons plus jamais ce que tout ce monde pensait à ce moment là car depuis tous les acteurs sont passés de l’autre côté du voile.

    Ces coups que j’ai reçus très tard encore, mon père y ajoutant souvent les siens, lorsque la boisson le gagnait, s’expliquait donc par « l’éducation » qu’elle-même avait reçue, elle ne faisait que reproduire ce qu’elle avait subi.

    C’est vrai qu’aujourd’hui le récit des parents condamnés pour mauvais traitements aux enfants soulève le cœur d’indignation. Sans les excuser, il me vient la pensée de me demander parfois de quelle façon s’est passée leur jeunesse...

    Il y a malgré tout encore une zone d’ombre que je n’ai jamais pu éclaircir et sur laquelle j’ai beaucoup réfléchi: c’est comment ma mère à 20 ans a pu se retrouver en Allemagne ou mon père qui était alors prisonnier, mais travailleur volontaire dans une usine, l’a rencontrée?

     

    Rien n’a jamais transpiré dans leurs propos, seuls quelques bribes de phrases quand ils se frappaient auraient pu éventuellement m’éclairer, mais quel crédit accorder à ce qui est dit sous l’emprise de la colère ? Je me suis toujours intuitivement convaincu que ma mère, fuyant les coups de son oncle, peut-être même davantage, avait, plus ou moins de son plein gré, rejoint les vainqueurs allemands qui recherchaient des femmes afin de satisfaire “le repos du guerrier”.Ce qui expliquerait les 20 années de “Sale pute” que ma mère recevait plusieurs fois la semaine, ainsi que son aversion pour tout acte charnel amoureux, en ayant été dégoûtée pour le restant de sa vie.

    Je ne me souviens pas que m’a mère m’ait une seule fois embrassé. Plus tard en voyant des scènes de baisers un peu longs à la télé, elle détournait systématiquement la tête avec une grimace de dégoût et un marmonnement de réprobation.

    J’ai dormi pendant près de 12 ans dans la même chambre que mes parents et ai assisté sans qu’ils s’en aperçoivent à de nombreux ébats : toujours identiques, toujours refusés, toujours sans amour, et j’ai compris plus tard, pourquoi, assez rapidement, mon père avait commencé à boire et pourquoi la photo de mariage sur le buffet était déchirée et recollée avec un papier adhésif qui avait fini par laisser une trace jaune entre les deux, comme un mur de la honte.

    En ce qui concerne la jeunesse de mon père, les choses n’étaient pas beaucoup plus simples: je me souviens, même tout petit, avoir souvent vu un grand monsieur émacié à la moustache blanche qui nous tenait souvent compagnie, je ne pouvais pas le relier à quelqu’un de la famille puisque mon père l’appelait Francis et ne l’embrassait pas. Quant à ma grand-mère dont on ne parlait jamais, je ne l’avais donc vue qu’une seule fois dans des circonstances assez étranges pour un petit garçon de mon age...

    Comme je l’ai su plus tard, mon grand-père paternel était mort alors que mon père devait être encore jeune. Il tenait une coutellerie réputée à Laval, dans la Grande Rue, alors quartier des commerçants. La coutellerie Barbet était incontournable pour toute personne qui souhaitait acquérir ménagères, couteaux professionnels et tous autres objets de luxe en or, argent et faïences; les couteaux gravés Barbet sur leur lame, étant une garantie de qualité. Je pense qu’à cette époque les couteliers fabriquaient eux-mêmes leurs couteaux et je crois que mon grand-père devait employer plusieurs ouvriers. Je n’ai jamais connu les circonstances de son décès, toujours est-il que ma grand-mère s’était retrouvée avec deux enfants d’une dizaine d’années, un magasin, et un atelier à gérer.

    Deux enfants car mon père: Pierre avait un jumeau: Auguste. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau et ceci jusqu’à la fin : même embonpoint, même calvitie... Il s’agissait de vrais jumeaux qui ont vécus ensemble longtemps et subis ensemble les mêmes évènements; Ils n’ont jamais vraiment été séparés, et malgré les apparences, ont toujours conservés le lien très fort qui les unissait, avec les conséquences dramatiques finales dont je vous parlerais.

    Donc ma grand-mère se vit rapidement dans l’obligation de se remarier, avec quelqu’un du métier pour faire fonctionner son commerce. Pensant à l’avenir ou n’ayant aucun goût pour les enfants, et pour l’avoir connue quelques années je pense que c’est cette seconde hypothèse qui semble la plus juste. Elle envoya les deux jumeaux en pension, à 600 km de là, dans une école professionnelle, à Thiers, précisément, capitale de la coutellerie. Nos deux garçons furent donc pensionnaires pendant de nombreuses années, ne revenant qu’en coup de vent, une fois par an, aux grandes vacances, pour les affaires essentielles, linge, papiers etc. J’avais encore il y a peu une photo de mon père en uniforme de l’école, et une autre de la même époque avec mon oncle, belle allure, mais certainement, caché derrière ce front haut qui présageait une calvitie précoce, un manque d’amour et de tendresse immense...

    Le remariage de ma grand-mère avec ce monsieur, veuf lui aussi, dénommé Francis Placé permit de sauver le commerce; il s’occupait seul de la fabrication, plutôt de ce qui en restait car les couteaux se fabriquaient désormais dans les usines; ma grand-mère, s’occupait de la vente. Le magasin ayant suivi le déplacement des commerces se trouvait rue de Paris, c’est à cet endroit que j’ai rencontré ma grand-mère, la seule fois en 5 ans.

    Ce jour là certainement sur les injonctions diplomatiques et pressantes répétées de Pépé Placé et de mon père, ma mère avait difficilement accepté de se rendre à l’invitation à déjeuner de ma grand-mère. Cette dernière ne nous reçu même pas dans ses appartements mais dans un coin du magasin qu’elle avait aménagé. Je crois qu’elle me lança un bref coup d’œil pour salutation.

    Autant vous dire tout de suite que le repas se termina très mal, et que nous partîmes tous les trois avec cris et larmes en cadeau. Ce dont je me souviens c’est d’une femme habillée de noir revêche et aux propos acerbes. Elle eut le toupet, même si cela partait d’un bon sentiment, de nous servir des huîtres en entrées, nous qui ne mangions que des aliments simples, et bien sur, le refus de ma mère et de moi-même de toucher à ces choses molles et visqueuses que nous ne connaissions pas déclenchèrent prise de bec et réflexions désagréables...

    Mon père revint de pension, vers 18 ans avec un diplôme de coutellerie qui ne lui servait plus à rien, car non seulement la fabrication artisanale des couteaux n’existait plus, mais le commerce de coutellerie lui-même commençait à péricliter. La guerre 39/45 débutant, mon père fut rapidement mobilisé, en même temps que mon oncle; ils furent fait prisonnier aussitôt et leur captivité commune dura cinq ans. Il travaillèrent en Allemagne tous les deux dans la même usine et furent libérés en même temps.

    Mon père rencontra ma mère là-bas et la mis enceinte ; Ils arrivèrent donc tous les trois à la gare de Laval, où les attendait ma grand-mère: Victorine Placé Barbet née Aubinière. La première rencontre, avec ma mère surtout, fut loin d’être cordiale, ma grand-mère ne s’attendant pas à l’arrivée avec ses fils, d’une étrangère inconnue, enceinte de surcroît... Selon ce que j’ai pu saisir plus tard des propos de ce premier contact, ma mère aurait été accueillie avec : “qu’est ce que c’est que ça”, « ramène là d’où elle vient! », ainsi que d’autres gracieusetés de même nature... Ce qui, avouons-le, n’était pas de nature à générer dans l’avenir des relations particulièrement amicales.

    Mon oncle rentra donc chez sa mère, quant à nos tourtereaux éconduits ils trouvèrent un logement avec dans le cœur de ma mère une haine qui n’a jamais failli jusqu’à son dernier souffle.

    Il n’était même pas envisageable d’évoquer sa belle-mère devant elle et hors de question d’accepter quoi que ce soit provenant de celle ci. Ma grand-mère, d’ailleurs ne lui ayant jamais rien proposé d’autre que de rester hors de sa vue le plus longtemps possible. Mon père ayant fait le choix de garder sa compagne, ils se marièrent dans l’intimité, s’installèrent et vécurent comme ils le purent, se passant du soutien parental.

    Heureusement Francis, que j’appelais pépé Placé a toujours été présent, plus ou moins en cachette, pour garder un petit lien familial. C’était un homme bon et doux qui m’a toujours aimé, s’amusant à me faire peur en me menaçant gentiment de sa cane au pommeau argenté quand je ne marchais pas droit. Quand je fus un peu plus grand il me baptisa “Lafleur” et lorsqu’ en retraite ils habitèrent non loin de chez nous, je ne manquais pas après l’école d’aller le saluer. Je le regardais couper le pain pour la soupe en fines lamelles d’un gros six livres tenu sous son bras, préparer son rasage en prenant un peu d’eau chaude au robinet de la cuisinière. Quand il fut alité, prélude à sa fin prochaine, c’est moi qui eut l’honneur de lui porter dans sa chambre à l’étage, son savon à barbe, sa petite tasse argentée et assisté avec son coupe choux préalablement affûté sur une lanière de cuir, au bruyant rasage de ses poils gris, récalcitrants à la coupe au menton et sous le nez. “Alors ça va Lafleur! » me lançait il, les yeux rieurs, mais notre conversation se résumait à peu de chose, sa présence me suffisait; Pour moi c’était un moment de calme et de tendresse avant le retour au logis familial.

    Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de ma grand-mère car ses relations avec moi furent quasiment nulles. Elle m’avait sans doute considéré pendant toute sa vie comme “l’enfant d’on ne sait qui”, ayant sans doute appris le passé nébuleux de ma mère. Je l’ai toujours vue derrière son comptoir qui lui servait de caisse: un petit bureau à tiroirs, que j’ai réussi in extremis à sauver de la destruction, car il prenait le chemin du dépotoir. Ma mère en ayant hérité à son décès et estimant l’avoir assez vu. Même en retraite, ma grand-mère l’avait conservé et installé près d’une fenêtre, par la force de l’habitue sans doute, elle passait ses journées assise devant à surveiller la rue.

    C’était une femme sèche, petite et trapue toujours bien habillée, avec un chignon de cheveux gris nattés qu’au matin j’avais parfois l’occasion de voir préparer. Elle défaisait ses nattes, ses longs cheveux gris descendant alors très bas sur son dos, les coiffait, et sans demander d’aide, les tressait, les enroulait, les fixait en rond à l’aide de peignes, avec de temps en temps des arrêts pour s’envoyer dans la bouche un spray destiné à soulager l’asthme dont elle souffrait.

    Quand elle s’adressait à moi, c’était généralement pour me faire des reproches, demander un service, jamais un mot gentil, un regard doux. Même plus tard, Pépé Placé étant décédé, quand je venais la voir à l’hospice où son état de santé devait la conduire, elle ne m’accordât aucune attention. Le seul cadeau qu’elle m’offrit, excepté celui de ma communion solennelle, peu de temps avant sa mort, fut un couteau multi lames, remis sans chaleur, avec moult recommandations quant à son entretien et ma sécurité.

    Ce qui fut drôle, enfin, c’est maintenant que je trouve ça drôle, c’est qu’en rentrant à la maison, tout joyeux de ce cadeau, fabuleux, et courant vite pour le montrer aux parents, j’en vins devant eux à le chercher vainement dans la poche de mon pantalon. En réfléchissant, je compris, que victime d’une envie pressante en traversant le square le long de ma route, je posais culotte dans le siège à la turque des toilettes; Le couteau si précieux avait du à ce moment glisser dans le trou destiné à un autre usage.

    Dès cet instant, traumatisé par la sévérité de cette grand-mère pas gâteau du tout, je vécus dans la crainte de chaque rencontre, paniquant à l’idée qu’elle puisse demander à voir le fameux couteau cadeau. Je ne fus délivré de cette angoisse qu’à sa mort qui heureusement survint peu de temps après.

    Cette grand-mère modèle avait eu la fabuleuse idée de mettre le produit de la vente de son fond de commerce dans une magnifique maison toute en pierre et de plusieurs étages, ce qui en soi était un bon choix, cependant, lorsqu’elle du aller avec pépé Placé en maison de retraire, elle la loua... en viager! Sympa non? Ce qui fait que tous les deux étant mort trois ans après, le nouveau propriétaire fit une affaire dont on doit encore parler dans sa famille.

    Les meubles furent répartis entre les deux frères jumeaux, ma mère ne voulant rien dû néanmoins accepter quelques meubles ainsi que quelques ménagères en argent, aux manches en corne, et d’autres objets de valeur comme de jolies pièces en argent et nombre de plats et assiettes en faïence décorées à la main...

    .. Qu’elle s’empressa de donner à droite et à gauche à la moindre occasion, refusant d’avoir sous ses yeux quelque chose qui put lui rappeler cette belle -mère tant haïe. Le petit bureau, une jolie bibliothèque, quelques couteaux disparates sont les seuls éléments que j’ai pu sauver et qui se trouvent encore ici...

    Vous pouvez imaginer, avec ce que vous connaissez maintenant, les conséquences de la rencontre entre mes parents : une sauvageonne orpheline au passé incertain, écorchée vive par une enfance difficilement supportable, et un doux orphelin de père, privé de la présence de sa mère, en quête de ce qu’il n’avait jamais eu : de l’amour et de la tendresse; le résultat de cette rencontre avec une femme incapable de lui accorder ce qu’il désirait, n’en ayant pas eu connaissance pour elle-même

    .... fut inévitablement une explosion dont les effets durèrent des années et des années. Une misère relationnelle immense, une communication basée sur les insultes et les cris, puis les coups...

    Cependant on ne m’empêchera pas de penser que malgré tout cela, mon père aimait ma mère. Les moments de tendresse, quand il l’appelait «  Marianeke » diminutif affectueux à la mode belge, moments bien rares il est vrai, bien souvent intéressés par l’obtention de la faveur du soir existaient malgré tout, et parfois ma mère s’y laissait prendre en riant. Il leur manquait en fait bien peu de choses : le mode d’emploi, qu’ils n’avaient appris ni l’un ni l’autre...

     

    Le soleil se lève derrière la maison et sa lumière vient frapper les nuages blancs qui n’attendaient que cela pour se mettre en valeur. La ligne blanche d’écume des vagues qui viennent se briser au loin sur la barrière de corail est presque continue: la houle est forte et ce sera difficile de se baigner aujourd’hui. Plus près, l’îlet blanc avec son sable immaculé couronne des cocotiers qui y vont eux aussi de leur petite larme brillante. La paix règne en ce lieu, quel luxe, quelle richesse! Quels trésors !

    Oui, tout cela m’appartient, personne ne peut m’enlever ce plaisir; je me dis alors que l’on part parfois de très loin, avec aussi quelque handicap, pour participer à la course, mais je me dis aussi : quel plaisir peut-on avoir dans ce qui s’obtient facilement? Plus la côte est dure, plus le panorama à son sommet remplit de joie l’aventureux. L’important c’est d’accepter de monter la côte, et si un éboulement nous ramène en arrière, il suffit de s’arrêter et de reprendre l’autre chemin qui se trouve à côté, qu’on n’avait pas remarqué, et qui est tellement plus facile..

    Il y a encore quelques petites choses dont je voudrais vous parler avant de franchir la barrière des 5 ans qui fut une seconde étape de ma vie : concernant mon aspect physique, j’étais un charmant petit bambin aux traits réguliers et aux cheveux dorés tirant presque sur le blanc, cheveux dont j’ai gardé la couleur assez longtemps, je crois jusqu’à 7 ou 8 ans. Seul l’aîné des enfants: Florent a hérité de cette particularité qui faisait que j’attirais à moi toutes les femmes et petites filles en désir de tendresse. Toutes craquaient pour mon gentil minois au casque doré, ce qui compensait la froideur de ma mère qui semble-t-il osait à peine me toucher et chargeait mon père quand il était là de changer mes couches... Je n’ai d’ailleurs retrouvé aucune photo ou je suis dans ses bras, c’est mon père qui s’y collait... Cependant je me rappelle des moments heureux passés en sa compagnie, par exemple lors de nos promenades dominicales pour nous rendre à l’église.

    Je crois que sa rencontre avec Dieu, lui a certainement permis de tenir, de partiellement se réconcilier avec cette humanité qui l’avait tant piétinée. Bien que je ne l’aie jamais entendue prier, elle a été fidèle au culte toute sa vie, et jusqu’à la fin n’a pas raté une messe... sauf impossibilité.

    Sa “conversion” a du se faire très tôt, car dès que j’ai pu marcher, elle m’emmenait avec elle, dès potron-minet, à la première messe de six heures de l’église St Michel, remplacée aujourd’hui par un supermarché. J’aimais ces moments où mon père dormait encore, et cette complicité que nous avions en déambulant dans les rues désertes. On montait la rue de la Cale, tournions autour de la Gerbe de Blé, puis suivions le boulevard Félix Grat qui nous faisait longer la maternité avant d’arriver à la chapelle ou quelques bigotes tenaient compagnie au moine prêtre de service. Pendant ces trajets dans la chiche clarté du soleil levant, son coté docteur Jekyl réapparaissait parfois : elle s’amusait à me faire peur en me disant de faire attention à la “houbille”, sans trop me dire de quoi il s’agissait... C’était encore plus effrayant de ne pas savoir... Un jour, elle m’expliqua que la houbille était un fantôme qui emportait les petits garçons pas sages. A partir de ce moment je fus un peu plus rassuré... Les colombes se réveillant lançaient leur chant particulier que ma mère traduisait en “paye moi un pot tonton” qui correspondait bien aux intonations et à la longueur du chant.

    Mon école maternelle se situait rue de l’abbé Angot, tout près de l’église St Vénérand ou je devais par la suite assister sans faute à la messe dominicale. La cour de récréation nous séparait de l’école des filles, située juste à côté, par un mur suffisamment haut pour ne pas les apercevoir. Je me rappelle qu’on jouait beaucoup au tour de France. On courait d’un mur à l’autre, en se passant le cache nez autour du cou, sous les bras en l’attachant dans le dos, pour imiter les champions de l’époque qui portaient leurs pneus de rechange de cette façon. Nos idoles se nommaient “Coppi, Bartali, Robic”. J’ai des bons souvenirs de cette période ou je découvrais un monde nouveau, ma soif d’apprendre était déjà là, même si cela s’est gâté par la suite.

    La petite classe était située à gauche du portail d’entrée, mon seul souvenir de cette première année de maternelle fut celui des travaux pratiques, qui consistaient à faire avec une épingle des petits trous rapprochés autour d’un cercle tracé sur du papier afin d’y découper facilement un joli rond. La classe des plus grands se trouvait au fond de la cour, de grandes baies vitrées apportant la clarté. L’année suivante, j’y faisais donc mon entrée : J’étais au premier rang avec devant moi le tableau noir traditionnel masquant en partie la carte de France colorée et une représentation de la “chèvre de monsieur Seguin dessinée sur un grand carton.

    Le réfectoire se trouvait dans l’entrée, où se situait également le vestiaire, on y installait des tables pour le déjeuner et on mangeait au milieu des vêtements. Nous devions tous porter une cape bleu- marine et un béret de même couleur, ce qui occasionna quelques tracas financiers à ma mère. Les vêtements étaient accrochés aux porte- manteaux sur lesquels figurait le prénom de chaque élève. Je suppose qu’à cette époque, juste après la guerre, la cantine était gratuite, car tous y mangeaient, et mes parents n’auraient certainement pas pu la payer.

    Bien sur, je découvrais des saveurs nouvelles, moi pour qui la tranche de jambon était un plat de luxe et dont l’ordinaire oscillait entre pâtes ou nouilles, il me fallut m’adapter à cette nourriture, inconnue pour l’essentiel... Dans l’ensemble tout bien passé sauf pour..... Les tomates crues. C’était la première fois que j’y goûtais mais la personne chargée de la distribution n’en tenait pas compte et servait à tout le monde la même quantité. A cette époque la nourriture était précieuse et le gaspillage impensable. N’étant pas habitué à ce goût nouveau je dus faire la grimace, et ne pouvant finir, je fis l’objet de toutes les attentions de la responsable qui ne me lâcha pas jusqu’à ce que je vomisse dans mon assiette ce qui me dispensa bien entendu de la terminer.

    Cependant le problème se trouvait ailleurs, en fait dans la répétition des menus, car, à partir de ce jour je savais que chaque semaine, tous les mercredis midi, il me faudrait ingurgiter cet horrible fruit rouge. Quelquefois, quand ce n’était pas ma tourmenteuse qui servait, ou les rares fois où elle relâchait son attention, je pouvais en passer aux voisins, mais pas tout. Il fallait, entre deux hoquets avaler ce qui me rendait malade. Pendant un an ce fut une hantise et, même longtemps après, dans les cantines d’école ou de garderies où je devais déjeuner, je voyais arriver avec appréhension ces rondelles rouges tant abhorrées.

    Le résultat en est qu’aujourd’hui, la seule chose que je ne peux vraiment pas manger ce sont... bien sûr les tomates crues. Alors, s’il y a des parents qui me lisent, et si personnellement vous n’avez jamais connu cette situation, croyez-moi, je vous parle en connaisseur: si vous pensez avoir des enfants quelque peu difficiles, surtout ne les forcez pas. Laissez les apprivoiser la nourriture, à l’age adulte les goûts changent mais il faut leur laisser une chance de prendre plaisir un jour à manger ce qu’ils refusent aujourd’hui...

    Il y avait également une cérémonie qui me ravissait: il s’agissait de la récolte des fruits du grand tilleul qui garnissait la cour : les échelles, l’agitation, les odeurs, les maîtresses aux joues rouges avec leur panier d’osier remplis de feuilles odorantes... on nous en donnait un peu et tout cela avait un air de fraîcheur, de beau temps, de nature...

    Nous participions également à la fête de la jeunesse. Toutes les écoles du département, laïques bien sur, car on ne se mélangeait pas, étaient conviées à ces mouvements d’ensemble qui se déroulaient sur une vaste pelouse, devant les tribunes de l’hippodrome réquisitionné pour l’occasion. Pour cela chaque école se fabriquait un déguisement. Cette année là notre classe était en marin: uniforme blanc et casquette d’officier

    Les mouvements d’ensemble étaient précédés d’un défilé qui partait de la caserne Corbineau, à l’ouest de Laval, pour arriver à la place de la Préfecture où des cars nous emmenaient ensuite à l’hippodrome. Je dus à mon joli minois d’ouvrir l’immense défilé en tenant la main d’une jolie petite fille de l’école d’à côté: Jacqueline. Inutile de dire que mes parents n’étaient pas peu fiers, quant à moi je me redressais de toute ma petite taille pour mériter l’honneur qui m’était accordé.

    Cette petite fille à qui je tenais la main fut la première à faire battre mon petit cœur d’enfant. La fête terminée, en allant et revenant de l’école, passant chaque fois devant chez elle, j’essayais de l’apercevoir à sa fenêtre du premier étage ; hélas je n’eus pas l’occasion d’approfondir cette primaventure, la demoiselle ne sortant pas de son repaire.......

    La rue St Nicolas se trouvait séparée en deux parties presque égales par la rue de la cale; de l’autre côté de la rue habitaient les “infréquentables” qui nous étaient présentés comme des voyous, mal élevés, malhonnêtes et que nous ne devions à aucun prix approcher. J’avoue que cette discrimination dans la misère ne me convenait pas, c’était une histoire d’adulte. Un jour une petite fille de la rue d’à côté osa franchir la frontière en m’apercevant jouer sur les marches, elle vint s’asseoir auprès de moi et me dit, je m’en souviens encore : “Dis, est ce que je peux jouer avec toi? » Ce que j’acceptais volontiers. Hélas un voisin nous avait vus ensemble et le soir même j’avais droit à la “rodée” comme disait ma mère ; responsable d’avoir attiré la misère dans notre quartier. J’avais bien sur interdiction formelle de revoir cette petite. Un peu plus tard, en cachette, transgressant les interdits, je me suis rendu dans le repaire des brigands, pour découvrir des garçons et filles comme moi ; nous avons parlé, ils me firent entrer chez eux, c’est vrai que c’était un taudis : plus pauvre que pauvre, ça existait...

    Je crois que c’est de cette période que mon aversion pour les discriminations de toutes sortes, qui devait se cacher en moi, s’est révélée. Plus tard mettant en pratique ce sentiment antiségrégationniste, je militais longuement dans des associations de défense des droits de l’homme... Une nouvelle fois, l’idée avait précédé l’action...

     

     

     

     

    SUITE DE "QUENTIN ET LES SUIVANTS"

     

     

    Mon père m’emmenait souvent avec lui quand il sortait seul le dimanche, je devais avoir quatre ou cinq ans quand je l’accompagnais à un concours de boules qui se déroulait au jardin de la Perrine. Ce jardin était et reste encore un endroit fabuleux, entourant l’imposant vieux château de Laval et superbement entretenu, avec des massifs de fleurs un peu partout, une roseraie, une mare aux canards avec cascade, des animaux en cage disséminés dans le parc: singes aux fesses rouges, daims, boucs puants, volière agitée. C’est par la suite un endroit que je devais fréquenter assidûment.

     

    Ce dimanche là c’était la première fois que j’y allais. Pour s’y rendre il fallait continuer la rue St Nicolas, prendre la rue d’Anvers, se retrouver sur le bord de la Mayenne qu’on longeait sur un kilomètre, passer le vieux pont, puis s’enfiler sous des porches moyenâgeux et monter une bonne quinzaine de rangées d’escaliers pour se retrouver sur la petite place ou se déroulait le concours. Par un malheureux concours de circonstances, je perdis de vue mon père, et après un semblant de recherche décidai de rentrer seul, pensant qu’il m’avait abandonné. Pour ma mère quelle stupéfaction de me voir arriver seul, ne croyant pas que j’eusse été capable de me remémorer le trajet, il n’y avait pas de moyen de communication à l’époque et il n’était pas possible de prévenir mon père de mon arrivée.

    On le vit poindre quelques heures plus tard, défiguré, me prenant dans ses bras pour s’effondrer sur une chaise et pleurer comme un enfant. C’était la première fois que je voyais mon père pleurer. Aujourd’hui encore je comprends la détresse qui a du s’emparer de lui et ce qui a pu se passer dans sa tête... enlèvement, noyade ? Il avait sillonné toutes les rues alentour pour me retrouver.

    Je compris d’autant plus son tourment quand plus tard un de nos enfants échappa à notre surveillance. Je ressentis une angoisse indescriptible avant qu’un passant, au bout de 10 minutes qui me parurent longues, nous le ramène par la main. Ce jour là j’ai pensé à mon père...

    A la lecture de cette première période de ma vie, tout un chacun pourrait s’apitoyer, il ne le faudrait pas car je n’eus à aucun moment l’impression d’avoir été malheureux ou manquer de quelque chose. Ce n’est qu’après que cela est venu, quand j’eu l’age de faire des comparaisons. N’ayant connu que ce milieu, je considérais que tout était normal et savais apprécier les petites choses que je possédais. Un exemple : mes premiers cadeaux de Noël pourraient paraître ridicules aujourd’hui. Je me souviens de mes chaussures alignées devant une maigre branche de sapin ornée d’une seule guirlande. Elles se tenaient près des chaussures de mes parents. Malgré ce dénuement tout cela me donnait la même angoisse du lendemain sur l’éventuel passage du Père Noël en fonction de mes mérites, que lors des années plus florissantes qui ont suivies. Quant au matin je sortais du lit pour trouver, toujours la même chose il est vrai, mais quand même: une belle grosse orange bien brillante et deux croquettes en chocolat, la même chose que ce que mes parents avaient dans leurs chaussures, j’éprouvais la même joie que plus tard avec des jouets plus conséquents.

     

    Par contre il est vrai que cette période de première enfance fut pour moi, comme elle l’est pour tout le monde d’ailleurs, déterminante pour ma vie d’adulte. Les événements importants qui ont jalonnés ces cinq premières années se sont avérés des motivations d’actions dans le futur et également des traits formateurs de caractère. Ce qui revient à dire que je suis persuadé que nous avons toujours les « bonnes situations » et « bons parents » quoi qu’on en dise. Ils sont les révélateurs de ce qui nous est nécessaire de mettre en valeur en notre âme afin de réussir les expériences de notre vie. On peut également dire, si les incarnations successives sont admises par notre compréhension, que pendant le temps que l’on passe entre deux vies, on choisit les parents et les situations qui conviendront le mieux aux défis que l’on a choisis pour réussir notre vie;

    Il est bien certain que pour utiliser au mieux ces circonstances il est nécessaire également d’utiliser ce que l’on croit négatif comme tremplin, antidote, déclencheur, tout ce qui en soi appelle à l’action. A ce moment, c’est le plus grand moteur de la vie qui entre en marche, ce qu’on appelle le libre choix, ou le libre arbitre, car on a toujours le choix. Toujours... soit on n’agit pas, on laisse mourir la motivation, et la vie devient une épreuve que l’on subit, un lieu de combat continuel ou nous avons l’impression de faire du sur place, d’avoir toute les forces de l’univers liguées contre soi; ou alors on accepte la situation avec comme arme absolue la confiance. Il suffit de savoir écouter la petite voix ou plutôt la sensation à l’intérieur de nous qui nous dit : oui c’est bon, vas y.

    Pour ne pas être dans notre futur des vieux “tamalous”pleurnichards et pleins de regrets, il faut actionner ce moteur que nous avons en nous et qui doit être mis en marche par les circonstances de la vie qui nous sont présentées dès la plus tendre enfance. Bien sur, plus tard, les mêmes invitations à l’action se représentent, mais ce sont les premières mesures de la musique qui sont les plus fortes car notre jeune esprit est vierge, pas encore empli par toutes les idées que les adultes “qui savent”vont s’efforcer d’y mettre. Plus la prise de conscience sera forte plus la mise en oeuvre en sera facilitée. Ainsi, les hommes qui ont “réussi” leur vie, et quand je dis réussi je ne parle pas de réussite sociale, mais de ceux qui ont trouvé la paix et l’unité avec l’Esprit en eux, se sont trouvés confrontés à de rudes défis à relever; mais ils étaient néanmoins capables de les affronter puisque ce sont eux-mêmes qui les avaient déterminés.

    Lorsque bien plus tard, des « révélations », sous forme de flash d’une extrême rapidité, pendant lesquels toutes les réponses aux questions du moment parviennent, commencèrent à m’ébranler, il en fut une, où pendant ce bref instant de grâce, je compris que tout ce qui m’était arrivé depuis ma naissance avait un sens, était cohérent. TOUT « se tenait ». Ce moment justifia et effaça tout ce que j’avais eu précédemment l’impression de subir. C’est à partir de cet instant que je remplaçais dans mon esprit les mots de souffrances, épreuves, difficultés, par le mot « expériences ».

    Nous ne sommes pas sur cette terre pour subir notre vie, mais pour la maîtriser, la diriger, dans le sens des défis que nous avons mis en place avant notre naissance. Les seules véritables difficultés que nous rencontrons proviennent en fait des chemins d’expériences dans lesquels nous nous sommes fourvoyés. Il n’y a rien à regretter de nos marches difficiles en ces terrains glissants, car ils font partie de l’expérience, de ce qui nous est nécessaire pour comprendre que nous faisons fausse route, mais nous avons le choix... Plus nous resterons statiques, sans agir, plus l’instabilité du terrain nous déséquilibrera. L’entêtement, l’acceptation des souffrances comme étant normales, le refus de changer de voie entraînent inévitablement la souffrance et plus encore : la transition. Les défis n’ont pu être relevés, le libre arbitre n’a pas été utilisé ainsi qu’il eut fallu... retour à la case départ.

    Si les événements de la première enfance se révèlent comme des marqueurs, des déterminants, des vérifications de l’œuvre qui sera à réaliser, toute l’adolescence servira de confrontation, de lutte, d’apprentissage à la réalisation des expériences, c’est une douloureuse période ou l’esprit et la chair s’affrontent, la chair qui s’éveille, les émotions fortes, les tabous, la connaissance du monde qui nous manoeuvre, la remise en cause. Plus tard, après tous ces combats, arrivent l’abdication, le vide, la place préparée à l’action, mais à ceci nous y viendrons...

     


     

    Une charrette en bois tirée par deux énormes bœufs monte difficilement la rude côte qui monte à Sofaïa: la source guérisseuse de la peau ou jour et nuit les Guadeloupéens se douchent longuement afin de soigner leurs maux. Les bœufs, peinent, soufflent et renâclent. Un des deux conducteurs debout, le fouet en l’air, les encourage de la voix en créole, le fouet claque au-dessus des masses de muscles que l’on sent tendues à l’extrême, la bave blanchâtre dégouline en continu de leur museau, la sueur coule sur les jarrets du blond, le plus foncé peine encore plus et dérive à droite, ramené en ligne par un juron puissant et un coup de fouet bien placé.

    C’est l’entraînement pour le concours des « bœufs tirants », un rassemblement d’un certain nombre de paires de bœufs, classés par catégorie de poids; chaque équipage étant chronométré sur un parcours dans une campagne avec de préférence une énorme côte bien grasse, et c’est le meilleur temps qui remporte le concours. C’est impressionnant de voir ces masses de plus d’une tonne s’acharner à tirer la charrette lestée d’un bon poids jusqu’en haut du promontoire devant la foule gesticulante, suante et crachante, les odeurs fauves des bœufs, leur souffrance, les coups de fouets, attisant l’excitation qui se calme au moment de l’abandon car bien souvent les énormes bœufs ne peuvent atteindre le sommet.

    Le conducteur stoppe, laisse les animaux souffler un peu et redémarre au pas, en rajustant son chapeau de paille.

     

    En ce matin de janvier, le soleil se montre tendre, toute la vie affleure à la surface de chaque chose, quémandant un encore, pour durer à jamais.

     

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